Par Norman Pollack – Le 16 juillet 2015 – Source CounterPunch
Les peuples font bouger les événements. Le peuple grec tente de façonner sa propre histoire. Il n’en est pas encore là – même la gauche ne l’a pas tout à fait rejoint. Mais une coalescence de forces se profile à l’horizon : soit Syriza se radicalise soit il sera laissé en arrière. Le capitalisme, par sa grande dureté, crée sa propre antithèse. Les étiquettes idéologiques ne sont pas importantes ; ce qui l’est, c’est un véritable gouvernement populaire. Les émeutes à Athènes, pendant que le Parlement grec votait les mesures d’austérité, pourraient être le premier signe de l’éclatement de l’Union européenne, elle-même une formation politique du capitalisme avancé incapable de répondre aux besoins de ses membres les plus pauvres.
Eclatement est un mot trop fort. Plutôt rétrécissement, rupture et plus grande transparence, le dernier terme signifiant que le rôle de l’UE en tant que fer de lance d’une mondialisation définie par les États-Unis, mélange de fondamentalisme du marché et de militarisme, serait difficile à dissimuler, tous trois révélant l’unité comme un monolithe économique inspiré par l’Allemagne pour parvenir à une division du travail intra-européenne, entre pays riches (le Nord) et pauvres (le Sud), tout en offrant une couverture politique à l’Otan dans sa poursuite permanente de la guerre froide. L’austérité est de la répression pure et simple. C’est aussi, comme je l’ai souligné récemment, le cadre de la lutte des classes, dans les deux cas au détriment extrême des travailleurs. Les gens dans les rues d’Athènes le savent, ils savent que Tsipras et Syriza n’ont pas réussi. Le syndicat des services publics s’est mis en grève mercredi [15 juillet]. La foule s’est rassemblée devant le Parlement dans la soirée. Tsakalotos, le nouveau ministre des Finances, a été ébranlé, réticent à approuver le plan de sauvetage, dans un microcosme représentant un grand nombre de gens, dans et hors du parti, qui ont vu les pressions croissantes ; et s’il n’a pas succombé, il a fait ensuite un choix forcé.
Ce n’était pas l’affirmation que l’on attend comme base d’une négociation, mais plutôt une période de délibération, de rassemblement de force qui ,si l’UE serrait encore davantage la vis, pourrait bien exploser ; pas dans une révolution mais avec une volonté de dire non et, à partir de là, quitter l’eurozone et l’UE elle-même. Pourquoi l’Allemagne et les autres piliers, la Finlande, les Pays-Bas et les États baltes s’en soucieraient-ils ? Pour cette simple raison que la Grèce est une réfutation vivante de tous les dogmes de l’UE : des budgets équilibrés, une fiscalité favorisant la croissance économique, réduction graduelle des droits du travail, érosion des retraites et des programmes de sécurité sociale, etc. Mettre la Grèce à genoux valide l’austérité : il n’y a pas d’autre voie que celle-ci, le meilleur de tous les mondes possibles. Le capitalisme, en Europe et en Amérique (en fait partout), se nourrit de la mauvaise foi de l’aliénation, de peur que sa malfaisance destructrice ne devienne apparente. Par conséquent, il doit déjouer les mouvements sociaux de gauche ; au préalable, il doit nier l’idée qu’il existe une alternative, celle qui montre une meilleure voie pour parvenir à la justice sociale, à la paix et à une vie humaine décente.
La Grèce est au bord du précipice, elle lutte pour ne pas être poussée dans les abysses. Elle veut se battre (ici, les appels à l’honneur et à la dignité nationale ne sont ni vides, ni de la rhétorique rétrograde), là où pour une fois le nationalisme – confronté à l’imposition de se conformer à des règles, des procédures et des valeurs tendant à une soumission politique et économique permanente à l’étranger – agit historiquement comme une force sociale progressiste. Le supra-nationalisme, ce bonbon de l’idéaliste, se révèle pourri, et il n’est réalisable, précisément, uniquement lorsqu’il est égalitaire dans sa structure et sa substance, ce que l’UE n’est pas. Aujourd’hui, de petites émeutes, tandis que le fossé se creuse entre les citoyens et les politiciens ; demain, avec d’autres pays dans l’UE, qui observent les événements en Grèce, et affrontent des circonstances similaires, sinon identiques, de privation, peut-être qu’eux aussi – l’Italie, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande – descendront dans les rues et diront non à l’austérité, qui est de plus en plus le nid de vipères du fascisme.
J’entends les pierres se disloquer à la base de l’édifice de l’UE, qui s’ébranle toujours si lentement. Pourtant, il faut peu, quelques faux mouvements, pour que le sol se mette aussi à trembler. Des déclarations péremptoires déniant toute sympathie à ceux qui sont frappés par l’austérité, Merkel dirigeant le chœur, pourraient enregistrer 3.1 sur l’échelle de Richter politique, mais un 5.5 est à venir lorsque l’UE professera clairement son identité en tant que cadre politique viable pour l’Otan afin d’avancer toujours plus à l’est, sur le mode de la confrontation avec la Russie. Les mêmes pays qui critiquent la Grèce sont à l’avant-garde des sentiments anti-russes. Comme je l’ai noté ailleurs, la Lettonie est maintenant le dépotoir des armes lourdes de l’Otan près de la frontière russe, avec des B-52 dans le ciel. Est-ce pertinent pour la Grèce ? Oui, elle a moins été punie pour son endettement que pour avoir mis en évidence le caractère fragile de l’unité européenne et les moyens utilisés pour maintenir les pays membres dans la ligne. La psychopathologie de la militarisation a été un agent de liaison extrêmement important pour la coopération économique, l’aliénation portée à des sommets que Marx n’avait jamais envisagés – comme le référendum grec lui-même, qui a été ridiculisé et vu comme anti-européen et ingrat. Je suis encouragé, cependant, par les scènes que j’ai vues devant le Parlement grec il y a quelques heures. Le peuple grec a une soif inextinguible de liberté.
Norman Pollack a écrit sur le populisme. Ses intérêts portent sur la théorie sociale et l’analyse structurale du capitalisme et du fascisme. Il est joignable à l’adresse pollackn@msu.edu.
Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone