Par Andrew Korybko – Le 15 avril 2019 – Source eurasiafuture.com
Le président Poutine a décoré le premier ministre Modi de la plus haute distinction civile russe, l’Ordre de Saint-André, juste après le lancement du processus électoral d’un mois en Inde : il s’agit d’améliorer ses chances de ré-élection, à l’instar du service rendu il y a peu pour Bibi en « Israël » : Poutine lui a fait remettre les restes de 20 soldats de Tsahal, retrouvés en Syrie par les Russes à la demande de Tel Aviv.
L’intervention diplomatique de Poutine
La Russie tient à ce que Modi soit ré-élu, et ne craint pas que cette préférence soit connue du reste du monde en décorant le premier ministre indien sortant de la plus haute et plus prestigieuse distinction civile russe juste après le lancement du processus électoral en Inde. Cette décoration souligne sans ambage le soutien russe pour Modi, à l’instar de la remise par Poutine au premier ministre d’« Israël », Netanyahu (« Bibi ») des restes de 20 soldats de Tsahal retrouvés spécialement par l’armée russe en Syrie à la demande de Tel Aviv. Dans le dernier cas, la mise en place du « Rusraël de Poutinyahu » constituait la motivation évidente de l’aide sans précédent accordée par Moscou à son partenaire du Moyen-Orient ; les motivations poussant Poutine à soutenir la ré-élection de Modi sont moins lumineuses.
Le sauvetage de « frère » Bibi
Soyons clairs : les actions du dirigeant russe ne relèvent pas de l’« ingérence », malgré le fait qu’elles visent clairement à améliorer les résultats électoraux des sortants : elles sont réalisées ouvertement, à la tête de l’État, et non pas de la manière clandestine que les médias établis occidentaux ont conditionné les masses à imaginer quand on utilise ce terme d’ingérence. Il ne fait aucun doute que l’intervention diplomatique de dernière minute consentie par Poutine en faveur de Netanyahu a permis de faire basculer l’élection vers la victoire de ce dernier, mais personne en « Israël » n’accuse sérieusement le premier ministre de constituer une « marionnette russe ». En fait, ceux qui ont voté pour lui à cause de l’énorme faveur que la Russie a faite à « Israël » en restituant les restes des « FDI » l’ont fait précisément parce qu’ils veulent que le titulaire continue à renforcer les relations bilatérales et perpétue indéfiniment l’existence du « Rusraël de Putinyahu ».
La vache à lait russe
Et l’on pourrait de fait assister à quelque chose de très proche en Inde, quoique les raisons diffèrent. Aucun dessein géopolitique profond n’est à constater derrière la décoration par Poutine de Modi : les deux dirigeants ne semblent s’intéresser qu’à poursuivre leurs affaires en matière d’industrie de la défense et en matière d’énergie nucléaire. Les contrats que cela ouvre à la Russie sont plus importants que jamais : ils soulagent le pays de ses sanctions, cependant que les indiens en retirent un accès aux technologies de pointe, malgré la poursuite de leur stratégie de diversification des approvisionnements hors de Russie et vers les nouveaux partenaires occidentaux que constituent les USA, la France, et « Israël ». Mais au train où vont les choses, le remplacement ne sera pas effectif avant une bonne décennie, et la Russie sait que cinq années de Modi supplémentaires lui garantiront beaucoup plus d’affaires à signer au cours de ce mandat.
Les « élites » n’y comprennent plus rien
Mais les experts indiens sont complètement déboussolés : le Pakistangate apparaît comme décisif dans les élections, après que le premier ministre Khan a déclaré qu’une réélection de Modi constituerait la meilleure perspective de paix au Cachemire. Les « intellos » des milieux réactionnaires se sont dès lors mis à propager l’information selon laquelle le BJP [le parti politique de Modi, NdT] et la coalition qu’il dirige, à l’opposé de celle qui tient le Congrès indien, constituerait le « premier choix du Pakistan ». Mais voici que le président Poutine en personne affiche son soutien au sortant, au point de synchroniser la remise d’une distinction honorifique avec le lancement du processus électoral. Il est tabou en Inde pour tous les partis politiques de s’en prendre ouvertement à la Russie et à ce qu’elle défend, mais le fait est là : le « choix de Poutine » coïncide avec le « choix du Pakistan », et le dirigeant russe est peut-être en train de marcher sur les traces du dirigeant pakistanais, en soutenant Modi indirectement.
Des paroles ou des actes
Des influences manipulatrices au seins des médias pourraient commencer à affirmer l’existence d’un complot russo-pakistanais pour exercer une guerre hybride sur le monde entier, mais en réalité, la seule preuve qui est faite est celle du pragmatisme des dirigeants des deux grandes puissances. Le président Poutine veut simplement signer de nouveaux contrats en milliards de dollars lors du possible second mandat de Modi, tandis que le premier ministre Khan anticipe avec sagesse que la résistance de la droite indienne à un accord sur le Cachemire sera moins virulente sous Modi qu’elle ne le serait si la gauche, qui a la main sur le Congrès en Inde, prenait également la tête du gouvernement. Et la différence existe, en outre, entre le Premier ministre Khan qui n’a fait qu’exprimer son opinion sans mener aucune action, alors que le président Poutine a sorti le tapis rouge pour accorder les plus hauts honneurs à Modi, à un instant très stratégique, en vue de lui faciliter la tâche, en jouant sur la nostalgie du « Bhai Bhai russo-indien ».
De la pakistophobie à la russophobie ?
Quiconque vient dès lors dénoncer une « ingérence » pakistanaise dans les élections indiennes est donc obligé d’en dire autant de la variante russe : le président Poutine a fait bien plus pour faciliter la ré-élection de Modi que le premier ministre Khan. On n’essaye pas d’établir ici qui s’est « ingéré », mais de mettre le doigt sur le deux poids, deux mesures, qui a amené la classe « intellectuelle » indienne en état de dissonance cognitive, et de ne plus savoir à quel saint se vouer. Continuer à s’en prendre au Pakistan pour une variante bien plus légère que celle livrée par les russes impliquerait Moscou par sous-entendu, mais le Pakistan constitue une telle obsession pour nombre d’entre eux lors de cette élection qu’il est quasiment impossible pour les Indiens de cesser d’en parler. Il sera intéressant de voir si la pakistanophobie se tarit ou si elle mute en russophobie d’ici à la fin du processus électoral indien.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone
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