Comment une entreprise technologique israélienne liée à des espions a eu accès aux réseaux les plus classifiés du gouvernement américain


Par Whitney Webb – Le 14 janvier 2020 – Source Mint Press News

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Si les réseaux informatiques de l’armée américaine, de la communauté du renseignement et d’une foule d’autres organismes fédéraux américains utilisaient le logiciel d’une entreprise ayant des liens profonds, non seulement avec des entreprises étrangères ayant des antécédents d’espionnage contre les États-Unis, mais aussi avec le renseignement militaire étranger, cela attirerait – à tout le moins – une attention considérable de la part des médias. Pourtant, aucun article n’a, jusqu’à présent, noté qu’un tel scénario existe déjà à grande échelle et que la société qui fabrique ce logiciel a récemment simulé l’annulation des élections de 2020 et la déclaration de la loi martiale aux États-Unis.

Note du Saker Francophone

2eme partie de l'enquête publiée hier, intitulée «Une entreprise technologique liée aux services de renseignement israéliens organise des simulations d’élections apocalyptiques se déroulant aux États-Unis».

Il y a quelques jours, MintPress News a publié un reportage sur une simulation de l’élection présidentielle américaine de 2020 organisées par la société Cybereason, une firme dirigée par d’anciens membres de l’unité 8200 du renseignement militaire israélien et conseillée par des fonctionnaires du renseignement militaire israélien et de la CIA. Ces simulations, auxquelles ont participé des fonctionnaires fédéraux du FBI, du DHS et des services secrets américains, se sont soldées par un désastre, les élections ayant finalement été annulées et la loi martiale déclarée en raison du chaos créé par un groupe de pirates informatiques dirigés par des employés de Cybereason.

Le premier épisode de cette série en trois parties s’est penché sur les liens de Cybereason avec la communauté du renseignement d’Israël et d’autres agences, dont la CIA, ainsi que sur le fait que Cybereason n’avait pas grand-chose à gagner financièrement des simulations étant donné que leur logiciel n’aurait pas pu empêcher les attaques menées contre l’infrastructure électorale américaine dans le cadre de l’exercice.

Il a également été noté que le logiciel de Cybereason pouvait être utilisé comme une porte dérobée par des acteurs non autorisés, une possibilité renforcée par le fait que les cofondateurs de l’entreprise ont tous travaillé auparavant pour des entreprises qui ont l’habitude de placer des portes dérobées dans l’infrastructure électronique et de télécommunications des États-Unis ainsi que de faire de l’espionnage agressif ciblant les agences fédérales américaines.

Ce dernier point est crucial dans le contexte de cet article, car les principaux investisseurs devenus partenaires de Cybereason ont intégré les logiciels de Cybereason dans leurs offres de produits. Cela signifie que les clients de ces sociétés partenaires de Cybereason, dont la communauté du renseignement et l’armée américaine, font désormais partie du réseau de plus de 6 millions de terminaux que cette société privée surveille en permanence grâce à du personnel composé en grande partie d’anciens agents de renseignement et d’un algorithme d’IA développé pour la première fois par les services de renseignement militaire israéliens.

Jusqu’à présent, Cybereason a révélé que les groupes suivants étaient les principaux investisseurs de l’entreprise : Charles River Ventures (CRV), Spark Capital, Lockheed Martin et SoftBank. Charles River Ventures (CRV) a été parmi les premiers à investir dans Cybereason et a fréquemment investi dans d’autres start-ups technologiques israéliennes qui ont été fondées par d’anciens membres de l’unité d’élite des services de renseignements militaires israéliens, l’unité 8200, au cours des dernières années. Spark Capital, basé en Californie, semble avoir suivi l’intérêt de CRV dans Cybereason puisque le capital-risqueur qui a cofondé Spark et dirigé son investissement dans Cybereason est un ancien partenaire de CRV qui a toujours des liens étroits avec la firme.

Alors que CRV et Spark Capital semblent être le type d’investisseurs qu’une société comme Cybereason attirerait étant donné leur intérêt évident pour des start-ups technologiques similaires issues du cyber secteur israélien, les autres investisseurs principaux de Cybereason – Lockheed Martin et SoftBank – méritent beaucoup plus d’attention et d’examen.

Cybereason est largement utilisée par le gouvernement américain, grâce à Lockheed Martin et SoftBank.

“Un partenariat digne du paradis”, a claironné Forbes à la nouvelle du partenariat Lockheed Martin-Cybereason, établi en 2015. Ce partenariat impliquait non seulement que Lockheed Martin devienne un investisseur majeur dans la société de cybersécurité, mais aussi que Lockheed Martin devienne le plus important concessionnaire des logiciels Cybereason pour les agences fédérales et militaires américaines.

En effet, comme Forbes l’a fait remarquer à l’époque, non seulement Lockheed a investi dans l’entreprise, mais elle a décidé d’intégrer complètement le logiciel de Cybereason à son portefeuille de produits, ce qui a donné lieu à un “modèle consistant à la fois à utiliser Cybereason en interne et à le vendre à des clients publics et privés”.

Le PDG de Cybereason et ancien hacker offensif des services de renseignement militaire israéliens, Lior Div, a déclaré à propos de ce partenariat :

Lockheed Martin a investi dans le système de protection de Cybereason après avoir comparé notre solution à une douzaine d'autres des plus grands acteurs de l'industrie. La firme américaine a été tellement impressionnée par les résultats obtenus par Cybereason qu'elle a commencé à l'offrir à ses propres clients - parmi lesquels la plupart des entreprises de Fortune 100 et le gouvernement fédéral américain. Cybereason est maintenant le système de sécurité recommandé par LM à ses clients pour la protection contre un large éventail de malwares (sic) et d'attaques de pirates.

Rich Mahler, alors directeur des services cybernétiques commerciaux chez Lockheed Martin, a déclaré à Defense Daily que la décision de la société d’investir dans Cybereason, d’utiliser son logiciel en interne et d’inclure la technologie dans le portefeuille de solutions cybernétiques de Lockheed Martin étaient toutes “des décisions commerciales indépendantes mais qui étaient toutes coordonnées et synchronisées avec la transaction”.

L’indépendance de chacune de ces décisions n’est pas très visible, surtout si l’on considère le moment où Lockheed Martin a investi dans Cybereason, dont les liens étroits et troublants avec les services de renseignements israéliens et la CIA ont été notés dans le précédent épisode de cette série d’enquêtes. En effet, environ un an avant leur investissement dans cette compagnie liée au renseignement militaire israélien, Lockheed Martin ouvrait un bureau à Beersheba, en Israël, où l’armée israélienne a son “cyberhub”. Ce bureau ne se concentre pas sur les ventes d’armements, mais plutôt sur la technologie.

Marilyn Hewson, le PDG de Lockheed Martin, a déclaré lors de son discours d’inauguration du bureau de Beersheba :

La consolidation des unités techniques des Forces de Défense Israéliennes (FDI) dans de nouvelles bases dans la région du désert du Néguev est une transformation importante de la capacité informatique d'Israël... Nous comprenons les défis de cette initiative. C'est pourquoi nous investissons dans les installations et les personnes qui nous permettront d'être prêts à soutenir ces projets critiques. En installant notre nouveau bureau dans la capitale du Néguev, nous sommes bien placés pour travailler en étroite collaboration avec nos partenaires israéliens et nous sommes prêts à : accélérer l'exécution des projets, réduire les risques liés aux programmes et partager notre expertise technique en formant et en développant les talents du pays.

Beersheba abrite non seulement le campus technologique des FDI, mais aussi la Direction nationale israélienne de la cybernétique, qui relève directement du Premier ministre israélien, ainsi qu’un parc d’entreprises de haute technologie qui abrite principalement des sociétés de technologie ayant des liens avec l’appareil de renseignement militaire israélien. La région a été citée dans plusieurs rapports des médias comme un indicateur visible de la fusion public-privé entre les sociétés technologiques israéliennes, dont beaucoup ont été créées par les anciens de l’Unité 8200, le gouvernement israélien et ses services de renseignement. Lockheed Martin est rapidement devenu un élément clé du cyberhub basé à Beersheba.

