Par Andrew Korybko – Le 29 avril 2019 – Source eurasiafuture.com
Le président Poutine propose de simplifier le processus d’obtention de la nationalité russe pour tous les ukrainiens. Il s’agit d’un effort audacieux, visant à attirer ses voisins, provenant d’une civilisation similaire à celle de la Russie, comme « migrants de remplacement », et amènera à une compétition entre la Russie et la Pologne, sa rivale historique, à qui va attirer le plus de cette précieuse « ressource humaine ».
Tendances démographiques
Ce n’est un secret pour personne que la Russie peine sérieusement à maintenir ses niveaux de population depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, et l’année passée a constitué la première baisse de population depuis une décennie. Ce processus se produit en parallèle d’une hausse des taux de natalité au sein de la minorité musulmane du pays, et rend probable l’hypothèse selon laquelle environ un tiers des habitants de la Russie constitueront des adeptes de l’Islam dans les 15 prochaines années, à en croire le grand mufti de Russie. Moscou a bien conscience des défis socio-politiques que ce profond changement démographique pourrait engendrer, surtout si son Article 282 controversé ne parvient pas à gérer la dangereuse montée des idées ultra-nationalistes d’extrême droite, qui pourraient inspirer des attaques terroristes sur le modèle de Christchurch, en vue de provoquer un soi-disant « conflit de civilisations » au sein de ses frontières. Pour visionnaire qu’ait été le manifeste du président Poutine de 2012 sur l’ethnicité et l’immigration, il est impossible qu’il soit parfaitement appliqué en pratique, et l’on devrait donc considérer que certains problèmes de sécurité vont bel et bien se produire tôt ou tard.
Des problèmes à l’horizon ?
L’ONU a prédit en 2018 que la population russe allait diminuer de 11 millions avant 2050 : c’est l’une des raisons pour lesquelles le premier ministre Medvedev a lancé l’alerte début avril 2019, en vue d’éviter un effondrement démographique semblable à celui connu par le pays dans les années 1990. Une autre raison, implicite, à cette intervention, pourrait être en lien avec le fait que ces prévisions de perte de démographie, sans doute causée par l’augmentation de l’âge des populations russes slaves orthodoxes, débouchera sur une proportion de musulmans encore plus importante au sein de la population russe à ce stade ; cela pourrait accentuer les défis socio-politiques habituellement associés à de telles transitions démographiques dans des pays à majorité chrétienne. Malgré les généreux subsides accordés par le président Poutine aux femmes donnant naissance à deux enfants ou plus, il réalise sans doute que ces mesures ne suffiront sans doute pas à maintenir le niveau de population du pays, ni à préserver l’équilibre religieux en place, et c’est précisément pour ces raison qu’il essaye d’attirer les ukrainiens comme « migrants de remplacement ».
« Des migrants de remplacement identiques d’un point de vue civilisationnel »
Ces peuples voisins sont « similaires d’un point de vue civilisationnel » aux russes, en ce qu’ils sont pour la plupart des slaves orthodoxe, parlent une langue apparentée ; leur possible migration en masse vers la Russie pourrait, en théorie, équilibrer les hausses de natalité de la population musulmane en Russie, et compenser le déclin démographique programmé du pays. C’est sans doute là l’une des raisons pour lesquelles le président Poutine vient de faire adopter un décret facilitant l’obtention de la nationalité aux habitants du Donbass, et de déclarer peu de temps après que cette politique pourrait se voir étendue au bénéfice des 40 millions d’ukrainiens. On comptait un peu moins de 2 millions d’ukrainiens vivant en Russie il y a presque 10 ans, selon le recensement qui y fut tenu à l’époque, ce qui égale à peu près le nombre de migrants comptés vers la Pologne depuis le coup d’État de l’Euromaidan en 2014. Partis rechercher du travail, nombre d’entre eux n’ont aucune perspective pour l’instant d’y acquérir la nationalité polonaise, et nombreux sont ceux qui envisagent apparemment de déménager vers l’Allemagne ou d’autres pays d’Europe de l’ouest.
Pologne contre Russie
Quoi qu’il en soit, la population polonaise connaît les mêmes problèmes que celle de la Russie, en ce qu’elle subit le déclin naturel qui caractérise nombre d’économies développées, et les Ukrainiens pourraient supposément constituer pour Varsovie des « migrants de remplacement, similaires d’un point de vue civilisationnel » tout autant que pour Moscou : les deux pays historiquement rivaux pourraient donc également entrer en compétition sur le plan des « ressources humaines ». À la différence des événements passés, cette compétition ne verra pas des moyens militaires mis en œuvre, ne se situera pas dans les sphères géopolitiques, mais constituera plutôt une lutte de « soft power » dont l’issue sera finalement déterminée par qui réussira à proposer les perspectives économiques les plus alléchantes aux « nouveaux arrivants ». La Russie dispose de l’Union économique eurasiatique, pilotée par Moscou, face à laquelle la Pologne anime l’« Initiative des trois mers », qui vient en sus des bénéfices de l’adhésion à l’Union Européenne.
Conclusions
Il est bien difficile de prédire si les Ukrainiens vivant en Pologne pourraient déménager vers la Russie en réponse aux propositions de citoyenneté émises par le président Poutine, ou si l’on verra plutôt de nouvelles fournées d’Ukrainiens vivant jusqu’ici au pays se déplacer vers la Russie. Mais il est clair que Moscou est à présent en compétition avec Varsovie pour attirer les Ukrainiens, en tant que « migrants de remplacement, similaires d’un point de vue civilisationnel », afin de compenser le déclin de sa démographie propre et de maintenir son équilibre religieux, qui est sans cela promis à des changements importants dans les années à venir, les taux de natalité des populations musulmanes de Russie étant en croissance. Contrairement à Merkel et à sa politique implicite de « migration de remplacement » en provenance du « grand sud », le président Poutine préférerait attirer les Ukrainiens de l’ancienne Union Soviétique, mais dans les deux cas, les dirigeants semblent s’être résignés à ce que leurs problèmes démographiques internes ne se voient pas résolus sans mettre en jeu des flux importants d’immigrés.
Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone
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