A propos de l’agressivité russe en politique étrangère


Par Vladimir Brovkin – Le 14 juin 2016 – Source ACEWA

Regarde cette flagrante démonstration d’agressivité digne de va-t-en-guerre!

Les analystes politiques aiment à expliquer la réalité en termes de constructions mentales familières, telles que la recherche de la légitimité, la priorité de la politique intérieure, la force militaire nouvellement trouvée, etc. Et donc ce genre d’articles ne reflète que l’application traditionnelle de ces constructions mentales sur la politique contemporaine russe. Le problème avec ces analyses, est qu’elles oublient le côté émotionnel des choses, les sentiments venant des tripes, le sentiment de fierté et de blessure nationale.

La plupart des Russes d’aujourd’hui, comme l’ont démontré de nombreux sondages d’opinion, pensent que l’Occident a empiété sur leur territoire traditionnel et, dans le cas de l’Ukraine, que l’Occident a usurpé ce que beaucoup estiment être une partie de la nation russe. De nombreuses personnes, dont Lavrov, ont déclaré que l’Ukraine et la Russie sont une seule nation. Même l’intelligentsia tournée vers l’Occident démocratique qui, en 1989, scandait Pour Votre Liberté et la Nôtre, saluait l’indépendance des États baltes de l’Union soviétique, et encore plus les gens ordinaires, même eux pensent que l’Occident a profité d’eux. Ils se sentent trahis par le fait qu’au lieu d’intégrer la Russie en une communauté démocratique européenne après 1991, l’Occident ait accaparé ce qui était la Russie par le droit et l’histoire, et l’ait inclus dans sa sphère d’influence économique et militaire. Pour un intellectuel russe qui a toujours considéré la Russie comme une partie de l’Europe, l’idée que l’Ukraine puisse en être, mais pas la Russie, est une insulte absurde. En outre, après ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale, l’idée que Berlin et Washington prennent des décisions pour le gouvernement ukrainien provoque la rage, la colère et le désir d’y mettre fin immédiatement.

La politique étrangère du président Poutine est encore une tentative désespérée de s’en tenir à l’esprit de 2003-2005, lorsque la Russie, la France et l’Allemagne s’étaient opposées ensemble à la guerre américaine en Irak. Il se souvient encore avec nostalgie de l’époque où la Russie et les grandes puissances d’Europe occidentale ont envisagé la création d’une seule Europe, du Portugal à Vladivostok, en 2005. Poutine ne veut toujours pas lâcher ce rêve. D’où les accords de Minsk et la très faible réaction à l’arrogance de l’OTAN.

Voilà pourquoi il a réagi ainsi à l’offensive occidentale, comme Stephen Cohen l’a souligné à plusieurs reprises. Poutine a réagi à la subversion de l’Ukraine par l’Occident de manière minimale, en sauvegardant la Crimée et la base militaire russe installée là-bas et en apportant un tiède soutien au Donbass, cherchant toujours un moyen de rétablir des relations normales avec l’Europe occidentale.

Cette réponse, cette faible assertivité se confronte à une opposition croissante, ces derniers temps. Dans les débats publics sur Canal Un, on peut entendre des critiques ouvertes de Lavrov pour avoir négligé de défendre le Donbass. Certains soutiennent ouvertement une approche bien plus sévère.

Permettez-moi de vous dire ce à quoi une politique russe agressive aurait ressemblé. En Géorgie, la Russie ne se serait pas arrêtée après la libération de l’Ossétie du Sud, elle aurait continué sa marche sur Tbilissi et installé un régime ami, comme les États-Unis l’ont fait de nombreuses fois dans ce qu’ils ont coutume d’appeler leur arrière-cour en Amérique centrale.

En Ukraine, la Russie aurait pu refuser de reconnaître le gouvernement Maïdan comme légitime, le considérer comme le résultat d’un coup d’État et envoyer les troupes pour soutenir le gouvernement légitime, dûment élu, du président Ianoukovitch. Certains participants aux nombreux débats de Canal Un ont préconisé la création d’une Armée de libération ukrainienne, qui aurait été ouvertement soutenue par l’armée russe, et non pas secrètement.

Cette armée, font-ils valoir, aurait repoussé la clique Bandera hors de Kiev, leur aurait permis de se regrouper en Ukraine occidentale, leur centre, et déclaré à l’Occident que cette Ukraine occidentale était sous son protectorat et devenait, avec effet immédiat, une zone d’exclusion aérienne pour l’OTAN.

Ceci, juste pour commencer. Si vous voulez continuer, d’accord, voici quelques stratégies plus affirmées.

En réponse aux missiles installés en Roumanie, la Russie devrait installer des missiles de moyenne portée dans la région de Transnistrie, ciblant les missiles américains.

Ceci, mes chers amis, aurait été une politique étrangère affirmée. En outre, si vous écoutez les débats sur le Canal Un de la télé russe, vous apprendrez à quoi ce genre de stratégie, y compris une éventuelle action sévère concernant la Pologne, la Lituanie et d’autres, qu’ils appellent des traîtres, aurait ressemblé.

Donc, le président Poutine est un occidentaliste, un chef sympathique de la Petersbourg européenne. Si vous pensez qu’il est agressif, vous n’avez encore rien vu.

Vladimir Brovkin enseigne à l’université de Harvard depuis 9 ans et à l’université de l’Oural depuis 5 ans. Il est diplômé d’histoire à Princeton.

Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone.

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