Par Dmitry Orlov – Le 3 Janvier 2016 – Source Club Orlov
Beaucoup de commentateurs à l’esprit très aiguisé ont récemment commencé à signaler un problème avec le plan de Donald Trump pour « rendre sa grandeur à l’Amérique » : le manque de fonds. Les États-Unis sont en faillite : ils s’affaissent de plus en plus sous le poids de dettes non remboursables, incapables d’atteindre un taux de croissance économique qui pourrait jamais leur permettre de rattraper le fardeau croissant de leur dette. On est au milieu d’une bulle financière géante qui est soutenue par diverses escroqueries et rackets, avec des prêts sur les voitures dont le terme dépasse la durée de vie utile de la voiture, des déficits des fonds de retraite causés par des taux d’intérêt effectivement négatifs, la dette éducative qui condamne toujours plus de jeunes à une vie de servitude volontaire et contractualisée, un racket médical qui mange maintenant plus de 20% de l’économie tout en fournissant un des pires niveaux de bien-être du monde développé… Les tentatives pour résoudre n’importe lequel de ces problèmes vont se heurter inévitablement à des conflits politiques et de vieilles contradictions insolubles tout en faisant éclater la bulle financière et en transformant le domaine politique en un très grand parti de gens en colère. Mieux vaut pas s’y risquer !
Ainsi, le plan de Trump pour « rendre encore une fois sa grandeur à l’Amérique » à travers des dépenses d’infrastructure, le rapatriement des emplois manufacturiers et d’autres grandes quêtes, devra attendre, peut-être pour toujours. Toutes ces choses nécessiteraient de contracter encore plus de dettes, alors que partout dans le monde, tout le monde essaie de se défausser de la dette américaine aussi vite que possible, laissant la Réserve fédérale comme l’acheteur de dernier recours de celle-ci. Cela aura pour effet de transformer la dette souveraine des États-Unis en un pur régime de Ponzi, et les régimes de Ponzi ne durent pas très longtemps. Mais si l’exigence de « rendre sa grandeur à l’Amérique » est non négociable, quelles sont les alternatives ?
Dans de telles circonstances, l’histoire sert souvent de bon guide. Qu’est-ce qui a rendu l’Amérique grande par le passé ? Certaines personnes voudraient peut-être que vous croyiez que c’était dû au travail acharné, au courage, à la jugeote, à l’honnêteté et à l’innovation, mais une telle adulation et une telle flatterie sont tout à fait inconvenantes. Non, ce qui a fait l’Amérique grande par le passé a été de cueillir les fruits de la production des autres sous forme de dîme. Voyons quelques exemples.
1. Tout a commencé quand les États-Unis ont décidé de quitter l’Empire britannique. Cet événement est souvent présenté comme une révolte fiscale par de riches propriétaires fonciers, mais il y a plus que cela : il a permis aux anciennes colonies de piller et de s’accaparer le fruit des exploitations britanniques en finançant et équipant des « corsaires », c’est-à-dire des pirates. Cela a duré un certain temps.
2. La guerre civile, qui a détruit l’économie agraire du Sud, a également donné un coup de fouet majeur, fournissant ainsi une main-d’œuvre bon marché et des matières premières aux industries du Nord. Beaucoup de gens dans le Sud sont encore en train de se remettre psychologiquement de cet événement, quelque 15 décennies plus tard. C’était la première guerre menée à une échelle industrielle, et une guerre fratricide en plus. De toute évidence, les Américains ne sont pas des gens à se poser trop de questions s’il y a un ou deux billets à se faire.
3. Au début du XXe siècle, la Première Guerre mondiale a fourni aux États-Unis une riche source de pillage sous la forme des réparations allemandes. Non seulement cela a alimenté les soi-disant Années rugissantes, mais cela a également poussé l’Allemagne à embrasser le fascisme dans la poursuite de l’objectif à long terme de créer un proxy à utiliser contre l’URSS.
