«La russophobie est faite d’ignorance, d’absence de scepticisme et de raisonnement, d’orgueil, d’hypocrisie, de condescendance et de grossièreté, au service du complexe militaro-industriel et de l’OTAN.» – Catherine Brown
Par Catherine Brown – Le 17 juin 2016 – Source Russia Insider
Imaginez que Vladimir Poutine ne soit pas un autocrate meurtrier, ni un kleptocrate qui a passé ses quatorze ans au pouvoir à profiter de son passé au KGB et faire régresser la Russie vers l’autocratie communiste, l’anti-libéralisme et l’expansionnisme. Imaginez qu’au lieu de cela, il soit l’un des plus grands dirigeants qu’ait eu la Russie, dont les politiques ont aidé à l’élévation massive des niveaux de vie et de l’espérance de vie, au rétablissement de la fierté nationale et au respect de l’État de droit. Un dirigeant qui s’est attaqué judicieusement aux kleptocrates et aux gangsters, dont la politique étrangère a été dans l’ensemble réaliste, diplomate et favorable à la paix, qui a présidé un pays dont le bilan en termes de droits humains est nettement meilleur que celui des États-Unis et où les droits civils font des progrès, et qui mérite bien le soutien permanent de 65 % – actuellement 83 %, en relation avec l’Ukraine – de la population qu’il gouverne.
Je crois comprendre que la réalité est plus proche du second scénario que du premier – et je ferai remarquer que je le dis en tant que personne qui n’a pas de liens ethniques, financiers, professionnels ou politiques avec la Russie, quels qu’ils soient. Il s’ensuit que je ne suis pas une spécialiste de la Russie – mais je n’ai pas, par ailleurs, de parti pris. Je suis une observatrice amicale et distanciée de ce pays.
Permettez-moi de commencer par expliquer l’histoire de mon lien avec la Russie. Lorsque j’étais adolescente, mon école quelque peu timide et sans imagination a décidé de manière inhabituelle d’organiser un voyage dans un endroit aussi loufoque que la Russie, où, à ce qu’il semblait, des changements politiques considérables étaient en cours. Du coup, je me suis rendue en Union soviétique pendant le dernier mois de son existence, alors que j’avais moi-même aussi peu d’idée de ce qu’était l’Union soviétique, que de ce qui était censé la remplacer.
Quelques années plus tard, pendant l’année qu’on appelle sabbatique qui précède l’université, je me suis retrouvée à vivre à Ruse, en Bulgarie, sur la rive sud du Danube. J’y apprenais un peu de bulgare, et je me disais par devers moi, que si jamais j’apprenais une langue slave, elle me permettrait de parler avec des centaines de millions de gens et pas seulement avec sept millions de locuteurs. Après un diplôme d’anglais, j’ai opéré un mouvement en diagonale vers un master d’études russes et post-soviétiques à la London School of Economics, où il était tout à fait clair que les plus fins kremlinologues de Grande-Bretagne avaient une très faible idée de si ou quand l’Union soviétique allait finir, et qui étaient consternés – les nostalgiques du tsarisme comme du soviétisme – par ce qui se passait dans le pays à ce moment-là. Le pire moment était déjà passé lorsque je me suis rendue à Moscou, en 2002, pour améliorer mon russe livresque et pour enseigner l’anglais. Je suis devenue, entre autres, spécialiste de littérature comparée anglo-russe, et je me suis rendue dans le pays au moins chaque année depuis lors.
Du capitalisme sauvage à une nouvelle normalité
Le Moscou de 1991 dont je me souviens était fébrile, presque en panique, mais pas tout à fait, et grouillant de pauvres. Le Moscou de 2002 dont je me souviens peut être le mieux résumé par le mot grossier. Bien plus sûr qu’à Londres – j’ai souvent utilisé des voitures privées comme taxi, seule, la nuit – il y avait aussi plusieurs manières évidentes de mourir qui faisaient défaut à Londres. Plaques d’égouts ouvertes, glissades ivre dans la neige, échange de tirs. C’était le capitalisme «est-ce qu’on se connaît ?» – le capitalisme sauvage, qui ne prenait vraiment pas de gants. Des vétérans d’Afghanistan cul-de-jatte – littéralement – se propulsant sur la neige, balançant leur torse sur des planches à roulettes de fortune. Des familles chantant pour leur souper. Des violonistes d’une qualité de concertistes faisant la manche. Des gymnastes professionnels se déshabillant dans des night clubs. Des boutiques de maquillage où des marques occidentales étaient vendues à ce que je pris d’abord pour des prix en roubles, mais qui étaient en fait, illégalement, des prix en dollars américains énormément gonflés. Mon employeur dans une école anglaise privée ne payait pas d’impôts, sur la base du fait qu’il ne pouvait pas à la fois le faire et être solvable. On traversait la rue pour éviter la police – à la fois parce que nos propres affaires recelaient immanquablement une illégalité quelconque et parce que les policiers étaient sous-payés et vivaient sur les pots-de-vin.