Peu de temps avant que Lockheed ne commence à explorer la possibilité d’ouvrir un bureau à Beersheba, la société a été piratée par des individus qui ont utilisé des techniques liés à une société, RSA Security, dont les fondateurs ont des liens avec l’establishment de la défense israélienne et qui est maintenant détenue par Dell, une société également profondément liée au gouvernement israélien et au secteur technologique. Le piratage, perpétré par des acteurs encore inconnus, a peut-être suscité l’intérêt ultérieur de Lockheed pour le secteur israélien de la cybersécurité.

Peu après l’ouverture de son bureau de Beersheba, Lockheed Martin a créé sa filiale israélienne, Lockheed Martin Israel. Contrairement à beaucoup d’autres filiales de la société, celle-ci est exclusivement axée sur “la cybersécurité, les technologies de l’information d’entreprise, les centres de données, les mobiles, l’analyse et le Cloud”, par opposition à la fabrication et à la conception d’armements.

Haden Land, alors vice-président de la recherche et de la technologie chez Lockheed Martin, a déclaré au Wall Street Journal que la création de la filiale visait en grande partie à obtenir des contrats avec les FDI et que la filiale israélienne de la société chercherait bientôt à établir des partenariats et à obtenir des investissements à cette fin. Land a supervisé le déploiement local de la filiale israélienne de la société tout en rencontrant simultanément des représentants du gouvernement israélien. Selon le WSJ, Land “supervise toutes les activités de Lockheed Martin dans le domaine des systèmes d’information, y compris les unités commerciales de défense et civiles” pour les États-Unis et ailleurs.

Quelques mois plus tard, Lockheed Martin s’est associé et a investi dans Cybereason, suggérant que la décision de Lockheed de le faire avait pour but d’assurer des liens plus étroits avec les FDI. Cela suggère en outre que Cybereason maintient toujours des liens étroits avec les services de renseignements militaires israéliens, un point exposé en détail dans le précédent numéro de cette série.

Ainsi, il apparaît que non seulement Lockheed Martin utilise les logiciels de Cybereason sur ses propres appareils et sur ceux qu’il gère pour ses clients des secteurs privé et public, mais qu’il a également décidé d’utiliser les logiciels de la société par désir de collaborer plus étroitement avec l’armée israélienne dans les domaines liés à la technologie et à la cybersécurité.

Les liens étroits entre Lockheed Martin, l’un des plus grands entrepreneurs privés du gouvernement américain, et les FDI ont déclenché une alarme, à l’époque comme maintenant, chez ceux qui s’intéressent à la sécurité nationale des États-Unis. Une telle préoccupation rend important d’examiner l’étendue de l’utilisation de Cybereason par les agences fédérales et militaires aux États-Unis par le biais de leur contrat avec la division des technologies de l’information (TI) de Lockheed Martin. Cela est particulièrement important si l’on considère l’historique des services de renseignements militaires israéliens qui ont utilisé l’espionnage, le chantage et les entreprises privées de technologie contre le gouvernement américain, comme nous le détaillons ici.

Bien que le nombre exact d’agences fédérales et militaires américaines utilisant le logiciel de Cybereason soit inconnu, il est élevé, grâce à la division informatique de Lockheed Martin servant d’intermédiaire. En effet, Lockheed Martin était le premier fournisseur de solutions informatiques du gouvernement fédéral américain jusqu’à ce que sa division informatique soit séparée et fusionnée avec Leidos Holdings. Par conséquent, Leidos est maintenant le plus important fournisseur de TI du gouvernement américain et est aussi directement associé à Cybereason, tout comme Lockheed Martin l’était. Même après la scission de sa division informatique, Lockheed Martin continue d’utiliser les logiciels de Cybereason dans le cadre de son travail de cybersécurité pour le Pentagone et conserve une participation dans la société.