4. Lorsque, en 1941, ce plan se concrétisa et qu’Hitler envahit l’URSS, les États-Unis espéraient une prompte reddition des Soviétiques. Ils ne se sont joints à la mêlée qu’une fois devenu clair que les Allemands seraient vaincus. Au lendemain de ce conflit, ils ont récolté une grosse fortune sous la forme de l’argent et de l’or des juifs qui avaient fui l’Europe pour les États-Unis. Ils ont pu réutiliser leur outil industriel du temps de guerre pour fabriquer des produits civils, qui avaient peu de concurrence parce que de nombreux centres de production en dehors des États-Unis avaient été détruits pendant la guerre.
5. Après l’effondrement de l’URSS, fin 1991, les États-Unis ont envoyé des consultants qui ont organisé une campagne de pillage en gros, avec une grande partie de la richesse expropriée à la population russe et expédiée à l’étranger. C’est la dernière fois que les Américains ont pu filouter une somme d’argent fantastique dans la poche des autres, ce qui leur a donné un autre bail temporaire sur la vie.
Mais après cela, les recettes ont diminué. Pourtant, les Américains ont continué à y travailler. Ils ont détruit l’Irak, tué Saddam Hussein et ont fui avec un peu de l’or et des trésors irakiens. Ils ont détruit la Libye, tué Mouammar Kadhafi et se sont enfuis avec l’or de la Libye. Après avoir organisé le putsch en Ukraine en 2014, tirant sur une foule à l’aide de tireurs d’élite étrangers et contraignant Viktor Ianoukovitch à l’exil, ils ont chargé l’or ukrainien dans un avion en profitant de l’obscurité et l’ont aussi emmené. Ils espéraient faire de même en Syrie en formant et en équipant une bande de terroristes, mais nous savons tous à quel point cela s’est avéré difficile pour eux. Mais cela n’est que du menu fretin et le butin est bien trop maigre pour alimenter même un réveil temporaire, purement notionnel, de la grandeur américaine d’autrefois. Que doit faire une pauvre et ancienne superpuissance en faillite ?
Ce dont le président élu Trump a besoin, c’est d’un projet prêt à l’emploi pour ramener des quantités significatives de butin impérial vers la patrie – assez pour produire un certain nombre de boules brillantes et de babioles de fantaisie, à distribuer aux personnes comme des symboles de la grandeur ravivée. Le problème est : qu’est-ce qu’il reste à piller ? Le ratio de la dette globale par rapport au PIB est quelque part autour de 300%, et un pays en faillite qui vole une autre nation en faillite, cela ne fait pas un butin significatif. Les nations qui ne sont pas en faillite et qui ont une faible dette et des réserves abondantes de devises et d’or – la Russie et la Chine – ne sont pas exactement des cibles faciles. Attaquez la Russie, et vous vous retrouvez sur le dos sans vous souvenir de ce qui vient de se passer. Attaquez la Chine, et vous en prenez pour une décennie d’acupuncture extrêmement coûteuse et extrêmement douloureuse. L’Iran pourrait sembler une cible plus abordable, et Trump a émis quelques bruits de botte dans sa direction, mais les Perses sont très difficiles aussi, et ont déjà perfectionné l’art d’être retors depuis près de 26 siècles maintenant. De plus la Chine, la Russie et l’Iran comprennent extrêmement bien ce jeu et travaillent maintenant la main dans la main, narguant les États-Unis d’essayer quelque chose de nouveau. Contre eux, l’équipe de Tump ferait office de puceau sortant du bois.
Et ainsi, par un processus d’élimination, nous arrivons au seul choix évident : les monarchies du golfe Persique, avec l’Arabie saoudite comme premier choix. Bien sûr, l’Arabie saoudite est un protectorat des États-Unis, et doit son existence à un accord négocié en 1945 par le roi Abdulaziz ibn Saoud et le président Franklin D. Roosevelt. Mais ce n’est pas un problème : le Sud d’avant-guerre était bien l’Amérique aussi, mais cela n’a pas empêché le Nord de l’attaquer. Tout ce qu’il faudrait, c’est une annonce dramatique de changement de politique étrangère : « Arabie Saoudite pas bon. Président Trump très déçu. »
Pourquoi un tel changement politique ? Parce que c’est vraiment nécessaire, et le timing est essentiel. L’Arabie saoudite a encore des réserves financières abondantes, mais elles diminuent rapidement à mesure que le pays brûle ses richesses dans un effort pour maintenir sa population de consommateurs inutiles dans un confort relatif. Il a des réserves de pétrole abondantes (bien qu’en diminution progressive en qualité et en énergie nette en raison des nombreux problèmes d’approvisionnement en eau ainsi que d’autres soucis), mais il en brûle aussi plus vite qu’il ne le faudrait. Vous voyez, l’Arabie saoudite est un fournisseur de pétrole brut, mais il est aussi un toxicomane du pétrole brut, et il en utilise progressivement de plus en plus. C’est ce qu’on appelle le modèle des pays exportateurs : les pays producteurs de pétrole ont tendance à investir leurs revenus pétroliers dans la croissance économique, ce qui augmente la consommation d’énergie. Détruire l’économie saoudienne tout en préservant son industrie pétrolière libérerait beaucoup de pétrole pour en exporter à nouveau.