Lors d’un séjour un an plus tard, la situation était un peu meilleure. La misère la plus frappante ne se voyait plus. Un an plus tard, encore mieux. Et cela a été le schéma constant lors de tous mes séjours depuis lors. Le capitalisme a de nouveau remis des gants. Les établissements publics sont en bien meilleur état. Rien n’est vendu en dollars et les marques occidentales ont des rivales russes. Une structure fiscale intelligente fait que les entreprises et les salariés peuvent payer leurs impôts et le font. On ne voit pas de gens ivres en public. Les femmes moscovites n’exagèrent plus leur féminité d’une manière qui atteste leur insécurité financière et constitue une imitation acharnée d’un Occident imaginé comme pornographique. Et le plus rassurant de tout, pour les Occidentaux habitués à cette coutume, les gens ont commencé à sourire. Même les cas les plus difficiles – les babouchkas gardant les salles des musées, et les garde-frontière au contrôle des passeports – vous rendront un sourire. L’an dernier, pour la première fois, j’ai senti que la Russie était dans une nouvelle phase – la phase post-post-soviétique, dans laquelle les gens ont cessé d’attendre que la normalité se rétablisse, ou de désirer vivre dans un pays normal. Une nouvelle normalité et un nouvel optimisme sont apparus.
Mon endroit pour prendre le pouls du pays était en général Moscou – dans une moindre mesure Saint-Pétersbourg, Nijni-Novgorod et Perm – mais d’après ce que j’entends dire du reste du pays, l’amélioration a été, quoique plus lente, répandue et stable aussi.
Bon, cette période de rapport avec la Russie a coïncidé avec la période de Poutine au pouvoir. C’est une des caractéristiques du traitement de la Russie par les médias occidentaux qu’ils réduisent le pays à Poutine, l’une de leurs hypothèses étant qu’il contrôle celui-ci de plus en plus autocratiquement. Je conteste cette hypothèse ; mais je ne doute absolument pas que Poutine ait eu une influence décisive sur la politique russe au cours de ce siècle. Pour cette raison, ma cible dans ce billet n’est pas seulement la russophobie, mais la poutinophobie, et je considère que ces préjugés sont liés : ici, je parle d’une phobie au sens d’un préjugé négatif.
Ce qui m’a poussée à écrire ce billet est mon impression que la Russie que j’ai appris à connaître, et la Russie que je vois décrite dans les médias grand public, et notamment britanniques, divergent de plus en plus. Alors que la Russie, selon mon expérience, a amélioré à peu près tous les indicateurs auxquels je peux penser, son image dans la presse occidentale s’est détériorée. Bon, il y a des tas de façons d’améliorer le niveau de vie dans un régime autocratique avec un bellicisme international croissant – on pense à Hitler. Mais je crois qu’une telle combinaison ne concerne pas le cas de Poutine.
Je conclurai cette introduction avec une anecdote. Ce mois d’avril, je me suis rendue au British Council à Moscou, où j’ai parlé à deux de ses jeunes employés russes. On s’attend à ce que ces gens soient largement orientés sur l’Occident et anglophiles. Une partie de leur travail consistait à analyser la couverture de la Russie par la presse et, tant qu’ils ont eu la fausse impression que j’étais une journaliste de la BBC, ils ont été prudents à propos de l’hostilité. Lorsque j’ai clarifié ma position d’universitaire, sceptique sur la couverture britannique de la Russie, ils ont éclaté en grands sourires et m’ont fait part de leur démoralisation à lire cette presse et à la surveiller. Je ne connais pas de Russe connaissant peu ou prou la représentation de la Russie en Grande-Bretagne qui ne soit pas fortement critique. Moi aussi, elle me déprime, en particulier parce que je pense que c’est dégradant intellectuellement et moralement, et dangereusement contre-productif.
