En cas d’échec des négociations de Vienne, soit « Israël » devra s’accommoder du fait que l’Iran est une puissance nucléaire « seuil » , soit il devra se préparer à une guerre régionale sur plusieurs fronts.
Par Alastair Crooke – Le 7 novembre 2021 – Source Al Mayadeen
Au début du mois, le Premier ministre israélien Naftali Bennett a déclaré que son pays était en guerre froide avec l’Iran et qu’il prévoyait de vaincre la République islamique de la même manière que Ronald Reagan avait soi-disant vaincu l’Union soviétique : « Nous sommes en guerre froide avec l’Iran. Au cours des 30 dernières années, l’Iran s’est positionné autour de nous pour nous détourner de nos objectifs ». M. Bennett a prévenu que l’Iran serait confronté à « des implications très graves s’il continuait à enrichir de l’uranium », et a souligné que Tel Aviv ferait « tout ce qui est nécessaire pour neutraliser cette menace », notamment en dépensant plus que l’Iran en matière de défense pour garder « un certain nombre de coups d’avance ».
L’interview de Bennett au Sunday Times britannique est un pur « abandon rhétorique », tant en ce qui concerne la chute de l’Union soviétique que l’idée que le montant des dépenses est le facteur déterminant du succès dans une guerre asymétrique (ou même conventionnelle). Et son recours à un tel style emphatique n’est pas le signe d’une approche cohérente, et encore moins prudente, mais plutôt le signal d’une faiblesse inhérente qui est dissimulée par le faste rhétorique des dirigeants israéliens célébrant leurs « succès » dans des domaines purement secondaires (auxquels l’Iran est susceptible, en temps voulu, de donner sa réponse calibrée).
Oui, les stations-service iraniennes ont fait l’objet d’une cyberattaque (apparente), de nouvelles sanctions américaines ont été imposées à une poignée de personnalités du Corps des gardiens de la révolution islamique, et des démonstrations de force dissuasives ont été organisées – le week-end dernier, les États-Unis ont fait voler un bombardier stratégique à longue portée B-1B sur un long parcours, tournant autour du périmètre de l’Iran.
Plus précisément, le bombardier américain a remonté le détroit d’Ormuz, dans ce que l’armée de l’air américaine a appelé une « patrouille de présence » pour envoyer un message à Téhéran. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’un bombardier B-1B est capable de transporter les bombes antibunker les plus lourdes des États-Unis – une capacité qui n’existe pas en « Israël ». Symboliquement aussi, à différents points du trajet, des avions de chasse israéliens ont escorté le bombardier, avec la participation d’avions d’Arabie saoudite, de Bahreïn et d’Égypte.
Tout ce symbolisme vide peut être une politique efficace : sur le plan intérieur en « Israël » et plus particulièrement aux États-Unis où l’administration a un besoin urgent de succès en politique étrangère après sa déroute en Afghanistan ; mais il ne permet pas de croire que l’administration américaine, même en privé, sait comment procéder à l’égard de l’Iran. En effet, certains éléments indiquent que Biden ne semble pas avoir les idées claires.
Les pourparlers de Vienne sur le JCPOA donnent l’image d’une administration américaine qui se débat entre deux objectifs distincts : un retour « propre » de l’Iran au JCPOA et, deuxièmement, contraindre l’Iran à une deuxième version d’un accord nucléaire élargi, « plus fort pour plus longtemps » . En oscillant alternativement entre ces deux objectifs contradictoires, M. Biden a fait capoter les négociations, n’obtenant que peu ou pas de résultats sur l’une ou l’autre voie. Bien entendu, on attribuera la lenteur des négociations à Téhéran, mais il semble que ce soit le refus de Biden, en mai, de s’engager à respecter le JCPOA jusqu’à la fin de son mandat (si l’Iran faisait de même) qui ait été le principal responsable de cette l’impasse.
L’E3 1 et les États-Unis, lors du G20 à Rome, ont déjà posé la coque et les couples de leur navire « accusez l’Iran », c’est dire leur détermination à ce que l’Iran ne puisse jamais développer une arme, et leur inquiétude grave et croissante face à l’accélération de ses mesures nucléaires provocatrices. La déclaration accuse également l’Iran de restreindre la coopération et la transparence avec l’AIEA et reconnaît que la poursuite des avancées nucléaires iraniennes et les obstacles au travail de l’AIEA « compromettent » le retour au JCPOA.