Ce qui rend ce projet applicable immédiatement, c’est que l’Arabie saoudite est une cible très accessible. Tout d’abord, elle est remplie d’imbéciles. Ces gens épousent leurs cousins au premier degré depuis longtemps, et après quelques générations d’une telle consanguinité, leur QI peut être compté sur leurs doigts et leurs orteils, si l’on peut encore le compter. Le système éducatif saoudien n’aide pas non plus : il se concentre principalement sur l’apprentissage du Coran et des textes apparentés, avec précisément zéro effort mis sur la pensée critique et indépendante et le type d’esprit fort et rebelle qui rend les pays difficiles à conquérir et à contrôler. L’économie dépend presque entièrement de la main-d’œuvre étrangère, puisque les Saoudiens eux-mêmes n’aiment pas trop travailler et ce bassin de main-d’œuvre étrangère peut être facilement effrayé et renvoyé chez lui. Enfin, les Saoudiens sont misérablement faibles sur le plan militaire, comme cela a été démontré par leur incapacité à progresser au Yémen (en plus de provoquer une crise humanitaire). Tous leurs systèmes d’armes sont fabriqués aux États-Unis et peuvent être désactivés sur ordre en coupant le flux d’entrepreneurs, de consultants et de pièces de rechange. (Contrairement aux trucs russes, qui peuvent fonctionner de façon autonome pendant des décennies et peuvent généralement être réparés avec un marteau et un tournevis, l’armement américain a tendance à être high-tech et pointilleux.)
Mais qu’est-ce qui pourrait servir de base à un changement aussi radical ? Et bien, il y a un certain temps déjà que ce point est inscrit à l’ordre du jour américain, appelé « la guerre contre le terrorisme ». Bush W. l’a lancé, et Obama l’a poursuivi pendant sa ridicule présidence intérimaire. Trump pourrait évidemment la déclarer « catastrophique » et l’abandonner, ou il pourrait dire quelque chose de simple : le lieu réel du terrorisme mondial ne se trouve dans aucun des pays attaqués à ce jour, mais en Arabie saoudite. À partir de là, son idéologie wahhabite totalitaire et vénéneuse se répand de loin en loin et elle a soutenu et continue de soutenir les terroristes en de nombreux endroits, y compris parmi les Tchétchènes en Russie et les Ouïghours en Chine, al-Nusra en Syrie, ISIS en Syrie et en Irak et dans de nombreux autres endroits dans le monde. Ainsi, il devrait être facile d’obtenir des Russes et des Chinois un accord sur ce plan pour neutraliser les Saoudiens. Les Iraniens ne seraient pas uniquement d’accord d’accepter le deal, mais pourraient aussi en profiter pour esquisser un pas de danse dans les rues.
Au-delà de la libération du monde du terrorisme islamique, la neutralisation de l’Arabie saoudite servirait à un but moins pratique mais encore plus important : convaincre l’islam de passer d’une idéologie totalitaire de domination sociale et politique à une pratique religieuse traditionnelle. Oui, le Coran a des passages très funky, comme la sourate 4:89 : « Ceux qui rejettent l’Islam doivent être tués. » Eh bien, l’Ancien Testament de la Bible a aussi des passages très funky, et vous pourriez même les lire à haute voix dans une classe d’étude biblique, ce qui est mieux (j’espère) que d’aller prêcher dans les rues sur les vertus du viol, de la circoncision forcée et des meurtres de masse seulement parce que c’est quelque part dans la Bible. La démocratie et le pluralisme exigent que le droit civil prenne le pas sur le droit religieux (qui peut être très limité) et que toute loi doit être fondée sur la raison et non sur la foi (pas de bûchers pour les sorcières, pas de lapidation pour les adultères). L’islam peut être rendu sociable, et il y a des exemples de comment cela peut être fait, mais d’abord le monde musulman doit clamer la répudiation de son idéologie totalitaire et de son système de droit. Un bon point de départ serait la patrie de cette idéologie – l’Arabie saoudite – qui a, jusqu’à présent, injustement bénéficié d’une dispense spéciale envers ces normes fondamentales de pratique civilisée.
