Le 13 avril 2017 − Source Agence Sana via sayed7asan
Interview de Bachar al-Assad, Président de la République Arabe Syrienne, par l’AFP
Transcription :
Journaliste : Monsieur le Président, je voudrais d’abord vous remercier de me recevoir pour cette interview. Monsieur le Président, avez-vous donné l’ordre d’attaquer Khan Cheikhoun avec des armes chimiques mardi dernier ?
Bachar al-Assad : En fait, personne n’a enquêté sur ce qui s’est passé ce jour-là à Khan Cheikhoun jusqu’à présent. Comme vous le savez, Khan Cheikhoun est sous le contrôle du Front al-Nosra qui est une branche d’al-Qaïda. Donc les seules informations dont a disposé le monde jusqu’à présent sont celles publiées par la branche d’al-Qaïda. Personne n’a d’autres informations. Nous ne savons pas si toutes les photos ou les images vidéos que nous avons vues sont vraies ou truquées. C’est la raison pour laquelle nous demandons qu’une enquête soit menée à Khan Cheikhoun. Voilà pour le premier point.
Deuxièmement, selon les sources d’al-Qaïda, l’attaque a eu lieu entre 6h et 6h30 du matin, alors que l’attaque syrienne sur cette même zone a eu lieu vers midi, entre 11h30 et 12h. Ils parlent donc de deux événements différents. Aucun ordre n’a donc été donné de déclencher une attaque.
D’ailleurs nous ne possédons pas d’armes chimiques, nous avons renoncé à notre arsenal il y a quelques années. Et même si nous possédions de telles armes, nous ne les utiliserions pas. Tout au long de notre histoire, nous n’avons jamais utilisé notre arsenal chimique.
Alors, qu’est-ce qui s’est passé ce jour-là ? Comme je viens de le dire, l’unique source de ces informations c’est al-Qaïda. Nous ne pouvons pas les prendre au sérieux.
Notre impression est que l’Occident, surtout les États-Unis, sont main dans la main avec les terroristes, et qu’ils ont monté toute cette histoire pour avoir un prétexte pour l’attaque. L’attaque n’a pas eu lieu à cause de ce qui s’est passé à Khan Cheikhoun. Nous sommes face à un seul et même événement : la première étape était le spectacle auquel nous avons assisté sur les réseaux sociaux et les chaînes de télévision, et la propagande (médiatique). La seconde étape était l’agression militaire.
C’est bien ce qui s’est produit à notre sens. Car, quelques jours seulement, 48 heures à peine ont séparé la campagne médiatique de l’attaque américaine, sans la moindre enquête, sans les moindres preuves tangibles de quoi que ce soit. Rien que des allégations et de la propagande (médiatique), puis les frappes ont eu lieu.
Journaliste : Donc, d’après vous, qui serait responsable de cette attaque chimique présumée ?
Bachar al-Assad : Les allégations elles-mêmes viennent d’al-Qaïda, du Front al-Nosra. Nous n’avons donc pas besoin de mener une enquête pour en savoir l’origine, ils les ont eux-mêmes annoncées. La région est sous leur contrôle, et il n’y a personne d’autre.
Quant à l’attaque, je viens de le dire, il n’est pas encore clair si elle a eu lieu ou non. Car, comment peut-on vérifier une vidéo ? Il y a tellement de vidéos truquées en ce moment, et il y a des preuves qu’elles étaient fausses, comme celles des Casques blancs par exemple. Ce sont des membres d’al-Qaïda, des membres du Front al-Nosra. Ils ont rasé leurs barbes, porté des casques blancs, et sont apparus comme des héros humanitaires. Ce qui n’est pas vrai, car ces mêmes personnes tuaient les soldats syriens, et les preuves se trouvent d’ailleurs sur Internet.
La même chose s’applique à cette attaque chimique. Nous ne savons pas si ces enfants ont été tués à Khan Cheikhoun. Nous ne savons même pas s’ils étaient vraiment morts. Et s’il y a eu une attaque, qui l’a lancée ? Et avec quel matériel ? Nous n’avons absolument aucune information, rien du tout, personne n’a enquêté.
Journaliste : Vous pensez donc que c’est une fabrication ?