Exagération, euphémisme, invention, abus de langage
Dans la suite de ce billet, je n’opposerai pas simplement les affirmations britanniques et américaines dominantes aux miennes. Ce que j’essaierai de faire est de décrire quelques-unes des manières dont est construite ce que je considère comme une image fausse, et les facteurs favorisant la survie de cette image – dans l’espoir que si ma description de ces processus sonne vrai, elle pourrait désormais influencer vos réponses aux représentants des médias. Enfin, je considérerai les effets pratiques de l’image de la Russie diffusée par les médias.
Les moyens de construction de cette image fausse sont les suspects habituels dans les cas de partialité : distorsion des faits par exagération, euphémisme et invention ; déductions fausses ; application contradictoire de normes ; et abus de langage.
Pour commencer, une exagération : l’argument que Poutine exerce un contrôle croissant sur les médias est souvent très exagéré. Beaucoup de chaînes de télévision sont publiques, mais certaines des chaînes appartenant à l’État, comme RIA Novosti, critiquent Poutine, tout comme de nombreuses radios et des journaux. Poutine est beaucoup plus critiqué dans toute la presse russe que Cameron dans la presse britannique. Bon, ce n’est pas exactement comparable, puisqu’il devrait théoriquement y avoir plus de raisons de critiquer Poutine – mais c’est néanmoins un fait incompatible avec une partie de l’image de la Russie telle qu’elle est souvent présentée. L’internet y est plus libre qu’il ne l’est en Grande-Bretagne – une raison pour laquelle le piratage intellectuel en ligne est monnaie courante – et beaucoup de Russes tirent leurs informations de l’internet. Le contrôle du gouvernement sur les médias ne peut par conséquent pas être invoqué comme une raison significative des taux de popularité constamment élevés de Poutine.
Les manifestations contre lui, d’autre part, reçoivent une couverture hors de proportion avec leur dimension – même surestimée – malgré le fait que de grandes manifestations pacifiques indiquent que le droit de manifester existe. Les manifestations à Moscou après les élections présidentielles de mars 2012 en sont un bon exemple. La couverture de telles manifestations a aussi sous-estimé leur composante politique majeure – les communistes. Le soutien au parti communiste se monte à 20%, il est stable, ce qui fait de lui le plus important parti d’opposition. Les médias britanniques, cependant, se focalisent massivement sur l’opposition libérale. C’est compréhensible, vu que c’est la tendance qu’ils soutiennent, mais cela donne aussi la fausse impression que l’opposition libérale est en fait la principale aujourd’hui. Des vidéos des manifestations où prédominaient les drapeaux du parti communiste contredisaient le commentaire britannique qui les accompagnait.
Cette exagération de la taille et de l’importance des manifestations et de leur composante libérale est clairement le produit de la pensée magique – mais si quelqu’un est vraiment intéressé à voir Poutine remplacé par un libéral, ce n’est pas utile, même pour lui, de surestimer l’importance actuelle de l’opposition. On devrait plutôt assumer le fait que les partis libéraux ont rassemblé, tous votes confondus, seulement 5% des voix et ensuite essayer de découvrir ce qui est faux dans le message de ces partis ou de ces dirigeants et/ou ce qui ne colle pas avec la capacité des électeurs de percevoir l’attrait de leur message.
Mais l’omission la plus importante dans l’information sur la Russie concerne les améliorations des indicateurs démographiques, le niveau de vie, la richesse nationale et la primauté de l’État de droit dont je parlais. Pendant les douze premières années de Poutine au pouvoir, le PIB a augmenté d’environ 850 %. Le pays est maintenant largement désendetté, avec une grande quantité de réserves de change. Grâce à la politique de Poutine, les revenus du pétrole sont aujourd’hui au service de l’économie nationale. La mortalité a fortement diminué et le taux de natalité a augmenté.
Ensuite il y a des inventions ou des spéculations présentées comme des faits.
