Les US ne toléreront pas que la Chine réduise sa vulnérabilité stratégique
"...En vérité, les États-Unis n'ont rien à faire en mer de Chine méridionale ; en outre, il n'ont pas ratifié la Convention. Donc il est inapproprié pour eux de se mêler ou, pire encore, d'effectuer des démonstrations de sa puissance militaire là-bas. Les États-Unis doivent être plus sages et plus justes dans leur vision du conflit en cours dans la mer de Chine du Sud." Rahkundini, porte-parole de l'ASEAN
Par Pepe Escobar – Le 16 juin 2016 – Source Russia Today
Pas un jour ne passe sans une sorte d’agitation dans la mer de Chine méridionale. Allons à l’essentiel : la guerre n’est pas sur le point d’éclater.
En un mot, le drame non-stop, comme un diplomate de l’ASEAN (Association des nations du Sud asiatique) me l’a dit, n’est que « la gestion des protocoles de l’escalade ». Traduction : comment prévenir toute éruption unilatérale passagère qui pourrait être interprétée comme guerrière.
Aggravant le problème, l’ASEAN ne parvient pas à gérer ses propres protocoles internes. Mardi dernier, une réunion spéciale des ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN avec la Chine à Yuxi, en a fourni une illustration lumineuse. Au départ, l’ASEAN a publié un communiqué. Puis s’est
rétractée. Cela reflète autant les dissensions au sein du groupe des dix nations, que cela dégonfle aussi le mythe du Pentagone sur «l’isolement» de la Chine.
Pendant ce temps, le jour J approche où sera connue la décision de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, à propos d’un différend territorial porté à la Cour par les Philippines en 2013. La décision devrait intervenir d’ici la fin juillet ou début août. Même si – comme prévu – elle va à l’encontre de Pékin, cela ne devrait toujours pas être une raison pour installer une fracture insurmontable entre l’ASEAN et la Chine.
Connie Rahakundini, président de l’Institut indonésien d’études maritimes (IIMS), a cadré la question de Xinhua. Il existe un mécanisme «ASEAN plus» déjà en place – qui est une sorte de forum de discussion, incluant la Chine. Et l’ASEAN met également en place un code de bonne conduite pour éviter des mesures unilatérales.
Le problème, avec la plainte portée à La Haye, est que les Philippines n’ont pas essayé de résoudre la difficulté bilatéralement ; en coulisse, les diplomates de l’ASEAN admettent que ce serait la seule solution.
Donc, il n’est pas étonnant que Pékin ait décidé de ne pas faire partie de la procédure d’arbitrage, et rejette préemptivement la décision quelle qu’elle soit – qui est non contraignante de toute façon – en insistant sur l’incompétence du tribunal. Le litige des Philippines concerne une question de souveraineté territoriale et de délimitation maritime ; celle-ci est soumise au droit international général, et non pas à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS).
Tout est affaire de positionnement
Lors du récent dialogue à l’hôtel Shangri-La à Londres, Beijing a, une fois de plus, détaillé sa stratégie complexe dans la mer de Chine du Sud. Le major général de l’Armée Populaire de Libération (APL), Yunzhu Yao, a souligné que la liberté de navigation des navires commerciaux dans la mer de Chine du Sud n’a pas été contestée et ne le sera jamais. Et elle a frappé au cœur de la question ; les États-Unis n’ont pas ratifié la Convention, ils ne sont donc pas en mesure d’imposer leur interprétation du traité à toutes les nations, en Asie ou au-delà.
Comparez avec ce qu’a dit Rahkundini, au nom de l’ASEAN dans son ensemble : « En vérité, les États-Unis n’ont rien à faire en mer de Chine méridionale ; en outre, il ne ratifient pas la Convention. Donc il est inapproprié pour les États-Unis de se mêler ou, pire encore, d’effectuer des démonstrations de sa puissance militaire là-bas. les États-Unis doivent être plus sages et plus justes dans leur vision du conflit en cours dans la mer de Chine du Sud. »
Tout le monde sait que cela ne se produira pas [les US sages et justes, NdT]. Au contraire ; l’administration Obama et le Pentagone sont engagés tous azimuts dans l’ingérence et le déploiement d’opérations de «liberté de navigation». Pour sa part, le nouveau président philippin Rodrigo Duterte sait très bien que l’arbitrage, au mieux, pourrait lui donner une meilleure position de négociation. Mais encore, il devra négocier avec la Chine. Et Pékin sait exactement ce dont Manille a besoin pour adoucir la pilule : des investissements chinois massifs.