L’hybride informatique Leidos-Lockheed Martin fournit une litanie de services à l’armée américaine et au renseignement américain. Comme l’a noté le journaliste d’investigation Tim Shorrock pour The Nation, la société fait “tout, de l’analyse de signaux pour la NSA à la recherche de combattants ennemis présumés pour les forces spéciales américaines au Moyen-Orient et en Afrique” et, suite à sa fusion avec Lockheed et au partenariat qui en a découlé avec Cybereason, elle est devenue “la plus grande des cinq sociétés qui, ensemble, emploient près de 80% des employés du secteur privé sous contrat pour les agences d’espionnage et de surveillance américaines”. Shorrock note également que ces entrepreneurs du secteur privé dominent maintenant le gigantesque appareil de surveillance américain, nombre d’entre eux travaillant pour Leidos et, donc, utilisant les logiciels de Cybereason.

L’utilisation exclusive par Leidos du logiciel Cybereason pour la cybersécurité est également pertinente pour l’armée américaine puisque Leidos gère un certain nombre de systèmes sensibles pour le Pentagone, y compris son contrat récemment entériné pour la gestion de l’ensemble de l’infrastructure de télécommunications militaires pour la Defense Information Systems Agency (DISA). En plus de la maintenance du réseau de télécommunications militaires, Cybereason est également en partenariat direct avec World Wide Technologies (WWT) depuis octobre dernier. WWT gère la cybersécurité de l’armée américaine, maintient les pare-feux et le stockage de données de la DISA ainsi que le système d’identification biométrique de l’armée de l’air américaine. WWT gère également des contrats pour la NASA, elle-même une cible fréquente de l’espionnage du gouvernement israélien, et pour la marine américaine. Le partenariat de WWT est similaire à celui de Lockheed/Leidos dans la mesure où le logiciel de Cybereason est désormais complètement intégré à son portefeuille, donnant à l’entreprise un accès complet aux appareils sur tous ces réseaux hautement classifiés.

Beaucoup de ces nouveaux partenariats avec Cybereason, y compris son partenariat avec WWT, ont fait suite aux déclarations faites par des membres de l’Unité 8200 d’Israël, en 2017, selon lesquelles le populaire logiciel antivirus de Kaspersky Labs contenait une porte dérobée pour les renseignements russes, compromettant ainsi les systèmes américains. Le Wall Street Journal a été le premier à faire un rapport sur la prétendue porte dérobée, mais sans mentionner l’implication de l’Unité 8200 dans son identification, un fait révélé par le New York Times une semaine plus tard.

Notamment, aucune des preuves utilisées par l’Unité 8200 pour accuser Kaspersky n’a été rendue publique et Kaspersky a noté que c’étaient en fait des pirates informatiques israéliens qui avaient été découverts en train de planter des portes dérobées dans sa plate-forme, quelque temps avant l’accusation lancée par l’Unité 8200 contre Kaspersky. Comme le notait le New York Times :

Les enquêteurs ont découvert plus tard que les hackers israéliens avaient implanté de multiples portes dérobées dans les systèmes de Kaspersky, utilisant des outils sophistiqués pour voler les mots de passe, prendre des captures d'écran, et aspirer les emails et les documents.

Les révélations de l’Unité 8200 ont finalement conduit le gouvernement américain à abandonner complètement les produits Kaspersky en 2018, permettant à des sociétés comme Cybereason (avec ses propres liens étroits avec l’Unité 8200) de combler le vide. En effet, les mêmes agences qui ont interdit Kaspersky utilisent maintenant des logiciels de cybersécurité qui emploient le système EDR de Cybereason. Aucun doigt n’a été pointé sur la collaboration de Cybereason avec le même service de renseignement étranger ayant accusé Kaspersky et ayant déjà vendu des logiciels avec des portes dérobées pour des installations américaines sensibles.