La fortune personnelle de Poutine en est un bon exemple. Elle a fait l’objet d’estimations extraordinairement élevées dans Forbes et Bloomberg, y compris qu’il est au neuvième rang des hommes les plus riches au monde, ou en fait le plus riche. Ces théories ont tiré la plus grande partie de leur vigueur des affirmations de deux hommes, l’analyste Stanislav Belkovsky, cousin de Berezovsky, et le politicien libéral Boris Nemtsov. Ils affirment que Poutine possède secrètement une grande partie ou la totalité de Gazprom et des entreprises d’énergie qui lui sont liées comme Gunvor. En fait, lorsque The Economist a publié des allégations sur la propriété de Gunvor par Poutine en 2008, il a été poursuivi et forcé de faire paraître un rectificatif. Il y a probablement très peu de gens dans le monde qui connaissent la taille et la forme précise de la richesse de Poutine : lui-même, et un ou deux autres. Je me contenterai d’observer, d’abord, que des affirmations précises n’ont pas été prouvées ; ensuite que des spéculations ne devraient pas être présentées comme des faits confirmés ; et enfin que rien de ce que nous connaissons de l’histoire de Poutine, sa fierté et son caractère de bourreau de travail, ne suggère une personne fortement attirée par les choses que l’argent peut acheter ; il n’est pas un Goering sybarite.
D’autres affirmations sur la corruption en Russie sont de toute évidence absurdes. Certaines, dénonçant la corruption aux Jeux olympiques de Sotchi signifieraient, si elles sont vraies, que plus d’argent a été dilapidé en corruption que le PIB total du pays.
Qui critique Poutine est forcément innocent
La crédulité accordée aux affirmations des critiques de Poutine en vertu du fait qu’elles sont émises, précisément, par des critiques de Poutine, m’amène à une inférence inductive qu’on trouve communément dans le traitement médiatique de Poutine : que l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Lorsqu’elle est combinée avec l’hypothèse que le gouvernement interfère dans l’application de la loi en Russie, cela a pour résultat que lorsque quelqu’un est accusé d’un crime en Russie et émet des critiques sur Poutine, il met efficacement de son côté, en protestant de son innocence, la majorité des médias britanniques.
Autrement dit, non seulement l’ennemi de mon ennemi est mon ami, et non seulement celui qui critique Poutine est donc mon ami, mais celui qui critique Poutine est innocent – pas seulement innocent négativement du crime dont il est accusé, mais positivement innocent et bon, puisqu’en s’opposant à un tyran il est un dissident, et donc le même genre de personnes que saint Soljenitsyne ou Sakharov. En fait, un prisonnier avec des opinions politiques, ce n’est pas la même chose qu’un prisonnier politique.
Il est vrai que le système juridique russe est moins équitable que le système britannique et manque de plusieurs de ses caractéristiques importantes tant dans le droit pénal que civil – par exemple le principe de la divulgation de la preuve adverse. Le système est jeune, il a été créé pour le nouveau système capitaliste à la fin du communisme. Bon nombre des avocats et des juges sont par conséquent encore relativement jeunes et inexpérimentés, et respectent d’un peu trop près la lettre de la loi. La défense n’est pas encore une profession aussi bien établie que l’accusation, et cela se voit. Ces facteurs influent sur l’équité de tous les procès dans le pays.
Mais il faut immédiatement ajouter deux choses. Premièrement, que la situation s’améliore progressivement. Poutine n’a pas détruit l’indépendance du pouvoir judiciaire ; avant lui, ce dernier existait à peine, et il est peu à peu reconstruit. Deuxièmement, il y a très peu de preuves à l’appui de l’affirmation que tous les procès des critiques de Poutine sont injustes selon les critères du système existant.
Dans les années 1990, une grande partie de la richesse de la Russie est devenue, par la corruption et souvent par la violence, la propriété privée de quelques-uns de ceux qu’on appelle les oligarques. Lorsque Poutine est devenu président, il leur a fait une offre qui représentait très probablement le mélange optimum de pragmatisme, d’avant-gardisme et de justice. Ils pouvaient soit rembourser une partie de leurs impayés d’impôts, investir une partie de leur richesse dans leurs régions et s’abstenir d’utiliser leur fortune pour gagner du pouvoir politique – soit être poursuivis pour les crimes commis par le passé. Certains, comme Abramovich, ont accepté le compromis offert et ont prospéré. D’autres, comme Khodorkovsky, ont refusé. Son procès pour évasion fiscale a été largement critiqué à l’Ouest comme politique et inéquitable. Mais il a été très peu rapporté que le 25 juillet 2013, la Cour européenne des droits de l’homme (à laquelle la Russie est soumise en tant que membre du Conseil de l’Europe) a conclu que le procès n’était pas motivé politiquement, que Khodorkovsky était coupable des faits reprochés et qu’il avait été condamné de façon appropriée (bien que la Cour ait trouvé certaines irrégularités de procédure dans son traitement, pour lesquelles elle a ordonné de verser des dommages et intérêts).
Dans d’autres cas, comme ceux des Pussy Riot et du potentiel candidat à la présidence Alexei Navalny (dont les appels à la Cour européenne des droits de l’homme doivent encore être entendus), les accusés ont été déclarés coupables de crimes relevant de la loi russe, sur la base d’une preuve solide, et ont fait l’objet de peines qui, non seulement cadraient bien avec les diverses peines prévues pour le crime concerné, mais ressemblaient à des peines que les mêmes crimes auraient infligées s’ils avaient été commis en Grande-Bretagne. En Grande-Bretagne, Pussy Riot aurait été inculpé, en vertu de la Loi de 1986 sur l’ordre public, pour des infractions pour lesquelles la peine maximum est de deux ans d’emprisonnement (ce que les Pussy Riot ont subi). Navalny aurait été accusé, en vertu de la Loi de 1968 sur le vol, d’infractions pour lesquelles la peine maximum est de six ans (Navalny a été condamné à cinq ans). À certains égards, l’application de la loi russe est plus clémente que la loi britannique. Avant leur prière punk dans la Cathédrale du Christ-Sauveur, les membres de Pussy Riot s’étaient livrées à des actes sexuels en public dans un musée et avaient jeté des chats vivants sur des ouvriers dans un restaurant McDonalds. En Grande-Bretagne, ces actes auraient pu entraîner des peines d’au moins deux ans de prison, alors qu’en Russie ils n’ont pas du tout été poursuivis. Une des raisons pour lesquelles les Pussy Riot ont été poursuivies pour leur prière punk, était qu’elles ont interrompu et parodié la célébration d’un acte religieux, ce qui est spécifiquement interdit par la loi russe (comme par la loi britannique), et ce qui est tout à fait compréhensible dans un pays qui a historiquement connu la persécution religieuse.
Enfin, critiquer la condamnation, pour des charges criminelles fondées, de ceux qui se sont opposés à Poutine revient à demander que quiconque s’oppose à lui soit au-dessus des lois pour cette seule raison. La critique devrait plutôt demander que les alliés les plus proches de Poutine (comme l’ancien ministre de la Défense Serdioukov, dont le procès pour fraude a été beaucoup retardé), s’ils sont soupçonnés d’activités criminelles, ne soient pas au-dessus des lois. Faire le contraire équivaut à soutenir que l’État de droit en Russie doit être affaibli. En effet, cela dit implicitement que Poutine devrait empêcher la justice de suivre son cours dans le cas de quelqu’un qui le critique, ce qui équivaut à appeler à une ingérence politique dans la loi, ce qui est précisément ce qui a été ostensiblement critiqué. S’il est clair que tous les oligarques n’ont pas été traités à égalité, la réponse adéquate est de demander que tous soient comptables de leurs crimes, et non aucun d’entre eux.
Cela vaut la peine d’ajouter que soutenir quelqu’un, aussi criminel puant soit-il, à condition qu’il s’oppose publiquement à Poutine, fait de nous leurs idiots utiles et nous fait apparaître comme idiots aux yeux de beaucoup de Russes, qui ne peuvent comprendre sur quelle base, hormis l’hostilité politique, une personne comme Boris Berezovsky a obtenu l’asile en Grande-Bretagne, plutôt que d’être extradé pour être jugé en Russie pour ses crimes.
Sur le plan international, on remarque quelque chose relevant de la même dynamique de soutien à l’ennemi de l’ennemi. L’OTAN est hostile à la Russie, par conséquent, pour certains, c’est une raison pour soutenir l’OTAN. Mais sur quelles bases l’OTAN et la Russie sont-elles en désaccord ? Premièrement, la Russie s’est opposée, soit faiblement soit fortement, aux interventions de l’OTAN en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak et en Libye. Ce qui était juste dépend de votre position à l’égard de ces interventions, mais si on désire plus la paix que la guerre – alors on devrait juger que la Russie a mieux agi que l’OTAN.
