Par Richard Galustian – 7 juillet 2016 – Source Moon of Alabama
Début mai, j’avais écrit : « Gardez à l’esprit que Saïf Kadhafi pourrait jouer un rôle important dans le futur. »
Beaucoup d’étrangers ont été surpris d’apprendre que Saïf Al-Islam Kadhafi, l’héritier naturel de son père, avait été libéré d’une prison libyenne de Zintan, mais ce n’est rien, en comparaison de ce qui pourrait se produire : son retour au pouvoir d’une manière ou d’une autre.
Pendant le soulèvement du printemps arabe de la Libye en 2011, Saïf a rejoint son père et ses frères sur les barricades, pour combattre les rebelles soutenus par l’OTAN dans une âpre guerre révolutionnaire. Les rebelles ont par la suite attrapé et assassiné son père et son frère Mouammar Moatassim à Syrte, mais Saïf, lui, a été capturé vivant alors qu’il essayait de fuir à travers le désert du Sahara au Niger.
Il a peut-être dû sa bonne fortune au fait que les unités qui l’ont capturé étaient de Zintan, une ville montagneuse du sud de Tripoli, qui a combattu par la suite l’Aube de Libye, un groupe islamiste qui a pris la capitale en 2014. Lors du procès collectif d’anciennes personnalités du régime, Zintan a refusé de livrer Saïf, lui épargnant ainsi les brutalités infligées à d’autres prisonniers, dont l’ancien chef du renseignement Abdullah al-Senussi et son jeune frère Saadi. Un film montre ce dernier en train d’être tabassé dans la cellule d’une prison de Tripoli.
Les Zintanis n’étaient pas des amis de l’ancien régime. Ils étaient l’un des groupes rebelles les plus efficaces dans la lutte contre les forces de Kadhafi, pendant le soulèvement que les bombardements de l’OTAN ont permis de remporter.
Mais d’après ce qu’en ont dit les quelques personnes autorisées à lui rendre visite dans un lieu étroitement gardé quelque part dans la ville, Saïf a été bien traité et jouissait d’un régime similaire à l’assignation à résidence.
Il y a un an, un tribunal de Tripoli opérant sous le contrôle du groupe Aube de la Libye, l’a condamné à mort ainsi que quelques d’autres, dont Al-Senussi. À Zintan, peu de choses ont changé pour Saïf, parce que Zintan a refusé obstinément de l’envoyer à la misérable prison d’Al Hadba à Tripoli.
Le chaotique Gouvernement d’entente nationale (GNA), soutenu par l’ONU et dirigé par un premier ministre homme de paille −qui opère à partir de la base navale de Tripoli, la seule partie de la ville qu’ils contrôlent− semble toutefois être à l’origine de l’acte d’amnistie dont ont bénéficié Saïf et d’autres prisonniers en avril, annulant leur condamnation à mort et ordonnant leur libération.
Depuis lors, l’endroit où se trouve Saïf est un mystère, mais l’attitude des Zintanis à son égard est tempérée par leur alliance avec les tribus qui soutenaient Kadhafi auparavant, dont celles de Beni Walid et de Warshefani, pour lutter à mort contre les islamistes d’Aube de la Libye. La tribu de Kadhafi elle-même a une base au sud de Zintan près de Sebha, et fait cause commune avec les Zintanis contre les milices d’Aube de la Libye qui contrôlent la capitale et le Gouvernement d’entente nationale (GNA).
Avant le soulèvement en Libye, Saïf sillonnait le monde pour chercher des soutiens à son projet de démocratisation du pays. Il est difficile de savoir si ses ambitions dans ce domaine ont avorté parce qu’il n’était pas sérieux, ou à cause de la ligne dure de ses frère et sœur Moatsem et Khamis. Quoiqu’il en soit, il sort de captivité pour retrouver une Libye profondément changée, ce qu’il avait prédit.
En février 2011, Saïf al Islam a fait un discours où il prédisait ce qui allait arriver. Et il ne s’est pas trompé. « Il y aura la guerre civile en Libye […] nous allons nous entretuer dans les rues et toute la Libye sera détruite. Il nous faudra 40 ans pour parvenir à un accord sur la façon de diriger le pays car, désormais, tout le monde voudra être président ou émir, et tout le monde voudra diriger le pays. »
Saïf savait que son pays serait déchiré, si le régime de son père était détruit par l’Occident.
Les brutalités du régime de son père ont, depuis, été égalées par celles de certaines des milices qui l’ont renversé, comme on le voit avec le passage à tabac de son frère Saadi dans une prison de Tripoli, filmé dans tous ses macabres détails par ses geôliers.
La plupart des tribus qui soutenaient autrefois Kadhafi se battent maintenant contre les islamistes et leurs alliés opportunistes de Misrata d’Aube de la Libye, et elles verront en Saïf une personnalité qui peut unifier leurs revendications et empêcher leur éviction de la vie politique libyenne.
Il semble que l’opposition à ce qu’il joue un rôle politique soit en train de diminuer, parce qu’il n’a jamais fait partie du « muscle » du régime de Kadhafi ; il passait beaucoup de temps à Londres et fréquentait le cercle doré des riches magnats, des universitaires et de l’élite politique de Tony Blair.
En d’autres termes, de nouvelles perspectives s’ouvrent à cet homme qui a été châtié par les rebelles pour avoir condamné leur rébellion à la télévision verte de Kadhafi pendant le soulèvement, mais qui n’a jamais tiré une seule balle. Sa libération pourrait lui permettre de mettre en œuvre le projet qu’il a toujours prétendu porter : réformer son pays et unir les principales tribus qui se sentent marginalisées par ceux qui détiennent le pouvoir en Libye.
Les choses se mettent en place pour qu’il puisse faire éventuellement partie d’une sorte de grand conseil. Comme le Gouvernement d’entente nationale (GNA) est incapable de convaincre aucun des deux autres gouvernements de Libye de se joindre à lui, certains pensent qu’il faudrait faire appel à une médiation plus large, l’Arabie saoudite et surtout Oman s’offrant comme médiateurs. Cela sera discuté à Bruxelles le 18 juillet avec le secrétaire d’État américain John Kerry.
Dans ce pays, livré au chaos et à la destruction, dont les gouvernements se battent entre eux et où État islamique progresse, Saïf Kadhafi pourrait devenir une partie de la solution plutôt que du problème.
Depuis la nouvelle de sa libération, il y a 24 heures, des Libyens de différentes villes du pays brandissent des photos de Saïf en criant son nom. À ma connaissance, c’est la première fois qu’il y a des manifestations pro-Kadhafi aussi ostensibles dans tant d’endroits du pays simultanément depuis 2011.
Il est temps que Saïf joue un rôle, avec d’autres libertaires, dans et au dehors de la Libye, pour promouvoir l’ancienne constitution et surtout pour bannir les membres du Groupe islamique combattant en Libye (GIGL, Al-Jama’a al-Islamiyyah al-Muqatilah bi-Libya), une ancienne filiale d’Al-Qaeda.
Selon la rumeur, Saïf donnera bientôt une conférence de presse. Cela sera vraiment très intéressant si c’est le cas.
Traduction : Marie Staels