La petite clique des étasuniens, qui mène la guerre économique dans le monde prospère avec l’arme de son écœurante et mièvre culture
Par Denis A. Conroy − Le 29 novembre 2019 − Source the saker.is
Le nationalisme américain attache le tout à sa propre partie en instrumentalisant les émotions et en diffusant l’idée que la «totalité» américaine est exceptionnellement plus grande que la somme de ses parties.
Il ne fait aucun doute que le fanatisme est la dynamique qui a forgé le caractère américain. Avant tout, les énonciations proférées par des prophètes barbus ont été emportées par le souffle ontologique du temps et ont fini par atterrir sur les côtes du nouveau monde avec une bible et un crucifix pour conjurer les inégalités et aider à forger une mentalité – et une politique étrangère – pour ceux qui prennent possession du Royaume de Dieu. Une politique coloniale qui condamne inévitablement la population des territoires occupés à la misère et à la pauvreté, remise au goût du jour par les « changement de régime ». La réforme protestante a toujours consisté à lustrer le récit de Dieu avec une éthique du travail réduite à la somme de ses composantes mercantiles.
À ce jour, les réalisations individuelles ont préséance sur les valeurs collectives, car on estime que le zèle missionnaire a le potentiel de sublimer la libido afin de consacrer son énergie à des activités de travail productives. Le nœud de la narration est l’ineffable credo protestant existentialiste qui sous-tend les vertus de la culture anglophile du XIXe siècle, en trouvant les moyens d’apaiser l’esprit avec des récompenses oniriques pour transmettre la promesse de jouissance terrestre à ceux qui ont l’esprit vif… ou pour le dire simplement, le mercantilisme est devenu l’issue unique dans le combat irascible de l’homme avec son armature existentiel.
Avec le temps, les classes mercantiles européennes pénétreraient de manière invasive dans tous les coins du globe pour extraire de la richesse. Ceux qui recherchaient une satisfaction matérielle finiraient par définir la démocratie comme la liberté de poursuivre ses désirs individuels. Il en est ressorti une gentrification incarnée dans la classe sociale dominante et une démocratie factice enrobée de sucre, qui prônait une forme de fausse individualité, créant un système de classe basé sur l’exploitation de presque tout, et de tous.
Au fil du temps, la stature existentielle de l’État a grandi, tandis que la stature existentielle de l’individu est restée la même. Avec l’avènement du mercantilisme, une politique économique nationale conçue pour maximiser les exportations et minimiser les importations a été adoptée, l’État jouant un rôle d’arbitre dans toutes les ententes commerciales. Pour que l’État soit supérieur à la somme de ses parties, il devait exporter une plus grande quantité de produits manufacturés vers ses partenaires commerciaux, tout en minimisant la quantité de marchandises importée.
Pour ce faire, il était nécessaire de concevoir des politiques visant à réduire un éventuel déficit de la balance courante et à dégager un excédent. Le mercantilisme a mis en place une politique économique nationale visant à constituer des réserves monétaires grâce à une balance commerciale positive, en particulier pour les produits finis… de belles politiques en théorie, mais lorsque la concurrence a vraiment commencé à pousser, la cupidité a inévitablement fait apparaître ces politiques pour ce qu’elles sont en réalité, dans des «talents» bruts du genre du Sheriff Trump et de la plupart de ses contemporains, qui interprètent le commerce comme un concessionnaire automobile et s’engagent résolument à mener une guerre économique contre tout le monde.
La pratique consistant à aspirer des richesses dans les ressources de l’Afrique, de l’Inde, des Amériques, et d’autres destinations asiatiques a eu un tel succès que la Grande-Bretagne… presque par inadvertance… s’est retrouvée en possession d’un empire. Celui-ci avait atteint un plateau où la somme était supérieure à ses parties et maintenir ce statut signifiait fabriquer un corpus de récits appropriés pour justifier sa prééminence… et le meilleur moyen de le faire et de garder le contrôle du récit était de recourir à la propagande et aux trophées afin d’exploiter les émotions de la population. Par conséquent, l’État moderne a trouvé un moyen de s’installer en première place aux dépens de l’individu. Avec le temps, des cartels d’affaires en collaboration avec le gouvernement créeraient de plus en plus de récits sous forme de paradigmes contextuels auxquels l’individu serait confronté.
Ce qui était nécessaire pour maintenir le statu quo, c’était un récit qui rendait les gens fiers du fait qu’ils faisaient partie d’une équipe de haut niveau en action. Une fois que les auteurs du récit ont compris que la propagande, associée au patriotisme, pouvait produire des adeptes empreints de convictions inhérentes au récit, ils ont compris que le langage lui-même pouvait cimenter une relation profitable entre acheteur et vendeur et que les relations publiques devenaient une force en soi.
Si vous faisiez partie de la bourgeoisie née au XIXe siècle à la suite de l’afflux de richesses en Europe et en Grande-Bretagne résultant de l’exploitation coloniale de l’Afrique ou de l’Inde, de l’Irlande, de l’Asie, etc., et que votre conscience était troublée par le fait d’appartenir à une culture qui affichait glorieusement son propre cul existentiel, vous pouviez trouver du baume dans l’isolement du divan du psychiatre si vos poches étaient suffisamment profondes. Si vous étiez d’une disposition humble, il y avait le pasteur ou le prêtre qui pouvait faire face à vos malheurs existentiels. Si vous arriviez à atteindre le XXe siècle, vous seriez probablement devenu tellement conditionné par les événements que vous ne seriez pas au courant de la souffrance des autres… et si vous atteigniez le XXIe siècle, alors … que périsse la pensée !
C’est dans cette phase de l’histoire que le commerce est entré intelligemment dans la tâche d’expliquer le sens de l’existence par la foi dans l’éducation… pour un prix, of course ! Ce sont ensuite des experts laïcs qui expliquent le sens de la vie à quiconque ayant les moyens de payer la révélation tout en réprimant simultanément les instincts révolutionnaires qui pourraient, dans un premier temps, laisser filtrer la lumière de la raison.
Avec la construction du récit existentiel, de plus en plus de gens se voyaient comme des parties d’un nouvel ensemble. L’histoire personnelle est devenue le Graal du XXe siècle, promouvant une vision de l’Amérique comme une utopie en mode turbo, qui a, en retour, généré un optimisme cosmique à toute épreuve. L’Amérique a largement progressé après avoir pris le relais de la Grande-Bretagne , là où elle l’avait laissé après la débandade finale à la fin du XIXe siècle aux portes du paradis, ce qui a finalement provoqué aux États-Unis une poussée d’adrénaline au XXe siècle, qui a atteint son apogée [sans jeu de mot, NdT ] au moment de poser un homme sur la lune. Le résultat final fut que l’industrie américaine devint la reine du monde pendant un siècle, ce qui la conforta dans la conviction de son invincibilité.
Quand l’Amérique a-t-elle commencé à croire qu’elle devait posséder le plus grand arsenal nucléaire pour avoir le sentiment que «l’ensemble» de l’Amérique était devenu plus grand que la somme des parties de son rival ? Ce qui soulève la question suivante : compte tenu de la manière dont le pouvoir est utilisé par l’État capitaliste démocratique et moderne, la constitution américaine est-elle simplement un exemple de relique conservée pour le principe ? Y a-t-il quelque chose au-delà de la puissance brute qui puisse définir l’essence de l’Amérique ? Y a-t-il une essence, ou est-elle simplement guidée par la lumière obscure qui émane d’un seul mot… «démocratie»… écrit sur une feuille de papier vierge qui a été placée dans une bouteille et confiée à l’océan avec des informations qui pourraient aider ‘les gens’ à réaliser leurs désirs ?
Les gens ne voient-ils pas qu’ils doivent être libérés des illusions qui les enveloppent avant de pouvoir révolutionner leur système… et de passer à autre chose ?
Les élites qui contrôlent le récit restent invisibles, leur rôle n’est ni profond ni superficiel, elles contrôlent simplement les flux monétaires. C’est la quintessence de l’État sans visage, protégé par des protocoles, des agences de renseignement secrètes et la réalité du budget militaire mis en place pour maintenir le statut de chien de garde en dernier ressort pour les élites et les illusions qui confortent les divers laquais, maintenant mis en quarantaine dans des zones de citoyens, pour qu’ils continuent à émasculer leur esprit révolutionnaire.
Le processus actuel de destitution en Amérique illustre le mieux la stérilité dans laquelle la population est immergée. Elle devrait se destituer elle-même – au lieu de chercher un bouc émissaire – pour son incapacité à se confronter à ses propres exploits. Elle semble ignorer qu’elle participe à un bain de sang qui a dévasté une grande partie du Moyen-Orient et de nombreuses autres sociétés dans le monde entier.
Une fois de plus, les Américains sont impliqués dans les premières étapes d’une élection qui laisse la question de la politique étrangère américaine dans un coffre trop difficile à ouvrir. Une situation énigmatique qui ferait rougir Machiavel. Mais hélas, quand toute honte est bue, on reconnaît que la puissance américaine est un droit donné par Dieu, et les dommages collatéraux ne changeront pas le ton de son approche brutale de la réalité.
Ensuite, il y a de plus en plus de preuves du schisme entre l’existentialisme d’entreprise, par opposition à l’existentialisme individuel. Les premiers sont détenteurs du droit d’écraser les seconds depuis que Corporate America a sorti le mot – civil – de la civilisation, en cherchant assidûment à retirer aux voix, aux données, aux informations, à la vérité et au journalisme honorable, le rôle de servir l’intérêt public.
Il est pour le moins odieux de constater comment Julian Assange, Chelsea Manning, Edward Snowden – également Daniel Ellsberg, Jeffrey Wigand, Thomas Andrew Drake et Frank Serpico – ont été traités pour avoir divulgué les crimes exécrables de l’État américain. Le fait que tant d’Américains admettent la mentalité qui veut que «le tout est supérieur à la somme de ses parties», et qu’ils ne tiennent pas compte du service fourni par leurs lanceurs d’alerte, est épouvantable. Une nouvelle classe de personnes a vu le jour et déteste les lanceurs d’alerte car ils disent la vérité devant le pouvoir … dommage que des millions d’Américains ne pensent pas de cette façon !
