Bulgarie: les implications de la politique anti-russe


Par Dmitry Minin – Le 23 juillet 2015 – Source: Strategic Culture

La crise de la dette grecque et l’Ukraine au bord de l’effondrement sont les questions à la une. On accorde moins d’attention à la Bulgarie, bien que ce pays puisse bientôt devenir un nouveau casse-tête pour l’Europe. Le gouvernement bulgare est loyal à l’égard des États-Unis, mais il pourrait se transformer en maillon faible parmi les alliés européens de l’Est qui dépendent beaucoup de Washington.

Gary Edward MacDougal, co-président de la Fondation Amérique pour la Bulgarie croit que le président russe Vladimir Poutine veut faire accéder un gouvernement pro-russe au pouvoir en Bulgarie. Il écrit que dans un discours à Sofia aux membres de la Fondation Amérique pour la Bulgarie, le président bulgare Rosen Plevneliev a comparé, comme il le dit, «l’agression de sape furtive contre la Bulgarie» de Moscou à une tentative style cheval de Troie pour pénétrer l’Otan. La Russie n’aura pas besoin de recourir à la force pour prendre le contrôle sur le pays. C’est la véritable crainte exprimée par le président Plevneliev et reprise par d’autres dirigeants bulgares. De nombreux Bulgares ont longtemps eu des sentiments positifs à l’égard de leurs anciens alliés d’Union soviétique. Par ailleurs, la Bulgarie dépend du gaz russe, et la capacité de Moscou de fermer le robinet de l’énergie en hiver commande les cœurs et les esprits des Bulgares.

L’enquête menée par l’Institut bulgare de politique moderne entre le 26 juin et le 4 juillet montre que 71.4% des personnes interrogées disent non aux plans qui envisagent le pré-positionnement d’équipement militaire US en Europe de l’Est et en Europe centrale, y compris en Bulgarie. Les stocks prépositionnés pour être entreposés sur des bases alliées sont suffisants pour équiper une brigade de 3 000 à 5 000 soldats. Seuls 7.2% des personnes interrogées ont soutenu cette idée. Combien de systèmes d’armes seront déployés n’est pas vraiment important. Ce qui importe vraiment est le fait que les forces états-uniennes seront stationnées sur le territoire d’États qui étaient membres de l’Organisation du Pacte de Varsovie. C’est contraire à tous les accords conclus dans la période Gorbachev-Eltsine. La question n’a pas été posée au pays hôte, mais lui a été notifiée. Cela a été fait d’une manière assez condescendante. L’armée américaine dit que la décision est arrêtée et que la seule chose à discuter est où exactement l’équipement sera entreposé, selon le colonel de l’armée US Steve Warren, directeur des services de presse du Pentagone.

Lorsque cela s’est produit, personne n’avait entendu parler de ces plans au ministère bulgare de la Défense. Même le Premier ministre Boiko Borisov, connu pour sa tendance pro-US, n’a pas été mis au courant. Pourquoi les Américains le feraient-ils une fois qu’il est des nôtres ?

Le président Plevniev a tenté de faire comme s’il était prévu que Washington demande son consentement pour le déploiement. Jusqu’ici, l’affaire n’a pas été discutée. En même temps, il a dit que la Bulgarie agirait comme un membre de l’Otan responsable. Cette position va à l’encontre de l’opinion de sa population, mais il craint que quelqu’un, outre-mer, prenne pour une liberté de pensée inadmissible ses tentatives prudentes d’afficher une prétendue indépendance.

L’ancien ministre des Affaires étrangères Solomon Isaac Passy a proposé de stationner en Bulgarie 1 400 chars au lieu de 14. Lors d’une visite à Washington entre le 13 et le 17 juillet, le ministre des Affaires étrangères en titre, Daniel Mitov, a déclaré avec servilité qu’aucun autre pays n’était aussi proche de la Bulgarie que les États-Unis et que la relation bilatérale était en plein essor.

La Bulgarie aide l’Ukraine dans la réhabilitation en soignant des blessés qui ont combattu dans la zone de guerre, le Donbass, tandis que le tourisme russe a diminué de 60% cette année. Les médias ont évoqué à de nombreuses occasions l’aide militaire que fournit la Bulgarie à l’Ukraine.