Bachar al-Assad : Bien sûr, il s’agit pour nous d’une fabrication à 100%. Nous ne possédons pas d’arsenal (chimique), et nous n’allons donc pas l’utiliser.
Plusieurs indices le montrent, même avec l’absence de preuve, car personne ne possède d’informations ni de preuves tangibles, mais vous avez des indices. Par exemple, moins de deux semaines ou environ dix jours avant l’attaque, les terroristes avançaient sur plusieurs fronts, y compris dans la banlieue de Damas, et (dans la campagne de) Hama non loin de Khan Cheikhoun.
Supposons que nous disposions d’un tel arsenal, supposons que nous ayons la volonté de l’utiliser : pourquoi n’y avons-nous pas eu recours au moment où nos troupes reculaient et les terroristes gagnaient du terrain ? En fait, cette prétendue attaque coïncide avec la période durant laquelle l’armée syrienne progressait très rapidement, et où on assistait à la débâcle des terroristes qui s’effondraient. Pourquoi donc utiliser de telles armes, si d’ailleurs nous les possédions vraiment et avions la volonté de les utiliser, pourquoi les utiliser à ce moment précis et non au moment où on traversait une situation difficile ? En toute logique. Voilà pour le premier point.
Deuxièmement, à supposer encore une fois que vous possédiez de telles armes et que vous vouliez les utiliser, dans cette hypothèse, pourquoi les utiliser contre des civils et non contre les terroristes que nous combattons ?
Troisièmement, l’armée syrienne n’est pas présente dans cette zone, nous n’y menons pas de bataille, et nous n’avons aucun objectif à Khan Cheikhoun, qui n’est pas une zone stratégique. Pourquoi l’attaquer, d’un point de vue militaire ?! Pour quelle raison ? Je parle d’un point de vue militaire.
Évidemment, il s’agit essentiellement pour nous d’une question d’éthique, c’est-à-dire que nous n’aurions pas utilisé l’arme chimique même si nous la possédions. Nous n’aurions aucune volonté de l’utiliser, car ce serait intolérable sur le plan moral, et nous perdrions alors le soutien du peuple.
Tous les indices vont donc à l’encontre de toute cette histoire. Vous pouvez donc dire que cette pièce (de théâtre) qu’ils ont montée ne tient pas la route. L’histoire n’est pas convaincante, en aucune manière.
Journaliste : Avec la frappe aérienne américaine, Trump semble avoir changé dramatiquement de position à votre égard et à l’égard de la Syrie. Avez-vous le sentiment d’avoir perdu celui que vous avez auparavant qualifié d’éventuel partenaire ?
Bachar al-Assad : J’avais bien dit « si », je parlais au conditionnel : s’ils sont sérieux dans la lutte contre les terroristes, nous serons des partenaires. J’ai dit que cela ne concernait pas seulement les États-Unis, car nous sommes les partenaires de tous ceux qui veulent combattre les terroristes. C’est là pour nous un principe de base.
Mais il s’est avéré dernièrement, comme je l’ai dit tout à l’heure, qu’ils sont main dans la main avec ces terroristes, je veux dire les États-Unis et l’Occident, ils ne sont pas sérieux dans la lutte contre les terroristes. Hier encore certains de leurs responsables défendaient Daech, disant que Daech ne possédait pas d’armes chimiques. Ils défendent Daech contre le gouvernement syrien et contre l’armée syrienne. Donc en fait, vous ne pouvez pas parler de partenariat entre nous, nous qui luttons contre le terrorisme et combattons les terroristes, et les autres, qui les soutiennent ouvertement.
Journaliste : Pouvons-nous donc dire que la frappe américaine vous a fait changer d’avis au sujet de Trump ?
Bachar al-Assad : De toute manière, j’étais très prudent à exprimer toute opinion à son sujet auparavant, avant et après qu’il ne devienne Président. Je disais toujours : « Attendons de voir ce qu’il va faire. » Nous ne commentions pas les déclarations.
En effet, cette attaque est la première preuve qu’il ne s’agit pas tant du Président des États-Unis que du régime, de « l’État profond » des États-Unis. Il est toujours le même. Il ne change pas. Le Président n’est que l’un des acteurs sur la scène (américaine). S’il veut être un leader, il ne peut pas, car comme certains le disaient, Trump a voulu être un leader, mais tout Président US qui veut devenir un vrai leader va finalement ravaler ses mots, passer outre sa fierté au cas ou il en a, et faire un revirement à 180 degrés, sinon il en payera le prix politiquement.
