Christophe Oberlin : « Israël n’est pas un État, c’est un lobby »


Entretien avec Christophe Oberlin, chirurgien français, un des meilleurs connaisseurs de la politique palestinienne. Il a consacré plusieurs ouvrages à témoigner de ce qu’il a observé lors de ses multiples missions chirurgicales à Gaza.

Le 26 juin 2006, le caporal franco-israélien Gilad Shalit est capturé par un commando palestinien lors d’une attaque menée, via un tunnel, au sud de Gaza. Détenu dans un lieu gardé secret, il ne sera finalement libéré qu’après cinq ans de négociations secrètes indirectes entre Israël et le Hamas, le 18 octobre 2011, en échange de la libération de 1027 prisonniers palestiniens.

Dans l’intervalle deux opérations meurtrières auront été menées par l’armée israélienne contre la bande de Gaza, en 2006 et en 2008-2009, faisant plus de 1500 morts et près de 6000 blessés palestiniens.

Dans son dernier ouvrage intitulé L’échange – Le soldat Shalit et les Palestiniens(1), Christophe Oberlin retrace toute cette période, marquée par une résistance héroïque, noyée dans le sang par Israël. Il dévoile le douloureux sort des prisonniers palestiniens dont la détention illégale – contrairement à Shalit – n’a jamais retenu l’attention de la presse occidentale traditionnelle.

Il répond ici aux questions de la journaliste suisse Silvia Cattori.

france shalitLe soldat franco israélien Gilad Shalit sur le perron de l’Elysée avec Nicolas Sarkozy, le 8 février 2012 Photo Lionel Bonaventure. AFP

Silvia Cattori: Vous relevez qu’en juin 2006, au moment de la capture du soldat Shalit, 9500 Palestiniens croupissaient dans les geôles israéliennes, «dont près de 10% enfermés en détention administrative, c’est- à-dire sans charge ni jugement», en butte à des abus et difficultés de tous ordres. Le délit de «menace pour la sécurité d’Israël s’appliquant à des actions comme la participation à une manifestation ou à la distribution d’un tract», vous soulignez que, de 1967 à 2006, 650 000 Palestiniens ont été incarcérés à ce titre dans des prisons israéliennes et que, «à la date de la capture de Shalit, c’est 40% de la population masculine palestinienne adulte qui a été déjà emprisonnée au moins une fois en Israël». Ce sont des chiffres qui font tourner la tête. Il s’agit de Palestiniens vivant sous occupation, abusés, kidnappés et violentés par Israël en toute impunité. Doit-on en conclure que l’occupant se sert systématiquement de l’emprisonnement arbitraire pour briser l’esprit de résistance des Palestiniens ? Cette politique a-t-elle changé depuis 2006 ? Quel est aujourd’hui son impact ?

Christophe Oberlin: La stratégie israélienne a été jusqu’à présent une stratégie de destruction physique, économique, mentale de tout ce qui est situé au-delà du Mur.  On peut dire sans risque de se tromper que c’est un échec sur les trois plans. Quatre cents Palestiniens naissent chaque jour, et les Palestiniens sont majoritaires sur le territoire de la Palestine historique ; celle qui a été reconnue comme État par la Société des Nations et à exercer la souveraineté d’éditer des passeports palestiniens entre 1922 et 1947. Un État certes sous mandat, mais un État au sens politique wébérien du terme. Aujourd’hui sur l’ensemble contrôlé par Israël, le territoire de 1948, la Cisjordanie, Gaza, le Golan, les Palestiniens sont majoritaires.

Sur le plan économique les Palestiniens survivent, difficilement mais ils survivent. La situation à Gaza est particulièrement difficile, mais on peut penser que la dictature du maréchal Sissi ne sera pas éternelle : la situation économique des Égyptiens est pire que celle des Palestiniens de Gaza.

Enfin, mentalement, les Palestiniens n’ont jamais été aussi forts : la répression produit notamment des élites ultra-éduquées encore plus revendicatives que la génération précédente.

À ce triple échec s’ajoute le soulèvement de la jeunesse en cours qui, de l’aveu même du directeur d’état-major de l’armée israélienne, impose pour la première fois depuis 1948 une réorientation stratégique vers une stratégie de défense et d’alerte précoce. C’est le territoire de 1948 lui-même qui est menacé, alors que des vidéos circulent sur les médias sociaux montrant des soldats israéliens fuyant à l’annonce d’un Palestinien peut-être armé d’un seul couteau.

