En Pologne, membre de l’UE:
un «marché aux esclaves ukrainiens»

Par Ewa Wołkanowska-Kołodziej,
et Iryna Kołodijczyk – Le 17 mars 2015 – Source Fort Russ

Au «marché aux esclaves» de Piaseczno en Pologne, des Ukrainiens pour le nettoyage, le jardinage, le sexe et le pierogi*

Un Polonais a enfermé deux Ukrainiennes dans son sous-sol. Il les a laissées partir au bout de deux semaines, mais elles ne voulaient pas en parler. Je leur ai demandé : «Vous n’avez pas été à la police?» – «Mais nous n’avons aucun droit ici», ont-elles répondu.

On se met au bord de la route à 5 ou 6 heures du matin le dimanche et on attend un Polonais dans le froid glacial. Peut-être un Polonais va-t-il se réveiller aujourd’hui en pensant «ma chemise n’est pas repassée» ou «pourquoi faudrait-il que je paie quelqu’un alors que je peux faire faire le travail pour rien?»  Alors il monte dans sa voiture et vient chercher une Ukrainienne pour peindre les murs, aller chercher le charbon, monter des échafaudages. Il la paie 2€ et parfois même 5€ de l’heure. À la fin de la journée, il lui donne peut-être moins que promis, ou peut-être rien du tout. Mais c’est mieux que de travailler tout un mois et de ne pas être payé du tout.

Je me rends au marché du travail au noir de Piaseczno. Les Ukrainiens l’appellent gentiment le petit marché, les Polonais le nomment sans ambages le marché aux esclaves.

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Roksana: «La semaine dernière, un jeune homme a emmené dans sa voiture une femme qu’il employait pour cueillir des pommes. Ils partent et tout à coup la voiture s’arrête et elle en saute en pleurant. Qu’est-ce qui est arrivé?, je lui demande. Elle me répond : il m’a dit, cette fois, je ne t’emmène pas pour cueillir des pommes, mais pour te faire l’amour. Elle a 60 ans!»

Les autres femmes hochent la tête. Olena: «Quand je suis arrivée ici, je me suis mise là-bas, près des buissons, parce que je ne connaissais personne. Les autres me regardaient bizarrement  en chuchotant entre elles. Finalement une est venue me dire: Viens avec nous. Là, les filles attendent pour le sexe

Gala: «Un Polonais m’a emmenée moi et une amie repeindre sa maison à Konstancin. Une grande maison avec une haute clôture. Nous sommes entrées dans le jardin et nous nous sommes mises au travail, mais il m’a demandé d’aller changer son lit. Donc, j’entre dans sa chambre et il s’approche de moi par derrière et commence à me tripoter. Je suis sortie en criant, on voulait s’enfuir, mais la porte était fermée. Qu’est-ce qu’on pouvait faire? On s’est remises à peindre

Olena: «Porochenko devrait venir voir ça. Il faudrait qu’il voie comment les émigrés ukrainiens vivent… C’est plus facile pendant l’été. Les agriculteurs nous paient 1.70€ de l’heure ou au kilo, alors on peut gagner jusqu’à 24€ par jour. Parfois, ils nous donnent du travail plusieurs semaines d’affilée, et parfois même le logement et la nourriture. Mais le travail est dur

Anna: «J’ai réussi à ramasser des radis pendant 6 jours. Ils m’ont payée 0.80€ par boîte. Dans chaque boîte 50 grappes de radis, 12 radis  par grappe. Je n’étais pas habituée à ce travail. J’ai rempli 12 boîtes en 12 heures, mais d’autres femmes en ont rempli jusqu’à 30. J’ai payé 1€ par jour pour le logement. On travaille au contact du sol, il est aussi froid qu’en Sibérie. S’il pleut, on est assis dans la boue toute la journée.»

Kateryna: «Ramasser des betteraves, c’était comme de travailler dans un camp de concentration. On n’a pas le droit de se redresser car il paraît que ça nous ralentit. On n’a pas le droit de parler, seulement de communiquer par signes. Un sandwich et une tasse de thé pour le repas. C’est tout

Larissa: «Ne jamais dire aux Polonais que vous savez faire le pierogi! Ils ne vous laisseront plus tranquille et ils vous demanderont de leur en faire tout le temps. C’est pire que le nettoyage. J’ai passé une journée entière à leur faire des pierogi, et ils ne m’ont même pas invitée à manger avec eux.»

Olga: «J’ai récemment quitté un travail au bout d’une journée. Pour trois raisons. La dame de la maison voulait une copie de mon passeport. Ça ne m’était jamais arrivé auparavant. Deux, on m’avait dit que je pouvais manger ce qui était sur la table. Alors j’ai pris une pomme et on m’a dit de ne pas le faire sans permission. Trois, elle m’a dit de ne pas toucher aux ustensiles qui étaient dans l’évier parce qu’elle préférait remplir le lave-vaisselle elle-même. J’ai bu mon café et j’ai mis la tasse dans l’évier, et elle m’a crié dessus pour cela aussi. J’ai pensé, je n’ai pas besoin de cela, J’ai assez souffert dans ma vie, je ne vais pas me laisser humilier. Maintenant, je dis à tous les employeurs, je ne travaille que huit heures par jour. Comme une personne de race blanche.»

Commentaire de J. Hawk (traducteur du russe à l’anglais): C’est aussi catastrophique que cela, et même pire. Les Ukrainiens sont depuis longtemps sur le marché du travail polonais, mais maintenant il y a beaucoup plus d’Ukrainiens et moins d’emplois. Et la sympathie officielle envers le Maïdan ne va pas jusqu’à la mansuétude envers les Gastarbeiter (travailleurs invités) de la Pologne, dont beaucoup sont en train de devenir radicalement anti-polonais du fait du traitement humiliant qui leur infligé en Pologne.

Note
*Pierogi est le nom d’un plat polonais typique. Il se compose d’éléments du même nom, dont la forme et la pâte ressemblent à une sorte de raviole.

Traduit de l’anglais par Dominique Muselet, relu par jj pour le Saker Francophone

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