Par Andrew Korybko – Le 22 avril 2019 – Source eurasiafuture.com
Chacun des deux dirigeants étasunien et pakistanais ont pris une décision très importante, sans que cela soit coordonné, mais quasiment en même temps. Ces décisions pourraient avoir pour effet de ruiner les relations irano-indiennes.
Les relations irano-indiennes pourraient être sur le point d’entrer dans la période la pire de l’histoire moderne, en réaction à deux décisions, prises de manière non coordonnée mais quasiment en même temps par les dirigeants étasunien et pakistanais. Le premier ministre Khan rentre à peine de son premier voyage officiel en Iran, où lui et son hôte ont annoncé que leurs deux pays entraient dans une nouvelle ère de coopération anti-terroriste que l’analyste géopolitique Adam Garrie a analysée de manière détaillée dans son article récent à ce sujet. La balle était bel et bien dans le camp iranien pour mettre un coup d’arrêt au terrorisme balouch anti-pakistanais, j’y avais consacré un article récemment ; et au crédit de Téhéran, ses dirigeants ont fini par le comprendre et ont décidé d’étendre leur partenariat militaire avec l’État pivot mondial qu’est devenu le Pakistan. Voilà qui va grandement compliquer les possibilités de Guerre hybride indienne utilisant clandestinement le territoire iranien pour mener des attaques contre le Pakistan sous couverture, dans des tentatives effrénées de saboter le Couloir économique Chine-Pakistan (CPEC). La visite du premier ministre Khan aura des conséquences étendues et à long terme en matière de sécurité géostratégique dans la Nouvelle guerre froide.
En parallèle de cet événement, Trump a décidé que les USA ne renouvelleraient pas leurs exemptions de sanctions sur le pétrole iranien, et que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, membres du Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCG) et partenaires de Washington allaient aider les acheteurs de pétrole de la République islamique à s’approvisionner en pétrole du Golfe comme substitut. L’Inde s’était faite entendre haut et fort l’an dernier, en exprimant sa volonté de défier les sanctions unilatérales étasuniennes contre l’Iran, mais comme je l’avais écrit dans mon article à l’époque sur l’« illusion Indienne », il ne s’agissait que de gesticulations visant à masquer le fait que New Delhi obéissait en réalité au doigt et à l’œil à son nouveau parrain. Mais Trump vient de faire converger tous les regards sur Modi, et cela pourrait sentir le roussi pour le dirigeant indien, candidat à sa propre succession au cours d’un processus électoral long d’un mois, et dont l’aura pourrait en prendre un sacré coup s’il capitule publiquement face aux exigences étasuniennes et laisse l’or noir du Golfe se substituer au pétrole iranien ; je soupçonne depuis fin 2018 – depuis son sommet en Argentine avec le prince saoudien Mohammed Bin Salman qu’il finira par s’y résoudre. De cet angle, la décision étasunienne pourrait constituer un nouvel épisode de la tactique du « mauvais flic » contre Modi, pour forcer l’Inde à lâcher quelques concessions stratégiques supplémentaires.
Il ne serait donc pas exagérer d’écrire que Trump et le Premier ministre Khan viennent peut-être de ruiner les relations irano-indiennes pour de bon, car les effets combinés de leurs décisions respectives pèseront chacun sur ces relations. Le dirigeant pakistanais a exposé les machinations terroristes de Guerre hybride de l’Inde au cours de ses discussions avec les dirigeants iraniens, ce qui explique sans doute pourquoi les deux nations voisines ont décidé d’insuffler un nouvel élan à leur coopération militaire mutuelle. Et cela pendant que le dirigeant étasunien force l’Inde a mettre fin à ses importations de pétrole iranien, sous la menace de lui infliger des « sanctions secondaires » au potentiel dévastateur, et de remplacer ses ressources énergétiques par les adversaires acharnés de l’Iran, les États du Golfe. Même si l’Iran et l’Inde conservent des intérêts stratégiques en commun dans le couloir de Chabahar et dans le couloir de transport Nord-Sud, la confiance qui jusqu’alors constituait la toile de fond de leurs relations est à présent brisée, et leurs liens ne seront plus jamais les mêmes. Le résultat final est bénéfique aux USA et au Pakistan, pour des raisons différentes, et pourrait d’ailleurs, chose intéressante, résulter par effet de bord de la coopération diplomatique récente de ces deux pays en Afghanistan.
Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone