par Caitlin Johnstone – Le 28 février 2020 – Source caitlinJohnstone.com
La première partie du procès d’extradition de Julian Assange est terminée, il reprendra le 18 mai. Si vous n’avez pas suivi la procédure de près, laissez-moi vous résumer ce que vous avez manqué :
L’accusation travaille à l’extradition d’Assange vers les États-Unis en vertu d’un traité d’extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni, mais celui-ci interdisant explicitement les extraditions politiques, l’accusation prétend maintenant que le contenu devrait être ignorer. L’accusation dit que cela n’a de toute façon pas d’importance parce qu’Assange n’est pas un acteur politique, même si, en 2010, le gouvernement américain, le même qui tente de l’extrader, le qualifiait d’acteur politique, dans ces termes exacts. Le procès d’Assange se déroule dans une prison de haute sécurité pour délinquants dangereux et violents, car c’est là qu’il est incarcéré, sans raison apparente et bien qu’il n’ait aucun antécédents de violence, ce qui signifie qu’il est séparé de la salle d’audience par une enceinte de sécurité insonorisée qui l’empêche d’entendre et de participer à son propre procès. La magistrate qui juge l’affaire dit qu’il ne peut pas être autorisé à sortir de l’enceinte car il est considéré comme dangereux alors qu’il a été arbitrairement placé dans une prison pour délinquants dangereux et violents. La magistrate dit à Assange d’arrêter de parler pendant son procès et de s’exprimer par l’intermédiaire de ses avocats, tout en l’empêchant de communiquer avec ses avocats.
Cela a-t-il un sens ?
Non ?
Même pas un tout petit peu ?
Oh. Ok. Laissez-moi vous expliquer.
Une organisation britannique de défense des droits de l'homme et de réforme du droit a estimé que le fait de maintenir un accusé enfermé dans une cage de verre insonorisée à l'écart de la salle d'audience, comme c'est le cas actuellement pour Assange, constitue nécessairement une violation de son droit à un procès équitable. https://t.co/FG61rIu1ur
— Caitlin Johnstone ⏳ (@caitoz) February 27, 2020
Il est courant dans les tribunaux britanniques d’avoir ce qu’on appelle un « banc des accusés », un endroit où les accusés siègent à l’écart des juges et avocats. Toutes les salles d’audience britanniques n’ont pas de banc, et tous les bancs ne sont pas du type « sécurisé » avec armoire vitrée comme celui dans laquelle Assange est placé ; ces bancs peuvent aussi être des enceintes ouvertes en bois. Comme Assange est détenu sans explication dans une prison de haute sécurité normalement réservée aux délinquants violents les plus dangereux et aux condamnés pour terrorisme, son procès se déroule dans une cage qui est de type « sécurisé » (à tel point qu’il se plaint de ne pas pouvoir entendre les débats de son propre procès à travers la vitre pare-balles), et on s’attend à ce qu’il y reste. La magistrate a décidé que ce délinquant non violent serait maintenu dans son enceinte insonorisée pendant toute la durée de son procès, affirmant bizarrement qu’Assange représente un danger pour le public.
Craig Murray, ancien ambassadeur du Royaume-Uni et soutien de longue date d’Assange, était présent au tribunal pendant les quatre jours du procès, et il a décrit la situation comme suit (Edward Fitzgerald est l’avocat de la défense d’Assange, Vanessa Baraitser est la magistrate) :
A la reprise, Edward Fitzgerald a fait une demande formelle pour que Julian soit autorisé à s'asseoir à côté de ses avocats dans la salle du tribunal. Julian est "un homme doux et intellectuel" et non un terroriste. Baraitser a répondu que libérer Assange du banc des accusés pour qu’il s’assoit dans la salle du tribunal signifierait qu'il est libéré. Pour pouvoir le faire, il faudrait demander une mise en liberté sous caution.
Même l'avocat de l'accusation, James Lewis, est intervenu du côté de la défense pour tenter de rendre le traitement de Julian moins extrême. Il n'était pas, a-t-il suggéré avec réticence, tout à fait sûr qu'il soit exact qu'il faille une caution pour que Julian soit assis dans la salle du tribunal, ou que le fait d'être dans cette salle, accompagné par des agents de sécurité, signifiait qu'un prisonnier n'était plus en détention. Les prisonniers, même les plus dangereux des terroristes, ont témoigné depuis la barre des témoins dans la salle du tribunal, avec les avocats et les magistrats. Au sein de la Haute Cour, les prisonniers s'assoient fréquemment avec leurs avocats lors des audiences d'extradition, et dans les cas extrêmes de criminels violents ils sont menottés à un agent de sécurité.