SoftBank, Cybereason et Vision Fund

Bien que son implantation sur le marché américain et les réseaux du gouvernement américain soit importante, le logiciel de Cybereason est également exploité à travers le monde à grande échelle grâce à des partenariats qui l’ont vu pénétrer les marchés latino-américains et européens de manière importante au cours des derniers mois. Cette société a également vu ses logiciels devenir proéminents en Asie à la suite d’un partenariat avec la société Trustwave. Une grande partie de cette expansion rapide a suivi une importante injection de liquidités, grâce à l’un des plus gros clients de la société et maintenant son plus gros investisseur, la SoftBank japonaise.

SoftBank a investi pour la première fois dans Cybereason en 2015, la même année où Lockheed Martin a investi et s’est associé à la firme. C’est également l’année où SoftBank a annoncé son intention d’investir dans des entreprises technologiques israéliennes en démarrage. SoftBank a d’abord injecté 50 millions de dollars dans Cybereason, puis 100 millions de dollars supplémentaires en 2017 et 200 millions de dollars en août dernier. Les investissements de SoftBank représentent la majeure partie des fonds levés par l’entreprise depuis sa création en 2012 (350 millions de dollars sur un total de 400 millions de dollars).

Avant d’investir, Softbank était un client de Cybereason, ce que Ken Miyauchi, président de SoftBank, a noté en faisant la déclaration suivante après l’investissement initial de Softbank dans Cybereason :

SoftBank s'efforce d'obtenir une technologie de pointe et des modèles d'affaires exceptionnels pour mener la révolution de l'information. Notre déploiement de la plateforme Cybereason en interne nous a permis d'acquérir une connaissance de première main de la valeur qu'elle apporte, et a conduit à notre décision d'investir. Je suis convaincu que la nouvelle offre de produits de Cybereason et de SoftBank apportera un nouveau niveau de sécurité aux organisations japonaises.

SoftBank – l’une des plus grandes entreprises de télécommunications du Japon – a non seulement commencé à déployer Cybereason en interne, mais s’est directement associée à elle après avoir investi, un peu comme Lockheed Martin le faisait à peu près au même moment. Ce partenariat a amené SoftBank et Cybereason à créer une coentreprise au Japon et Cybereason à créer des partenariats avec d’autres sociétés technologiques acquises par SoftBank, notamment la société Arm du Royaume-Uni, qui se spécialise dans la fabrication de puces et de plates-formes de gestion pour l’Internet des objets (IoT).

L’intérêt de SoftBank pour Cybereason est significatif, en particulier à la lumière de l’intérêt de Cybereason pour l’élection américaine de 2020, étant donné que SoftBank a des liens importants avec des alliés clés du président Trump et même avec le président lui-même.

En effet, Masayoshi Son de SoftBank a fait partie de la première vague de dirigeants d’entreprises internationales qui ont cherché à courtiser le président Trump peu après son élection en 2016. Son a visité la Trump Tower pour la première fois en décembre 2016 et a annoncé, avec Trump à ses côtés dans le hall de l’immeuble, que la SoftBank allait investir 50 milliards de dollars aux États-Unis et créer 50 000 emplois. Trump a par la suite affirmé sur Twitter que Son avait décidé de faire cet investissement uniquement parce qu’il avait gagné les élections.

A l’époque, Son a déclaré aux journalistes que l’investissement viendrait d’un fonds de 100 milliards de dollars qui serait créé en partenariat avec le fonds souverain de l’Arabie saoudite ainsi que d’autres investisseurs. “Je suis juste venu pour célébrer son nouveau poste. J’ai dit : ” C’est génial. Les États-Unis vont redevenir grands”, a déclaré M. Son, selon les articles des médias.