Journaliste : Mais pensez-vous qu’il y aura une autre attaque ?
Bachar al-Assad : Tant que les États-Unis seront gouvernés par ce complexe militaro-industriel, ces entreprises financières et bancaires, ce qu’on peut appeler l’État profond qui œuvre aux intérêts de ces groupes, bien sûr que cela peut se reproduire n’importe quand et n’importe où, et pas seulement en Syrie.
Journaliste : Et votre armée et les Russes riposteront-ils si cela se reproduit ?
Bachar al-Assad : En fait, si vous voulez parler de représailles, nous parlons de missiles qui viennent de centaines de kilomètres, ce qui est hors de notre portée. Mais de fait, la vraie guerre en Syrie ne dépend pas de ces missiles, mais du soutien apporté aux terroristes.
C’est la partie la plus dangereuse dans cette guerre.
Notre riposte sera la même qu’au premier jour : écraser les terroristes partout en Syrie. Lorsque nous nous débarrasserons des terroristes, rien ne nous inquiétera plus. Telle est donc notre riposte, c’est une réponse (globale), et non une réaction (à un événement précis).
Journaliste : Vous dites donc qu’une riposte par l’armée syrienne ou par les Russes sera très difficile car les navires sont très éloignés.
Bachar al-Assad : C’est tout à fait vrai pour nous qui sommes un petit pays, tout le monde le sait d’ailleurs. C’est hors de notre portée. Je veux dire qu’ils peuvent lancer des missiles à partir d’un autre continent, tout le monde le sait. Les États-Unis sont une grande puissance, nous ne le sommes pas.
Quant aux Russes, c’est une autre affaire.
Journaliste : Accepteriez-vous les résultats d’une enquête menée par l’OIAC [Organisation pour l’interdiction des armes chimiques] ?
Bachar al-Assad : Dès 2013, lorsque les terroristes ont lancé leurs premières attaques contre l’armée syrienne en utilisant des missiles chimiques, nous avons réclamé une enquête. C’est nous qui avons demandé que des enquêtes soient menées. Chaque fois qu’il y a eu des attaques chimiques ou des allégations d’attaques chimiques, c’est nous qui avons demandé (une enquête).
Cette fois-ci, nous avons discuté hier avec les Russes, et durant les quelques derniers jours qui suivirent les frappes, et nous allons œuvrer ensemble en vue d’une enquête internationale.
Mais cette enquête doit être impartiale. Nous ne pouvons permettre d’enquête que si elle est impartiale, et en s’assurant que des pays impartiaux y prendront part, pour être sûrs qu’elle ne sera pas utilisée à des fins politisées.
Journaliste : Et s’ils accusaient le gouvernement, renonceriez-vous au pouvoir ?
Bachar al-Assad : S’ils accusent ou s’ils prouvent ? Il y a une grande différence. Car ils accusent déjà le gouvernement. Et si par « ils » vous voulez dire l’Occident, non, l’Occident ne nous intéresse pas.
Si vous parlez de l’OIAC, s’ils arrivent à prouver qu’une attaque a eu lieu, il faudra enquêter pour savoir qui a donné l’ordre de lancer une telle attaque.
Mais pour ce qui est de l’armée syrienne, une chose est à 100% certaine : nous ne possédons pas de telles armes, et nous ne pouvons pas, même si on le voulait, nous ne pouvons pas et nous n’avons pas les moyens nécessaires pour lancer une telle attaque, ni la volonté de le faire.
Journaliste : Vous voulez dire que vous ne possédez pas d’armes chimiques ?
Bachar al-Assad : Non, absolument pas. Il y a plusieurs années, en 2013, nous avons renoncé à tout notre arsenal. L’OIAC a déclaré que la Syrie est vide de toute matière chimique.
Journaliste : Je pose la question parce que les Américains ont dit qu’il y avait des armes chimiques dans la base aérienne, le niez-vous ?
