Le procès pour l’extradition d’Assange. Une parodie de justice


Par Moon of Alabama – Le 7 septembre 2020

Aujourd’hui a commencé, à Londres, le procès-spectacle sur l’extradition du rédacteur en chef de Wikileaks, Julian Assange, vers les États-Unis. Les procureurs américains affirment que la publication par Assange de preuves de crimes de guerre américains a violé la loi américaine sur l’espionnage.

Je ne comprends pas pourquoi un éditeur australien, qui travaillait en Europe, et qui a manifestement publié des preuves véridiques de crimes de guerre devrait être reconnu coupable en vertu d’une loi politique américaine.

Le procès devant le tribunal britannique est théoriquement public. Mais l’accès à celui-ci a été sévèrement restreint :

La galerie publique pouvant accueillir 80 personnes a été réduite à 9 "en raison de la Covid". 5 sièges sont réservés à la famille et aux amis de Julian, et j'ai droit à un aujourd'hui, mais pas de garantie au-delà. Il n'y a que 4 sièges pour le grand public.

Les journalistes et les ONG suivront l'audience en ligne, mais uniquement les journalistes et les ONG "approuvés", sélectionnés par le ministère de la justice d'Orwell. Hier soir, j'ai dîné avec des partisans d'Assange de plusieurs ONG enregistrées, dont aucune n'avait été "approuvée". J'avais posé ma candidature en tant que représentant de Hope Over Fear, et ma candidature a été rejetée. C'est la même histoire pour ceux qui ont demandé un accès en ligne en tant que journalistes. Seules les ONG officiellement "approuvées" seront autorisées à regarder le procès.

C’était censé être une audience publique, pour laquelle, en temps normal, n’importe qui peut s’asseoir dans la grande galerie, et toute personne munie d'une carte de presse dans la galerie réservée à la presse. Quelle est la justification d’une telle sélection politique des personnes autorisées à assister à l'audience ? Un système en ligne spécial a été mis en place, et l'État à favorisé des observateurs qui disposent de "salles" en ligne que seule la personne identifiée sera autorisée à utiliser. Même dans le cas d'organisations agréées, elles ne disposeront pas d'un login que tout le monde peut utiliser, même pas un par un. Seules des personnes spécifiquement désignées pourront se connecter avant le début de la procédure, et si leur connexion est interrompue à un moment quelconque, elles ne seront pas réadmises de la journée.

Une quarantaine d’ONG, dont Amnesty International, avaient été informées qu’elles auraient un accès à distance au procès, mais aujourd’hui le juge a révoqué cet accès sans donner de raison.

Avec seulement quelques journalistes sélectionnés et conformes au système, le public aura une image très biaisée de l’affaire et du procès :

En ce moment même, tous les journalistes du monde devraient être sur le front pour protester contre les abus dont Assange est victime, et a été victime, et contre le sort qu'il subira si son extradition est approuvée. Ils devraient protester en première page et dans les émissions d'information télévisées contre les abus sans fin et flagrants de la procédure judiciaire lors des audiences d'Assange devant les tribunaux britanniques, y compris le conflit d'intérêts flagrant concernant Lady Emma Arbuthnot, la juge qui supervise son affaire.

[...]
Les journalistes n'ont pas besoin de se soucier d'Assange ou de l'aimer. Ils doivent s'exprimer en signe de protestation car l'approbation de son extradition marquera la mort officielle du journalisme. Cela signifiera que tout journaliste dans le monde qui découvre des vérités embarrassantes sur les États-Unis, qui découvre ses plus sombres secrets, devra se taire ou risquer d'être emprisonné pour le reste de sa vie.

Cela devrait terrifier tous les journalistes. Mais ce n’est pas le cas.

