La perspective du JCPOA s’éloignant, l’Occident envisage, comme on pouvait s’y attendre, des options militaires.
Par Alastair Crooke – Le 7 août 2021 – Source Al Mayadeen
Les États-Unis se détournent rapidement du JCPOA. Rob Malley, négociateur en chef américain, a fait part ce week-end de ses doutes croissants quant à la possibilité d’un accord avec l’Iran. Raïssi et sa nouvelle équipe de politique étrangère ont promis d’exiger une “mise en œuvre adéquate” du JCPOA, si les négociations de Vienne reprennent en septembre ou en octobre.
La perspective du JCPOA s’éloignant, l’Occident envisage, comme on pouvait s’y attendre, des options militaires. Lundi, le ministre israélien de la défense, Gantz, a déclaré qu’“Israël” devait prendre des mesures “dès maintenant” à la suite de l’attaque par drone de la semaine dernière contre un navire exploité par Israël près d’Oman. “Israël”, les États-Unis et le Royaume-Uni ont rejeté la faute sur Téhéran, mais l’Iran dément.
L’Establishment américain d’aujourd’hui, cependant, souhaite ardemment laisser derrière lui sa vieille “guerre contre le terrorisme” centrée sur le Moyen-Orient, pour passer à sa nouvelle “menace” flambant neuve : la “concurrence entre grandes puissances” – avec une cible épinglée sur la poitrine de la Chine. Le fait est que les conflits au Moyen-Orient ne suffisent plus à faire sortir un électeur américain de son lit (ces matins-ci), mais que dans un système politique américain radicalement polarisé, la seule chose qui suscite des applaudissements bipartites sur le terrain est de dénigrer la Chine. La Chine est la seule question perçue comme potentiellement capable de rassembler les Américains “en guerre”, un jour ou l’autre.
La “grande guerre” est également problématique pour des États-Unis divisés. Ainsi, aujourd’hui, l’Amérique suit une stratégie qui consiste à infliger à ses ennemis une douleur par “milliers de coupures”. Cela semble plus facile et moins coûteux pour les États-Unis. La Chine doit être tourmentée par l’occidentalisation de Taïwan, et simultanément “inculpée” pour ses “abus” au Xinjiang et pour le Covid. La Russie est harcelée à propos d’à peu près tout ce qui se passe sous le soleil, et le bourbier ukrainien est maintenu en ébullition (en cas de besoin pour les États-Unis). Mais ces deux États comprennent que les États-Unis – bien que toujours dangereux – ont perdu leur avantage militaire mondial et sont entrés dans l’entropie politique.
Dans ce contexte, que faut-il penser de l’option militaire à l’égard de l’Iran ? Ici, au Moyen-Orient, les États-Unis et “Israël” ont également perdu leur “avantage militaire”, cédant la place à des nuées de missiles intelligents et de drones en essaim. Le Dr Uzi Rubin, fondateur et premier directeur de l’Organisation de défense antimissile d’“Israël” au “ministère israélien de la Défense”, écrivait en octobre 2019, au lendemain de “la frappe aérienne la plus dévastatrice” sur la raffinerie d’Abqaiq de Saudi Aramco, que “c’était aussi une attaque surprise ressemblant par son audace, sinon par son ampleur, à l’attaque surprise japonaise de 1941 sur Pearl Harbour”. En un sens, on pourrait se souvenir de septembre 2019 comme du “septembre noir” de l’Arabie saoudite. Il a indiqué qu’“Israël” était également vulnérable à ce type d’attaque.
Si une attaque militaire directe contre l’Iran est problématique en raison des nouvelles capacités de dissuasion de l’Iran de type “Pearl Harbour”, et si des représailles occidentales pour l’incident du pétrolier sont également problématiques parce que (comme le note le correspondant israélien pour la défense, Ben Caspit) le “prêté pour rendu” dissimulé du pétrolier – entre “Israël” et l’Iran – se poursuit depuis environ deux ans (avec “Israël” en tête d’environ 12 points, contre 5 pour l’Iran). Le résultat final est qu’“Israël” serait le plus vulnérable dans ce “jeu”.
Quelle sera la prochaine étape ? Une balkanisation américano-israélienne de l’Iran multiethnique pour renverser le gouvernement ? C’est une vieille chimère. Comme l’admet un autre Israélien, Raz Zimmt, vétéran de l’observation de l’Iran par les Forces de défense israéliennes, la “balkanisation de l’Iran” relève probablement du “fantasme”. Les manifestations déclenchées par une grave crise de l’eau dans le Khuzestan, dans le sud-ouest de l’Iran (où les MeK seraient implantés), se sont déroulées principalement dans des zones à majorité arabe. (Les ethnies arabes – principalement chiites – représentent environ un tiers de la population de la province).
La réalité, écrit Raz Zimmt, est que l’Iran existe en tant qu’État civilisationnel distinct depuis des siècles, et que le degré d’intégration des minorités au sein de la société iranienne réduit considérablement le risque pour la cohésion nationale de l’Iran.
Par exemple, les Arabes vivant en Iran sont majoritairement chiites, ce qui renforce leur attachement à un pôle civilisationnel chiite et a grandement déjoué les efforts visant à mobiliser leur soutien pendant la guerre Iran-Irak. Des membres de minorités ethniques ont également occupé des postes à responsabilité au fil des ans, notamment le guide suprême Khamenei (à moitié azéri du côté de son père).
Les dirigeants israéliens se sont réjouis de l’intention de la Grande-Bretagne de déployer des forces spéciales contre les auteurs présumés de l’attaque du navire Mercer par un drone, mais ils s’inquiètent également de l’isolement potentiel d’“Israël”, alors que les États-Unis tentent de se retirer de la région et que l’évolution négative du sentiment à l’égard d’“Israël” handicape son influence sur la politique intérieure américaine. D’un point de vue réaliste, que peut faire “Israël” ?
La plus grande préoccupation d’“Israël” est ce qu’il appelle le “projet de précision” : l’arsenal de missiles de précision du Hezbollah qui est considéré par “Israël” comme un “briseur d’égalité” stratégique, transformant le Hezbollah en une force capable de paralyser “Israël” pendant une période substantielle, en cas d’affrontement militaire. Et une confrontation avec le Hezbollah, en soi, pourrait déclencher une guerre sur plusieurs fronts. Le Premier ministre Bennett prendra-t-il ce risque ? Rappelons qu’il était le commandant d’artillerie qui a été sanctionné pour avoir ordonné en 1996 des tirs d’artillerie provoquant le massacre de Kufr Kana au Liban, tuant 102 civils et un certain nombre de fonctionnaires des Nations unies. Peut-être l’ancienne blessure est-elle encore présente ?
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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