Bachar al-Assad : Ils ont attaqué la base aérienne et détruit les dépôts qui contenaient différents matériels, mais il n’y avait pas de gaz sarin. Comment donc ? S’ils disent que nous avons lancé l’attaque au sarin à partir de cette même base aérienne, qu’est-il arrivé au sarin quand ils ont attaqué les dépôts ? A-t-on entendu parler de sarin ? Notre chef d’État-major est arrivé dans la base quelques heures seulement après l’attaque. Comment a-t-il pu y aller s’il y avait du sarin ? Comment a-t-on pu avoir seulement six martyrs, sur des centaines de soldats et d’officiers présents sur les lieux ? S’il y avait du sarin dans la base, comment se fait-il que les autres n’en sont pas morts ?
Dans ces mêmes vidéos truquées que nous avons vues sur Khan Cheikhoun, lorsque les secouristes essayaient de venir en aide aux victimes ou aux personnes supposées affectées, ils ne portaient ni masques ni gants de protection. Comment donc ? Où est donc le sarin ? Ils auraient dû en être immédiatement affectés.
Tout cela n’est donc qu’allégations. Je veux dire que cette attaque américaine et ces allégations constituent une preuve supplémentaire sur la fabrication et le fait qu’il n’y avait de sarin nulle part.
Journaliste : Si vous dites ne pas avoir donné l’ordre, est-il possible que des éléments indisciplinés de l’armée aient lancé cette attaque chimique ?
Bachar al-Assad : Même s’il y a un élément incontrôlé, l’armée ne possède pas de matières chimiques. Voilà pour le premier point.
Deuxièmement, un élément indiscipliné ne peut pas envoyer un avion de son propre chef, même s’il le veut. C’est un avion et non pas un petit véhicule aisément déplaçable ou une petite mitrailleuse qu’il peut utiliser à son gré. Ce serait possible si on parlait d’un pistolet que quelqu’un utilise à sa guise et utilise pour violer la loi, chose qui peut arriver partout dans le monde, mais c’est impossible lorsqu’il s’agit d’un avion. Voilà pour le deuxième point.
Et troisièmement, l’armée syrienne est une armée régulière et non pas une milice. Elle est structurée et hiérarchisée, avec des mécanismes très clairs pour donner des ordres. Il n’est donc jamais arrivé durant les six dernières années de guerre en Syrie qu’un élément rebelle ait tenté d’agir contre la volonté de ses supérieurs.
Journaliste : Les Russes vous ont-ils mis en garde avant la frappe américaine ? Étaient-ils présents sur la base aérienne ?
Bachar al-Assad : Non, ils ne nous ont pas avertis parce qu’ils n’en ont pas eu le temps. Les Américains les avaient avertis quelques minutes seulement avant l’attaque, ou comme certains le disent après l’attaque, car les missiles prennent quelque temps pour arriver jusqu’à la base.
Mais en fait nous disposions de quelques indices que quelque chose allait se passer, et nous avons pris plusieurs mesures à cet égard.
Journaliste : Est-ce que vous confirmez que 20% de votre force aérienne a été détruite dans cette attaque, comme le disent les Américains ?
Bachar al-Assad : Je ne connais pas le cadre référentiel de ces 20%. C’est quoi les 100% pour eux ? Est-ce que ça correspond au nombre (total) des avions ? Ou à la qualité ? Ce taux renvoie-t-il aux appareils opérationnels ou en réserve ? Je ne sais pas ce qu’ils veulent dire par là.
Non, en fait, comme nous et les Russes l’avons déclaré, quelques appareils ont été détruits, la plupart de vieux appareils, dont certains n’étaient pas opérationnels de toute manière. C’est la vérité. Et la preuve est que depuis cette attaque, nous n’avons pas arrêté d’attaquer les terroristes partout en Syrie. Donc nous n’avons pas eu l’impression d’avoir été réellement affectés par cette frappe dans notre puissance de feu et notre capacité à attaquer les terroristes.
Journaliste : Votre gouvernement a déclaré au début que vous aviez frappé un dépôt d’armes chimiques. Est-ce vrai ?
Bachar al-Assad : C’était une possibilité car lorsque vous attaquez une cible liée aux terroristes, vous ne savez pas ce qu’il y a dedans. Vous savez que c’est une cible, ça peut être un dépôt, un entrepôt, un camp, un siège, vous n’en savez rien. Mais vous savez que les terroristes l’utilisent, et vous l’attaquez, comme toute autre cible. C’est ce que nous faisons quotidiennement, et parfois au fil des heures, depuis le début de la guerre. Mais vous ne pouvez pas savoir ce qu’il y a dedans. Que les frappes aériennes aient visé un dépôt de matériaux chimiques était donc une possibilité parmi d’autres.