Depuis quelques temps, les dirigeants occidentaux rechignent à se rendre à Kiev. Ils ne veulent pas être associés avec le régime, ni avec ce qu’il fait. C’est pourquoi Petro Porochenko a beaucoup apprécié que le président bulgare ait effectué une visite officielle en Ukraine. Celle-ci a commencé par un épisode très symbolique et scandaleux. Des partisans vigilants du mouvement de Maïdan ont enlevé quelque 200 drapeaux bulgares blanc-vert-rouge. Dans l’obscurité, ils les avaient pris pour des drapeaux tricolores russes. Tout est vu à la lumière de la confrontation avec la Russie dans l’Ukraine actuelle.

L’hôte n’y a pas prêté attention. Il n’est pas idiot et sait comment ravaler sa fierté nationale. Effectivement, les parties n’ont pas discuté de relation bilatérale, à part une déclaration ridicule sur l’intention de joindre leurs efforts en construisant un pont sur le Danube, «dans le cas où l’Union européenne fournit les fonds». Le président Plevneliev est connu comme russophobe en Bulgarie. Au cours de la visite, il a mis l’accent sur la Russie, l’accusant de violer la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Il a souligné le fait que la Bulgarie soutient les sanctions de l’Union européenne contre la Russie et veut qu’elles continuent.

Le fossé est profond entre cette position et les sentiments des gens. L’enquête mentionnée ci-dessus dit que 64.5% des personnes interrogées se sont exprimées contre les sanctions anti-russes pour seulement 15% qui les soutiennent. L’opposition aux sanctions émane de personne de tous âges : la jeunesse soumise au lavage de cerveau idéologique dans une plus large mesure que les autres (56%) et les sondés plus âgés (73%). Même parmi les partisans du Bloc réformiste, une alliance électorale de centre-droit en Bulgarie, l’idée des sanctions a obtenu 37% des soutiens. C’est ce qui fait peur à Washington – la différence d’opinion entre le gouvernement et le peuple bulgare. C’est ce qui les met en alarme, et non la prétendue main de Moscou.

La Maison Blanche fait danser ses alliés sur sa musique et supporte aussi la charge matérielle. Le Premier ministre Boiko Borisov reconnaît que le secteur national de l’agriculture a perdu 80 millions d’euros à la suite de la guerre des sanctions avec Moscou. Il voulait que l’Union européenne compense cette perte mais on ne lui a offert que 300 000 euros. Selon le ministre de l’Économie Bojidar Loukarsky, cette année, le montant du commerce avec la Russie a baissé de 15% à cause des sanctions. Depuis l’automne dernier, les Russes n’achètent pas de biens immobiliers dans les zones touristiques. L’ingénierie, l’industrie de la défense et la production de marchandises de consommation et de biens intermédiaires, toutes ces branches de l’économie sont touchées.

C’est seulement la pointe de l’iceberg. Les produits laitiers, les tomates et les pommes d’autres pays de l’Union européenne destinés à la Russie ont fini en Bulgarie. Ce processus est incontrôlé. Ils sont meilleur marché que les produits bulgares, en raison de subventions plus importantes. Résultat, la production laitière et l’élevage sont au bord de l’effondrement. Le tourisme souffre car les Russes préfèrent aller ailleurs. De nombreux hôtels, en particulier dans les petites régions urbaines, sont vides.

La situation est grave. Boiko Borisov a beaucoup contribué à contrecarrer des projets conjoints avec la Russie, y compris le South Stream. Cette fois, il a dû s’écarter de ce que le président Plevneliev avait dit. Selon lui, la Bulgarie n’a rien à voir avec le cheval de Troie. Le Premier ministre a dit au début de juin, dans une interview au premier directeur général adjoint de l’agence ITAR-TASS, Michael Gusman, qu’il voulait que les États-Unis et l’Union européenne aplanissent leurs divergences avec la Russie et mettent fin aux sanctions le plus tôt possible.

Il a dit que la Russie et la Bulgarie avaient des relations à deux niveaux – des liens historiques qui les protègent contre l’influence étrangère et des relations politiques affectées par les événements actuels.

Inutile de dire que la russophobie est un produit très demandé actuellement, mais dans l’ensemble, elle ne paie pas et elle est difficile à vendre. Elle n’apporte aucun bénéfice. Ce n’est certainement pas un instrument pour rendre un pays prospère.

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone

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