Silvia Cattori: Les médias de l’establishment ont souvent parlé du cas Shalit. Comment expliquez-vous que, quand il s’agit des détentions arbitraires et de l’usage de la torture dans les prisons israéliennes qui frappent les Palestiniens, ils n’en parlent jamais? Pourquoi ces deux poids deux mesures?

Christophe Oberlin: La période de détention de Shalit entre 2006 et 2011 correspond, j’ose l’espérer, à la fin d’une époque qui est celle d’un contrôle massif des médias par le lobby sioniste. Ce lobby est un navire qui fait eau de toutes parts. Ce qui se passe dans les prisons israéliennes n’est pas encore diffusé, mais les crimes de guerre comme les assassinats de civils désarmés sont désormais filmés et médiatisés, à tel point qu’Israël pour la première fois est obligé d’en tenir compte. Les dossiers s’accumulent sur le bureau de la Cour pénale internationale, comme autant de nuages dans le ciel israélien. Quant au fait d’avoir utilisé à fond la double nationalité de Shalit [franco-israélien] pour prétendre le faire libérer, ce fut en réalité une chance pour les Palestiniens qui en ont profité à fond lors des négociations.

Silvia Cattori: Vous rappelez dans votre ouvrage que Mahmoud Abbas (2) s’est d’abord précipité pour condamner la capture de Shalit. N’est-ce pas là une pure trahison de la cause palestinienne? L’Autorité palestinienne a-t-elle encore une quelconque crédibilité ?

Christophe Oberlin: Des livres entiers pourraient être écrits sur les trahisons de l’Autorité palestinienne, et on pourrait citer les deux plaintes pour crime de guerre déposées à la Cour pénale internationale par les Palestiniens et bloquées, transitoirement, par l’Autorité palestinienne.

Mais voyons les choses plus largement. Lorsqu’on n’arrive pas à se mettre d’accord sur une question, c’est souvent que celle-ci est mal posée. Israël n’est pas un État, c’est un lobby. Un lobby utilise tous les moyens, mensonge, illégalité, violence. Cela ne sert à rien de tenter de négocier avec un lobby. L’Autorité palestinienne n’a intrinsèquement aucune autorité, légalement aujourd’hui aucune légitimité. Elle est financée en tant que supplétif d’un pouvoir colonial. Il n’y a donc rien à attendre de deux acteurs qui jouent une pièce de théâtre qui n’a rien à voir avec la réalité.

Silvia Cattori : Pendant que l’attention du public est tournée vers les guerres atroces qui se déroulent dans les pays voisins, qu’Israël a du reste contribué à fomenter, celui-ci semble n’avoir rien à craindre. Le temps et le chaos jouent-ils en sa faveur selon vous ?

Christophe Oberlin: Je crois plutôt que c’est l’inverse. Malgré les épreuves inqualifiables imposées aux populations du Proche-Orient, la balkanisation souhaitée n’est pas en train de s’accomplir. L’embargo puis les guerres occidentales en Irak n’ont pas soustrait ce pays à la sphère iranienne. L’État syrien, au sens exact du terme, n’a pas disparu pour toujours. La construction d’un Liban tribal est un échec. Quant à Israël il est frappant de constater un basculement qui s’exprime aujourd’hui bien au-delà des spécialistes ou des militants. On parle de moins en moins des frontières de 1967. (3) Le constat est là : un État basé sur la guerre permanente externe et interne n’a pas d’avenir. Et l’égalité des droits, revendication anticoloniale bien classique, cela signifie la disparition du sionisme et l’avènement d’un État palestinien où tous auront les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Je vous remercie infiniment.

Propos recueillis par Silvia Cattori le 23 avril 2016 – Arret sur Info

(1) L’échange, le soldat Shalit et les Palestiniens, par Christophe Oberlin, Editons Erick Bonnier: 2016.

(2) L’Autorité palestinienne, basée à Ramallah, est maintenue au pouvoir par l’aide financière de l’UE

(3) La narration véhiculée par le lobby occulte le fait que l’injustice remonte à la création d’Israël en 1948 et non pas en 1967

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