La question est qu’une fois qu’ils ont rejeté la faute sur Téhéran, quelle sera la suite ? C’est ici que le cœur du dilemme de Biden devient clair. Même les experts militaires israéliens admettent qu’il n’existe pas de plan « B » réaliste pour mettre fin au programme d’enrichissement de l’Iran. Un commentateur militaire israélien de premier plan a récemment fait remarquer que : « Israël ne peut pas détruire le savoir-faire nucléaire de l’Iran. Dans le meilleur des cas, une action militaire israélienne [contre les installations nucléaires dispersées et enterrées de l’Iran] pourrait retarder le programme de deux ans au maximum ». Mais cela n’y mettrait pas fin, cela ne ferait que le retarder. « Donc », conclut Alon Ben David : « Je pense que nous assisterons à la poursuite d’un conflit de faible intensité – sans toutefois le transformer en conflit direct, à moins [qu’]Israël ne décide de lancer une attaque contre les installations nucléaires iraniennes ».
Notez que Ben David ne s’attarde pas sur les représailles promises par l’Iran, si ses installations nucléaires étaient attaquées.
Conclusion : en cas d’échec des négociations de Vienne, soit « Israël » doit s’accommoder du fait que l’Iran est une puissance « nucléaire seuil » (ce qui ne signifie pas du tout qu’il s’agisse d’une puissance « seuil » dotée d’armes nucléaires). Soit il doit se préparer à une guerre régionale sur plusieurs fronts.
Et c’est ce qu’« Israël » dit être en train de faire. Bien que le budget, y compris cette disposition sur la défense, et même le maintien en fonction de Bennett dépendent de la réussite de ce dernier à repousser la tentative totale de Netanyahou de bloquer le vote du budget cette semaine. En « Israël » , le vote du budget est également considéré comme un « vote de confiance » pour le gouvernement. Cependant, même si le budget est adopté, avec 1,5 milliard de dollars alloués « pour le conflit avec l’Iran », l’establishment israélien affirme qu’il faudra deux ans avant que les forces armées israéliennes soient en mesure de mener une guerre régionale sur plusieurs fronts.
Déboussolés par l’échec probable du JCPOA, Biden et Bennett ont eu recours à de vieilles recettes : sanctions et pressions. Il s’agit d’une stratégie discréditée et vouée à l’échec. Bennett l’a implicitement admis dans l’interview au Sunday Times, lorsqu’il a déclaré qu’après 30 ans de guerre froide menée par Israël et les États-Unis, l’Iran continue d’enrichir [son plutonium, NdSF].
Il est clair que la diplomatie américaine perd partout de sa force, ce qui fait que de plus en plus d’alliés traditionnels des États-Unis entretiennent leurs relations dans le cadre d’alliances plus larges. Et plus ces derniers se tournent vers l’Est, plus ils s’engagent tous plus profondément avec la Chine. L’Iran a cette possibilité, puisqu’il a rejoint l’OCS et s’intègre à la Communauté économique eurasienne.
La quête de Biden, qui consiste à accumuler ces sanctions creuses et ces « réalisations » en l’air pour « Israël », ignore la principale lacune de cette tactique : l’imprévisibilité des intentions israéliennes ; ce qui conduit à la question de savoir si la politique de Biden rend plus ou moins probable le fait que l’Amérique doive mener une guerre majeure dans un avenir proche. Les États-Unis poursuivent un succès éphémère, tout en ignorant le risque stratégique d’un désastre bien plus grand.
L’analyste militaire israélien, Alon Ben David, a mis les choses à plat : le statu quo « un prêté pour un rendu » 2 continue, « à moins qu’Israël ne décide de lancer une attaque sur les installations nucléaires iraniennes ».
Nous devons nous demander pourquoi l’équipe de Biden a déployé le bombardier lourd B1-B pour sa « démonstration de force » . Elle doit savoir qu’« Israël » supplie d’acheter ou de louer ces bombardiers B1-B depuis l’ère Obama. C’est « sur la table » depuis lors, a noté l’ancien ambassadeur israélien à Washington, Michael Oren. Nul doute que cette démarche est toujours d’actualité.
Biden serait-il enclin à en vendre quelques-uns à « Israël » ? « Israël » pourrait alors tenter de détruire Natanz par ses propres moyens.
Biden est-il en train de tomber dans un piège israélien, croyant qu’« Israël » demandera toujours la permission avant d’agir ? On ne peut jamais ignorer l’imprévisibilité des intentions d’autrui ni s’en protéger.
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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