La première volée pourrait consister en quelques demandes simples. L’Arabie saoudite doit rejoindre la communauté des nations civilisées et garantir l’égalité des droits des femmes et des minorités sexuelles, la liberté de religion des non-musulmans et des athées, le droit aux différents groupes religieux de se marier entre eux, une feuille de route vers l’ordre constitutionnel, la démocratie représentative et le renoncement au principe d’application de la doctrine religieuse aux affaires civiles. Les choses peuvent facilement monter en charge à partir de là : un peu de bombardements ici, un peu d’émeutes là, et après un moment tous les travailleurs invités rentrent à la maison, la consommation de pétrole saoudien s’effondre, et l’industrie pétrolière repasserait sous contrôle étranger et la richesse serait expropriée et mise à au service de l’Amérique pour « lui rendre une nouvelle fois sa grandeur. » Ce dernier morceau pourrait ne pas passer auprès de tout le monde, mais le plan d’ensemble a tant de caractéristiques positives que la plupart des gens pourraient s’en accommoder de toute façon. Les Européens en particulier, gémissant sous un flot de migrants islamiques, un certain nombre d’entre eux radicalisés par les enseignements saoudiens, souhaitent une méthode pour défigurer et socialiser l’islam, pour produire une autre religion dont les praticiens évitent d’utiliser le mot « infidèle » comme une gifle au visage et ont de meilleures intentions que celles d’essayer d’imposer les prescriptions ataviques de leur religion sur la communauté environnante, largement laïque.
Si Trump ne casse pas l’œuf en chocolat qu’est l’Arabie saoudite en l’ouvrant et ne s’enfuit pas avec le jouet à l’intérieur, alors quelqu’un d’autre le fera. Les jours de l’Arabie saoudite sont comptés. Pour l’instant, elle est encore riche en argent, en pétrole, en sable et en imbéciles, mais les deux premiers brûlent à toute vitesse et de plus en plus vite. Il suffit d’attendre une dizaine d’années, et le sable et les imbéciles seront tout ce qui restera. Quelqu’un va essayer de leur venir en aide et dérober ce qui reste du prix bien avant. Ce pourrait aussi être les Américains : ils ont sorti ce royaume désertique de son sous-développement. Ils pourraient aussi bien être ceux qui l’achèvent pour de bon.
Dmitry Orlov
Note du Traducteur Pour une fois, je me permets une petite critique du texte sur le niveau intellectuel des « bédouins » d'Arabie saoudite. Si le système social en vigueur devrait être réformé car il pose éventuellement des problèmes au sein de la population, il est beaucoup moins sûr que les élites saoudiennes soient aussi dégénérées que Dmitry Orlov semble le penser, à part le jeune Cheik au pouvoir, qui semble un peu énervé. D'abord nos propres « zélites » en France leur mangent dans la main, mais là aussi, il y a peut-être des soucis de consanguinité encore plus graves, vu qui mange dans la main de qui. Ensuite les Saoudiens sont aussi en train de faire leur pivot vers l'Asie et la mariée est peut être en train de se fabriquer une ceinture de chasteté en or massif. C'est oncle Sam qui risque de tomber du lit quand il soulèvera la robe nuptiale. On peut imaginer qu'il ne faudrait pas longtemps pour que Chinois et Russes retournent les Saouds, ce qui aurait de quoi faire transpirer Washington et Paris, si, comme je l'avais déjà indiqué dans un ancien commentaire, les Saouds ont des dossiers compromettants sur les élites politiques et journalistiques occidentales. Ils auraient été bien idiots de ne pas en faire.
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone
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