Mais encore une fois, cela ne correspond pas au timing de l’annonce, non seulement parce que seuls les terroristes l’ont annoncé le matin, mais aussi parce que leurs organes d’information, et leurs pages sur Twitter et sur Internet ont annoncé l’attaque quelques heures avant l’attaque présumée, c’est-à-dire à 4h du matin. A 4h du matin, ils ont annoncé qu’il y aurait une attaque chimique, et qu’il fallait s’y préparer. Comment pouvaient-ils le savoir ?
Journaliste : Ne pensez-vous pas que Khan Cheikhoun représente un énorme revers pour vous ? Pour la première fois depuis six ans, les États-Unis attaquent votre armée. Hier, après une courte lune de miel, Tillerson a dit que le règne de la famille al-Assad va bientôt prendre fin. Ne pensez-vous pas que Khan Cheikhoun constitue pour vous un grand revers ?
Bachar al-Assad : Il n’y a pas de règne de la famille al-Assad en Syrie de toute façon. Il rêve. Ou disons qu’il hallucine. Nous ne perdons pas notre temps avec sa déclaration.
En réalité, non : durant les six dernières années, les États-Unis étaient directement impliqués dans le soutien des terroristes partout en Syrie, y compris Daech et al-Nosra, ainsi que toutes les factions qui partagent la même mentalité en Syrie. C’est une chose claire et prouvée en Syrie.
Mais si vous voulez parler des attaques directes, il y a quelques mois à peine, une attaque plus dangereuse que cette dernière avait eu lieu, juste avant qu’Obama ait quitté ses fonctions, quelques semaines avant je pense. Cela a eu lieu à Deir Ezzor à l’Est de la Syrie, lorsqu’ils ont attaqué une montagne qui revêt une grande importance stratégique. Ils ont attaqué une base de l’armée syrienne régulière, ce qui a aidé Daech à s’emparer de cette montagne. Et si l’armée syrienne n’avait pas été assez forte pour repousser Daech, la ville de Deir Ezzor serait aujourd’hui entre les mains de Daech, et Deir Ezzor aurait alors été directement relié avec Mossoul en Irak. Cela aurait constitué une victoire très stratégique pour Daech. Donc en fait non, le gouvernement américain était directement impliqué.
Mais pourquoi ont-ils attaqué directement cette fois-ci ? Parce que, comme je viens de le dire, les terroristes dans cette région étaient en pleine débâcle. Les États-Unis n’avaient donc aucun autre choix pour soutenir leurs proxys, à savoir les terroristes, si ce n’est en attaquant directement l’armée syrienne. Car ils leur avaient fourni toutes sortes d’armes, mais ça n’avait pas réussi.
Journaliste : Vous ne pensez donc pas que ce soit un grand revers pour vous ?
Bachar al-Assad : Non, non, cela fait partie du même contexte qui dure depuis six ans. Il a pris différentes formes, mais le fond de la politique américaine et occidentale vis-à-vis de la situation en Syrie n’a aucunement changé. Laissons de côté les déclarations : certaines ont un ton élevé, d’autres sont moins fortes, mais la politique reste la même.
Journaliste : Vous avez repoussé la plupart des rebelles à Idlib. Prévoyez-vous de l’attaquer prochainement ?
Bachar al-Assad : Nous attaquerons les groupes armés partout en Syrie, à Idlib, ou n’importe où ailleurs. Quant à l’heure et à la priorité, c’est une question militaire qui doit être discutée au niveau militaire.
Journaliste : Vous avez dit auparavant que Raqqa était pour votre gouvernement une priorité. Cependant, les forces qui avancent vers la ville se constituent dans leur majorité de Kurdes appuyés par les États-Unis. Ne craignez-vous pas qu’on vous écarte de la libération de Raqqa ?