Baraitser a répondu qu'Assange pourrait constituer un danger pour le public. Qu’il s'agissait d'une question de santé et de sécurité.
Oh oui, je suis sûr que tout le monde dans la salle d’audience est très préoccupé par le fait que le maigre informaticien intello pourrait à tout moment passer en mode bestial et commencer à tous les attaquer dans la salle. Bien sûr, Vanessa.
Donc, pour résumer, Assange a été placé dans une prison pour délinquants dangereux sans raison, et il est considéré trop dangereux pour participer à son propre procès parce qu’il est dans une prison pour délinquants dangereux. La défense et l’accusation sont d’accord pour dire que c’est absurde, mais le juge, soi-disant impartial, a statué contre eux.
Cela a-t-il un sens pour vous ?
Non ?
Bien. Cela signifie que vous êtes encore sain d’esprit.
Craig Murray
Your Man in the Public Gallery - L'audience d'Assange Jour 3 - Lors de la procédure d'hier au tribunal, l'accusation a adopté des arguments si catégoriques et déraisonnables que je me suis demandé comment les rédiger d'une manière qui ne ressemble pas à une caricature... https://t.co/Fd56lIUVcM - Craig Murray (@CraigMurrayOrg) 27 février 2020
Dans le même rapport, Murray indique également qu’il était interdit à Assange de transmettre des notes à ses avocats. Pourtant, lorsqu’il a essayé de parler pendant son procès pour attirer l’attention de quelqu’un, Baraitser lui a dit qu’il ne pouvait parler que par l’intermédiaire de ses avocats. Kevin Gosztola de
Shadowproof rapporte également que les avocats de la défense se sont plaint qu’ils ne peuvent même pas voir quand il souhaite communiquer quelque chose avec eux, parce que sa cage de verre est placée dans leur dos.
Bridges for Media Freedom explique ce qui suit :
Assange s'est alors levé et a dit : "Le problème, c'est que je ne peux pas me faire représenter." La juge Baraitser lui a alors dit de "se taire et de parler par l'intermédiaire de ses avocats". Il a répondu : "C'est le problème, je ne peux pas."
Assange s’est également plaint que même lorsqu’il est à la fois capable et autorisé à parler à ses avocats pendant le procès, il ne peut pas le faire en privé,
disant :
« Je ne peux pas communiquer avec mes avocats ou leur demander des éclaircissements sans que l’autre partie ne le voie » et
« L’autre partie a environ 100 fois plus de contacts avec ses avocats ».
Assange, par frustration, s’est plaint
en disant :
« Je suis autant un participant à ces procédures qu’un spectateur à Wimbledon ».
Assange ne peut donc s’exprimer que par l’intermédiaire de ses avocats, mais il se heurte également à de nombreux obstacles pour parler avec ses avocats. Des choses parfaitement normales dans un procès parfaitement normal étant traité de manière parfaitement normale par un empire parfaitement normal.
Il est assez clair que Baraitser a encore plus de préjugés contre Assange que les procureurs eux-mêmes et qu’elle a décidé de la façon dont elle va statuer bien avant le début du procès. Cela est d’autant plus louche qu’il n’y a apparemment aucune photo en ligne de cette fonctionnaire, et qu’il n’y a même
aucune documentation sur son existence en dehors de ce tribunal.
« Mme Baraitser n’aime pas la photographie – elle semble être la seule personnalité publique en Europe occidentale à n’avoir aucune photo d’elle sur Internet », a
écrit Murray après avoir noté sa colère contre quelqu’un qui photographiait la salle d’audience.
« En effet, le propriétaire moyen d’un garage de campagne laisse plus de preuves de son existence et de son histoire sur internet que Vanessa Baraitser. Ce qui n’est pas un crime de sa part, mais je soupçonne que cet effacement ne se fait pas sans effort considérable. Quelqu’un m’a suggéré qu’elle pourrait être un hologramme, mais je ne pense pas. Les hologrammes ont plus d’empathie ».