Deuxièmement, l’OTAN s’est comportée avec une hostilité plus grande à l’égard de la Russie, que la Russie à son égard. En 1990, l’Union européenne et l’OTAN ont promis à la Russie qu’elles ne s’étendraient pas à l’Est. Elles n’ont cessé de le faire depuis lors. En réponse, la Russie n’a presque rien fait. Elle a toutefois protesté bruyamment et de manière compréhensible contre le déploiement prévu des intercepteurs de missiles balistiques étasuniens en Pologne et en Roumanie. Les États-Unis ne toléreraient certainement pas que la Russie installe de tels systèmes à Cuba ou au Venezuela.
Toujours les doubles standards
Cela nous amène à une application incohérente des normes. Le gouvernement russe est presque invariablement interprété à la pire lumière possible, tout en étant tenu à des normes plus élevées que les autres pays.
Prenons la loi récente, et controversée, sur l’homosexualité. Le bon point dont le gouvernement russe a anormalement et brièvement bénéficié aux yeux des soutiens d’Edward Snowden, lorsque celui-ci a obtenu l’asile en Russie, a été rapidement perdu dans la campagne américaine centrée sur la loi gay, qui a commencé immédiatement après. La loi qui fait de la présentation de l’homosexualité sous un jour positif aux mineurs une infraction administrative [délit mineur] est une mauvaise loi, parce qu’elle fait un délit mineur de quelque chose qui a été à peine pratiqué et qui ne devrait pas être interdit. Elle interdit explicitement la propagande pédophile homosexuelle, sans faire aucune mention de la propagande pédophile hétérosexuelle. Cependant, en Russie, l’homosexualité privée et publique est aussi légale que l’hétérosexualité – il y a pourtant eu un soutien minime au boycott du Qatar, par exemple, prévu pour recevoir la Coupe du monde de football, qui a une loi anti-gay beaucoup plus répressive. En outre, plusieurs États américains ont une législation anti-gay beaucoup plus stricte que ce qui existe en Russie, mais personne n’a proposé aucun boycott d’aucune sorte de l’Amérique sur cette base. Les barmen pro-gay américains n’ont pas déversé de whisky écossais dans les égouts entre 1988 et 2003 pour protester contre la loi très semblable (Section 28 de la Loi sur les gouvernements locaux) alors en vigueur en Grande-Bretagne. Il semble clair que la campagne contre la loi russe sur l’homosexualité a fleuri à cause de la russophobie – le phénomène que je suis en train de décrire. Vous vous souvenez peut-être que pendant qu’elle couvrait les Jeux olympiques de Sotchi, Claire Balding était cordialement sensible aux installations impressionnantes et au soutien chaleureux des Russes locaux. Elle était assise à côté du correspondant en Russie de la BBC Daniel Sandford, qui pouvait intervenir souvent – plutôt à la manière d’un commissaire soviétique – avec des commentaires du style : «Ah, mais nous ne devons jamais oublier que c’est le pays où parler de manière positive de l’homosexualité est une infraction administrative.»
Je ne dis pas qu’une quantité d’installations impressionnantes et de gens du cru chaleureux devraient justifier des violations flagrantes des droits humains – mais ce n’est tout simplement pas la réalité de la loi russe sur l’homosexualité. Le militant gay russe, Nikolai Alexeyev, est devenu de plus en plus affligé par la manière dont la campagne, basée aux États-Unis, contre la loi sur l’homosexualité était utilisée comme un instrument de russophobie. Le 17 août 2013, il a tweeté : «Tous les médias occidentaux veulent m’entendre dire que la Russie est de la merde et je ne veux pas participer à cette hypocrisie. Donc toutes les interviews, c’est terminé !» Pour cette réaction, lui, un brave militant contre la loi sur l’homosexualité, a été injustement accusé d’être un larbin de Poutine – et un fossé s’est ouvert entre les militants pro-gay russophobes et les militants gay russes, dont le travail est effectivement de faire changer les opinions sur le terrain.
Article original publié dans Off Guardian
Traduit par Diane, vérifié par jj, relu par Diane pour le Saker francophone
Les intertitres ont été ajoutés par le Saker francophone
Ping : une dimension raciale dans la russophobie....