Puis, en mars 2017, Son a envoyé des cadres supérieurs de la SoftBank pour rencontrer des membres de l’équipe économique de Trump et, selon le New York Times, “les cadres de la SoftBank ont dit qu’en raison du manque d’investissements dans le numérique de pointe, la compétitivité de l’économie américaine était menacée. Et les cadres ont fait valoir, assez fermement, que M. Son était déterminé à jouer un rôle majeur dans la résolution de ce problème par une vague d’investissements créateurs d’emplois.” Depuis lors, un grand nombre des investissements et des acquisitions de SoftBank aux États-Unis se sont principalement concentrés sur l’intelligence artificielle et la technologie avec applications militaires, comme la société Boston Dynamics, spécialisée dans les “robots tueurs”, ce qui laisse penser que l’intérêt de Son réside davantage dans la domination des technologies militaires-industrielles futuristes que dans la création d’emplois pour l’Américain moyen.

Après leur première rencontre, Trump et Son se sont retrouvés un an plus tard, en juin 2018, et Trump a déclaré que “les 50 milliards de dollars de Son s’avèrent être de 72 milliards de dollars jusqu’à présent, et ce n’est pas encore fini.” Plusieurs médias ont affirmé que les actions de Son depuis l’élection de Trump visaient à “s’attirer les faveurs” du Président.

Grâce à la création de ce fonds d’investissement aux côtés des Saoudiens, la SoftBank s’est depuis rapprochée du prince héritier saoudien Muhammad bin Salman (MBS), un allié clé du président Trump au Moyen-Orient connu pour sa répression autoritaire contre les élites et les dissidents saoudiens. Les liens entre l’Arabie Saoudite et SoftBank se sont resserrés lorsque MBS a pris les rênes du royaume du pétrole et après que SoftBank a annoncé le lancement de Vision Fund, en 2016. Vision Fund, une filiale de SoftBank est un fonds d’investissement dans des sociétés de haute technologie et des start-ups et son actionnaire principal est le Public Investment Fund of Saudi Arabia. Notamment, Son a décidé de lancer Vision Fund à Riyad lors de la première visite officielle du Président Trump dans le Royaume du Golfe.

Masayoshi Son et Bin Salman.

Masayoshi Son et Bin Salman.

En outre, la Mubadala Investment Company, un fonds gouvernemental des Émirats arabes unis (EAU), a donné 15 milliards de dollars à Vision Fund. Les dirigeants des EAU entretiennent également des liens étroits avec l’administration Trump et MBS en Arabie Saoudite.

Par conséquent, le fonds Vision de la SoftBank est financé en majorité par deux gouvernements autoritaires du Moyen-Orient ayant des liens étroits avec le gouvernement américain, plus précisément l’administration Trump. De plus, les deux pays ont bénéficié de la croissance rapide et de la normalisation des liens avec l’État d’Israël au cours des dernières années, particulièrement à la suite de l’ascension de l’actuel prince héritier saoudien, Mohammed bin Salman, et de la montée en puissance de Jared Kushner dans l’administration de son beau-père. D’autres investissements dans Vision Fund sont venus d’Apple, de Qualcomm et de Larry Ellison, le patron d’Oracle, toutes ces entreprises technologiques ayant des liens étroits avec le gouvernement israélien.

Les liens des gouvernements saoudien et émirati avec Vision Fund sont si évidents que même les grands médias comme le New York Times les ont décrits comme une “façade pour l’Arabie saoudite et peut-être pour d’autres pays du Moyen-Orient”.

SoftBank entretient également des liens étroits avec Jared Kushner, le Fortress Investment Group ayant prêté 57 millions de dollars à Kushner Companies en octobre 2017 alors qu’il était sous contrat pour être acquis par SoftBank. Comme Barron’s l’a fait remarquer à l’époque :

Lorsque SoftBank Group a acheté Fortress Investment Group l'an dernier, la société japonaise achetait l'accès à un corps d'investisseurs chevronnés. Ce que SoftBank a également obtenu, c'est un lien financier avec la famille du conseiller principal et gendre du président Donald Trump, Jared Kushner.