En soi, cela est bizarre. Comment une personne sans visage public peut-elle statuer sur un procès d’extradition d’une telle importance historique ? Comment un agent public peut-il prendre une décision qui affectera tous les membres du public d’une manière ou d’une autre, alors que le public n’est pas autorisé à savoir quoi que ce soit sur elle ou même à quoi elle ressemble ? C’est, à mon avis, bizarre et effrayant.
Ensuite, il y a l’accusation. Elle
essaye de faire valoir que le traité d’extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni, qui interdit expressément l’extradition pour des délits politiques, est nul et inapplicable à cette affaire en raison d’une autre loi appelée
« Extradition Act » qui est rédigée différemment, alors que le traité d’extradition a constitué la base de la demande d’extradition d’Assange.
« Nous sommes dans un monde assez étrange, genre Alice au pays des merveilles, où le traité qui contrôle et donne lieu à la demande d’extradition, n’a soi-disant rien à voir avec la légalité de celle-ci, c’est très étrange »,
a déclaré Fitzgerald à un moment donné, ajoutant :
« il est généralement admis dans le monde entier que des personnes ne devraient pas être extradées pour un délit non violent de nature politique ».
L’accusation a également tenté de faire valoir que même si les exemptions prévues par le traité d’extradition s’appliquaient, cela n’aurait pas d’importance car Assange n’est pas accusé de quoi que ce soit qui pourrait être qualifié de délit politique. Elle a déclaré que la défense doit « mettre sur un pied d’égalité ce que M. Assange est censé avoir fait et si oui ou non le seul but était de changer le gouvernement en Amérique ou d’inciter l’Amérique à changer sa politique, ce qui, selon nous, n’est pas le cas dans les deux cas ».
La défense a correctement
répliqué que non seulement WikiLeaks
essayait d’influencer le comportement du gouvernement américain, mais qu’il y
était parvenu. De plus, le gouvernement américain a lui-même accusé Assange d’être un acteur politique qui essaie de changer le comportement de l’Amérique.
« Ce n’est pas un journaliste. Ce n’est pas un dénonciateur. C’est un acteur politique. Il a un programme politique »,
déclarait PJ Crowley, porte-parole du Département d’État, à propos d’Assange en 2010, après que WikiLeaks ait commencé à exposer les crimes de guerre américains.
« Il essaie de saper le système international qui nous permet de coopérer et de collaborer avec d’autres gouvernements et de travailler dans un cadre multilatéral et sur une base bilatérale pour aider à résoudre des problèmes régionaux et internationaux ».
En d’autres termes, Assange est un acteur politique qui tente délibérément d’interférer avec le programme de domination mondiale du gouvernement américain.
Le dictionnaire Merriam-Webster
définit le mot kafkaïen comme
« de, relatif à, ou suggérant Franz Kafka ou ses écrits en particulier : de qualité cauchemardesque, complexe, bizarre ou illogique ».
« L’œuvre de Kafka se caractérise par des contextes cauchemardesques dans lesquels les personnages sont écrasés par une autorité aveugle et absurde », explique Merriam-Webster. « Ainsi, le mot kafkaïen est souvent appliqué à des situations administratives bizarres et impersonnelles où l’individu se sent impuissant à comprendre ou à contrôler ce qui se passe ».
J’essaie généralement d’éviter les mots que peu de gens comprendront dans mes écrits, en particulier dans mes titres, mais vous le connaissez, bon sang. C’est la définition la plus parfaite que vous puissiez trouver de ce ridicule et cauchemardesque labyrinthe bureaucratique.
On peut s’attendre à pire lorsque le procès reprendra en mai et, pour être clair, c’est maintenant la partie la plus juste et la plus équitable du combat. Si Assange est extradé vers les États-Unis, comme la mystérieuse Vanessa Baraitser semble prête à le permettre, il sera confronté à
un procès biaisé après que lui et son équipe juridique aient été
espionnés par les services de renseignement américains lors de la préparation de sa défense. Lui et son équipe juridique n’auront droit à faire
aucun commentaire pendant le procès, et
il disparaîtra dans un trou noir de
« mesures administratives spéciales » d’où plus personne ne pourra l’entendre.
Le temps est venu de défendre Assange et l’avenir de la liberté de la presse. Pas quand il sera extradé. Pas après son faux procès et sa condamnation draconienne. Maintenant.
Caitlin Johnstone
Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone
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