Et que pensent réellement les médias dominants de tout cela ? Que le New York Times continue de publier volontiers les balivernes flatteuses de Bibi Netanyahu concernant les menaces existentielles contre Israël, tout en ignorant le fait que son pays a envahi la Palestine et que de nombreux Palestiniens vivent désormais dans des conditions épouvantables où les droits élémentaires ne leur sont même pas appliqués. La blessure infligée aux Palestiniens s’apparente à celle que l’on peut prolonger, disons à Julian Assange, car tous deux dégradent insidieusement l’esprit humain.
Ce sont des actions qui mettent en évidence le schisme qui existe entre gouvernants et gouvernés… l’existence de l’État par rapport à l’existence de l’individu… ou de tout autre agent de la zone juridique individuelle que nous reconnaissons comme étant distincte de la zone existentielle privilégiée des gouvernements, qui inclut les multinationales qui jouissent d’une responsabilité limitée en raison de leur statut en droit. L’existentialisme, au niveau individuel, est un concept né du loisir – de l’aisance financière – mais s’agissant de la réalité fiscale, sa souveraineté est quelque peu éclipsée par les pièges extérieurs d’un système étatique conçu pour maintenir les freins et contrepoids qui favorisent le récit impérial.
Il y a six mois, lorsque le gouvernement américain a incriminé Assange avec 17 chefs d’accusation en vertu de la loi sur l’Espionnage pour avoir publié les fuites de Chelsea Manning, il semblerait que ces mesures ont été prises pour étouffer la possibilité d’un précédent qui remettrait en cause le droit d’un gouvernement de supprimer l’existence de la vérité elle-même ; finalement il s’agit du droit de bâillonner le message et le messager.
L’État policier américain est un fiasco de plusieurs milliards de dollars, destiné à préserver les biens et les ressources du peuple américain, par des agences gouvernementales corrompues et leurs partenaires commerciaux. Dans son incarnation actuelle, il existe incontestablement comme un paria dont l’ingérence insidieuse dans les systèmes des autres n’a aucune limite. Il crache inlassablement à chaque occasion des mensonges qui sont des variations sur le thème de leur immense vertu et de la justice de l’Amérique. Sa politique étrangère est poreuse pour aspirer la substance des États vulnérables exposés à l’attraction gravitationnelle de systèmes bien armés comme Wall Street et le Pentagone.
Les systèmes qui ont transformé la culture américaine en arme ont engendré une foule de béni-oui-oui, hommes et femmes… les médias dominants sont en effervescence avec eux. La vie émotionnelle et intellectuelle des gens ordinaires aux États-Unis est dangereusement égoïste et défensive. Comprendre à quel point la politique américaine est réflexive, c’est découvrir… en surfant simplement sur des chaînes de télé… que le public américain est devenu la viande d’un sandwich, entre deux tranches de toasts, une démocrate et l’autre républicaine.
Écouter Elizabeth Warren [candidate aux primaires du parti démocrate pour l’élection présidentielle] parler de la Bolivie, donne le témoignage d’une forme d’inceste politique qui afflige l’Amérique. La sénatrice du Massachusetts a voulu faire connaître sa véritable politique étrangère dans une interview avec un apparatchik de l’ancien gouvernement de Barack Obama sur le podcast «Pod Save America».
Warren a loué la stratégie de Trump consistant à nommer le leader dégonflé du coup d’État au Venezuela, Juan Guaido, au poste de président du pays et a déclaré : «Je soutiens les sanctions économiques». Elle a également qualifié le président démocratiquement élu du pays, Nicolas Maduro, de «dictateur»… Bien que l’interview ait eu lieu en février , des clips vidéo ont récemment refait surface et sont devenus viraux sur les médias sociaux.
Ce qui me ramène à l’observation que la culture écœurante de l’Amérique est virale d’une manière principalement mortelle pour ceux qu’elle désapprouve. Elle se comporte comme une pieuvre géante étendant à tout jamais ses tentacules dans des endroits qu’elle souhaite exploiter ou anéantir. Et voici que le Posse comitatus américain s’est transformé en forces d’infiltration qui opère en dehors du droit international, de la décence humaine ou de la responsabilité fondamentale. L’Amérique a horreur de l’idée que des dirigeants comme Evo Morales puissent enrayer les pratiques prédatrices des entreprises américaines et s’attaquer à l’élimination de la pauvreté dans sa Bolivie bien-aimée. Le pire, c’est que le public américain approuve le changement de régime et toutes les autres pratiques rapaces pour lesquelles il est connu.
Malheureusement, l’Amérique est devenue comme un robot détraqué dans un champ de mines mathématique, piétinant et frappant tout ce qu’elle perçoit comme un concurrent tout en agitant ses missiles nucléaires et ses cisailles à élaguer face à des spectres du genre sous-particules existentielles qui menacent de conduire l’humanité dans un lieu où elle pourrait découvrir que danser le fandango socialiste pourrait être une bonne chose, après tout.
Denis A. Conroy
Traduit par jj, relu par Camille pour le Saker Francophone
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