Selon The Real Deal, Kushner Companies a obtenu le financement de Fortress seulement après que ses tentatives d’obtenir un financement par le biais du programme de visa EB-5 pour une entreprise immobilière spécifique aient été abandonnées après que le procureur américain et la Securities and Exchange Commission ont commencé à enquêter sur la façon dont Kushner Companies a utilisé le programme de visa d’investisseur EB-5. Un facteur clé de l’ouverture de cette enquête a été le fait que les représentants de Kushner Companies ont fait valoir la position de Jared Kushner à la Maison-Blanche lors de leurs entretiens avec des investisseurs et des prêteurs potentiels.

SoftBank est également venu récemment en aide à un ami de Jared Kushner, l’ancien PDG de WeWork, Adam Neumann. Neumann a fait des déclarations choquantes sur ses liens avec Kushner et MBS, affirmant même qu’il avait travaillé avec les deux pour créer le très attendu et controversé “plan de paix” de Kushner au Moyen-Orient et a affirmé que lui, Kushner et MBS allaient ensemble “sauver le monde”. Neumann a déjà appelé Kushner son “mentor”. MBS a également discuté à plusieurs reprises de ses liens étroits avec Kushner et les médias américains ont fait état de la correspondance fréquente entre les deux “princes héritiers”.

Notamment, SoftBank a investi dans la société WeWork de Neumann en utilisant l’argent de Vision Fund, dominé par l’Arabie Saoudite, et a ensuite essentiellement renfloué la société après l’échec de sa vente sur le marché public et le retrait de Neumann. Le fondateur de SoftBank, Masayoshi Son, avait une relation étrange mais très étroite avec Neumann, ce qui explique peut-être pourquoi Neumann a été autorisé à partir avec 1,7 milliard de dollars après avoir amené WeWork au bord de l’effondrement. Notamment, près de la moitié des quelque 47 milliards de dollars investis par SoftBank dans l’économie américaine depuis l’élection de Trump, ont servi à acquérir puis à renflouer WeWork. Il est peu probable qu’un investissement aussi désastreux ait entraîné le niveau de création d’emplois que Son avait promis à Trump en 2016.

Étant donné qu’elle est de loin le premier investisseur et actionnaire de Cybereason, les liens de SoftBank avec l’administration Trump et les principaux alliés de cette administration sont importants à la lumière de l’intérêt bizarre de Cybereason pour les scénarios d’élections américaines de 2020 qui se terminent par l’annulation de l’élection présidentielle de cette année. Il va sans dire que l’annulation de l’élection signifierait la continuité de l’administration Trump jusqu’à ce que de nouvelles élections aient lieu.

De plus, les liens étroits et durables de Cybereason avec les services de renseignements militaires israéliens étant maintenant bien documentés, il est utile de se demander si les services de renseignements militaires israéliens envisageraient d’intervenir en 2020 si le potentiel candidat Démocrate était fortement opposé à la politique du gouvernement israélien, en particulier à l’occupation militaire de la Palestine par Israël. Cela vaut particulièrement la peine d’être considéré étant donné les révélations selon lesquelles le maître-chanteur sexuel et pédophile Jeffrey Epstein, qui a ciblé d’éminents politiciens américains, pour la plupart Démocrates, travaillait pour les renseignements militaires israéliens.

Il faut remarquer que le scénario d’une élection présidentielle apocalyptique selon Cybereason impliquent l’utilisation d’armes de contrefaçon, de voitures sans chauffeurs et de dispositifs de piratage de l’Internet des objets, toutes ces technologies étant mises au point et perfectionnées – non pas par la Russie, la Chine ou l’Iran – mais par des sociétés directement liées aux services de renseignement israéliens, tout comme Cybereason elle-même. Ces entreprises, leur technologie et le travail de Cybereason lui-même, qui créent le récit selon lequel les États rivaux des États-Unis cherchent à saper l’élection américaine de cette manière, seront tous abordés dans la conclusion de la série de MintPress sur Cybereason et son intérêt outrancier pour le processus démocratique américain.

Whitney Webb

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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