Bachar al-Assad : Non, car nous soutenons quiconque veut libérer n’importe quelle ville des terroristes. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut la libérer des terroristes pour qu’elle soit occupée par les forces américaines, par exemple, ou par un autre proxy, ou un autre terroriste. L’identité de ceux qui vont libérer Raqqa n’est donc pas claire : est-ce que ce sera vraiment des forces syriennes qui la remettront ensuite à l’armée syrienne ? Est-ce que ce sera en collaboration avec l’armée syrienne ? Ce n’est pas encore clair.
Ce que nous entendons, ce ne sont que des allégations sur la libération de Raqqa. C’est ce que nous entendons depuis un an environ, ou un peu moins, mais rien ne s’est produit sur le terrain. Tout reste donc hypothétique, car il n’y a rien de tangible sur le terrain.
Journaliste : Les États-Unis et la Russie sont les parrains du processus de Genève. Étant donnée la tension entre les deux pays, pensez-vous que ce processus puisse se poursuivre ?
Bachar al-Assad : Il y a une grande différence entre le fait que le processus soit actif, ce qui pourrait se produire à tout moment, la réactivation de ce processus, et le fait qu’il soit efficace. Jusqu’à présent le processus n’est pas efficace. Pourquoi ? Parce que les États-Unis ne sont pas sérieux dans la recherche d’une solution politique quelconque. Ils veulent utiliser le processus politique comme un parapluie pour les terroristes, ou ils cherchent à obtenir à travers cette tribune ce qu’ils n’ont pas pu réaliser sur le terrain, sur le champ de bataille. Voilà pourquoi le processus n’était pas du tout efficace.
Nous nous retrouvons maintenant dans la même situation. Nous ne voyons pas que cette administration est sérieuse sur ce plan, car ils soutiennent les mêmes terroristes. Nous pouvons donc dire : oui, nous pouvons réactiver le processus, mais nous ne pouvons pas dire que nous nous attendons à ce qu’il soit efficace ou fructueux, non.
Journaliste : Après six ans, Monsieur le Président, n’êtes-vous pas fatigué ?
Bachar al-Assad : À vrai dire, la seule chose qui peut faire pression sur vous, ce n’est ni la situation politique, ni la situation militaire, mais c’est la situation humanitaire en Syrie, l’effusion quotidienne du sang, les souffrances et les difficultés infligées à chaque foyer en Syrie. C’est la seule chose pénible et fatigante, si on peut parler de « fatigue ».
Mais si vous vouliez parler de la guerre, de la politique, des rapports avec l’Occident, non, je ne me sens pas du tout fatigué, car nous défendons notre pays, et on ne se lassera jamais de le défendre.
Journaliste : Qu’est-ce qui vous empêche de dormir ?
Bachar al-Assad : Encore une fois, la souffrance du peuple syrien, (que je ressens au niveau de) la relation humanitaire entre moi et chaque famille syrienne, directement ou indirectement. C’est la seule chose qui peut m’empêcher de dormir de temps en temps. Mais en aucun cas les déclarations occidentales ou leurs menaces de soutenir les terroristes.
Journaliste : Aujourd’hui, des gens de Foua et de Kafraya vont être déplacés de leurs villages vers Damas et Alep. Ne craignez-vous pas que cela puisse représenter un déplacement de la population, et que la Syrie d’après la guerre ne sera plus comme celle qui existait avant ?
Bachar al-Assad : Le déplacement réalisé dans ce contexte est obligatoire. Nous ne l’avons pas choisi, et nous souhaitons que toute personne puisse rester dans son village et sa ville. Mais ces gens-là, comme beaucoup d’autres civils dans diverses régions, étaient entourés et assiégés par les terroristes. Ils ont été tués de manière quotidienne. Ils devaient donc partir.
Ils rentreront bien sûr chez eux après la libération. C’est ce qui s’est produit dans plusieurs autres régions où les gens rentrent chez eux.
C’est donc une situation provisoire. Parler de changements démographiques n’est pas dans l’intérêt de la société syrienne si c’est permanent, mais tant que c’est temporaire, ça ne nous inquiète pas.
Journaliste : Monsieur le Président, merci beaucoup de nous avoir accordé cet entretien.
Bachar al-Assad : Merci à vous.
Journaliste : C’était très intéressant, merci beaucoup d’avoir échangé avec moi.
Bachar al-Assad : Merci à vous.
Traduction : sayed7asan