La grande majorité des journalistes occidentaux, bien sûr, ne révéleront jamais de secrets cachés par le pouvoir au cours de toute leur carrière professionnelle - même ceux qui surveillent ostensiblement les centres de pouvoir. Ces journalistes remanient les communiqués de presse et les briefings des groupes de pression, ils exploitent des sources au sein du gouvernement qui les utilisent comme un moyen d'atteindre les vastes audiences qu'ils touchent, et ils relaient les ragots et les coup bas des coulisses du pouvoir.

Telle est la réalité du journalisme commun qui constitue 99 % de ce que nous appelons l'actualité politique.

Les reportages « politiquement correct » sur le fondateur et rédacteur en chef de Wikileaks verront également la répétition d’un certain nombre de fausses assertions qui sont régulièrement portées contre Assange.

Caitlin Johnstone a publié une réfutation complète et pratique des 31 diffamations les plus souvent utilisées contre Assange. Elle a également de bons conseils sur la manière de contrer les autres arguments utilisés contre lui.

Kevin Gosztola s’est entretenu avec Barry Pollack, l’avocat américain de Julian Assange, qui présente les arguments du gouvernement américain :

La position des États-Unis est qu'ils ont juridiction dans le monde entier et peuvent poursuivre au pénal n'importe quel journaliste partout sur la planète, qu'il soit citoyen américain ou non. Et s'il n'est pas citoyen américain, non seulement les États-Unis peuvent le poursuivre, mais cette personne n'a aucune protection en vertu du Premier amendement. Il reste à voir si un tribunal américain acceptera cette position, mais c'est bien la position que le gouvernement adopte.

Dans les affaires qui ont été portées devant les tribunaux en vertu de la loi sur l'espionnage jusqu'à présent, les efforts déployés pour établir la défense en vertu du premier amendement ont été plutôt infructueux. Les tribunaux n'ont pas [généralement autorisé ou soutenu les défenses] basées sur le premier amendement. Mais il s'agit d'affaires dans lesquelles le défendeur était le divulgateur, et non l’éditeur.

Ce cas est unique. Le gouvernement américain n'avait encore jamais tenté d'inculper un journaliste ou un éditeur en vertu de la loi sur l'espionnage.

Les arguments de la défense contre l’extradition de la Grande-Bretagne vers les États-Unis sont les suivants :

L'équipe de la défense, dirigée par Edward Fitzgerald QC, soutient que la procédure d'extradition constitue un abus de procédure dans trois catégories distinctes mais qui se chevauchent :

1. La demande vise à obtenir l'extradition pour ce qui est un "délit politique" classique. [...]
2. La poursuite est engagée pour des motifs politiques cachés et non de bonne foi. [...]
3. La demande déforme fondamentalement les faits afin de faire entrer cette affaire dans le cadre d'un crime d'extradition ; à la fois en déclarant faussement que Julian Assange a aidé matériellement Chelsea Manning à accéder à des informations relatives à la sécurité nationale ; et ensuite en déclarant faussement qu'il y a eu une divulgation imprudente des noms de personnes particulières. [...]

Il y a d’autres arguments pour que la demande d’extradition soit rejetée par le tribunal britannique. Mais il est peu probable que le tribunal en accepte un. Il n’y a pas beaucoup de doutes quant à l’issue probable du procès :

Vue la première semaine d'audiences en février au tribunal de la Couronne de Woolwich, tout indique que la décision d'extrader Assange a déjà été prise et que les trois ou quatre prochaines semaines seront simplement une parodie de justice au cours de laquelle les requêtes seront examinées pour faire croire que l'éditeur de WikiLeaks bénéficie d'un procès équitable.

Après le cycle actuel des audiences d’extradition, il faudra encore un certain temps avant que le système judiciaire britannique ne prenne une décision finale :

La juge de district Vanessa Baraitser mettra probablement des semaines, voire des mois, à examiner son verdict, la partie perdante faisant probablement appel.

Il est dommage que la justice suédoise, puis la justice britannique, se soient laissées aller à l'arbitraire en poursuivant de manière fondamentalement injuste un journaliste ayant révélé plus de crimes que toute autre personne encore en vie.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone

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