La Chine et les Philippines, ainsi que le Vietnam, sont signataires de la Convention. Mais aussi, profondément ancré dans l’histoire, il y a le fait que Beijing se distingue par sa cartographie de ligne discontinue des 9 points, matérialisation de ses revendications souveraines qui vont jusqu’à la côte vietnamienne et le long de Bornéo. Et pourtant, même la carte des revendications chinoises de souveraineté et sa démarche de mise en place d’une zone d’identification de défense aérienne, ne signifie pas que Pékin a l’intention de mettre en péril la liberté de navigation dans la mer de Chine du Sud – comme Washington insiste à clamer. Tout est une affaire de positionnement
À la rencontre de la «souveraineté nationale mobile»
Le droit international ne défend pas spécifiquement les réclamations en mer. La Chine applique une stratégie assez audacieuse, qu’elle définit comme la stratégie du « sol bleu ». Le Vietnam, la Malaisie et même les Philippines ont présenté des réclamations en mer de Chine méridionale depuis longtemps. La Chine est arrivée plus tard, mais en pleine force – construisant des pistes d’atterrissage, des phares, installant des garnisons sur les îlots négligés ou abandonnés dans les Spratleys et Paracels. Encore une fois, il est question d’énergie, mettre la main sur une fabuleuse richesse inexplorée de 10 milliards de barils de pétrole et de 30 mille milliards de mètres cubes de gaz naturel.
Dans sa recherche d’énergie, Beijing concentre une part importante de sa stratégie sur des domaines déjà identifiés, par exemple, par PetroVietnam. Et il utilise un outil qui change la donne : le HYSY 981, une installation mobile de forage en eau profonde, que le président de la CNOOC, Wang Yilin, décrit comme une «arme stratégique» qui fait partie de la «souveraineté nationale mobile» de la Chine.
Le Président Xi Jinping a souligné maintes et maintes fois que la Chine ne militarisera aucune des terres récupérées. Pourtant, l’insistance du Pentagone au sujet des opérations inoffensives de « liberté de navigation » couplées à des survols par l’USAF, ne peut être interprétée que comme des provocations conduisant à une militarisation accrue.
Le Pentagone n’a jamais été accusé d’être géopolitiquement avisé. Après tout, leurs planificateurs préfèrent – ou font semblant de – ne pas voir que la construction d’îles artificielles par la Chine, dans le long terme, a pour but de trouver suffisamment de pétrole et de gaz pour « éviter Malacca », il s’agit d’un élément central de la stratégie énergétique de Pékin. Pékin aimerait plutôt avoir assez d’énergie à la maison, dans la mer de Chine du Sud, que voir sa flotte de pétroliers à la merci de la marine américaine en traversant le détroit de Malacca non-stop.
Personne ne sait comment la suppression, par les États-Unis, de l’embargo sur les ventes d’armes au Vietnam se traduira dans la pratique. En termes de coopération dans le Sud-Est asiatique, il pourrait être utile d’observer les actions de Singapour – cette plateforme pour le commerce des biens et des services, stationnée dans le détroit de Malacca à l’instar d’un porte-avions US. Singapour arrive à réaliser un superbe jeu d’équilibre entre Washington et Pékin. La Russie, en passant, est également officiellement neutre sur toutes les questions de la mer de Chine méridionale.
La Chine est partenaire de l’écrasante majorité des pays de l’Asie du Sud-Est et du Nord-Est pour les négociations commerciales. Elle est un membre éminent du Sommet de l’Asie de l’Est. Avec le Partenariat régional économique global (RCEP), elle façonne sa propre réponse asiatique au Trans-Pacific Partnership (TPP), le projet favori de l’administration Obama.
Pékin sait que le «réseau de sécurité de principe», proposé à Singapour par Ash Carter – le canard boiteux à la tête du Pentagone – n’a aucune chance de devenir un clone de l’OTAN en Asie du Sud-Est.
Tout cela signifie que la notion d’une Chine « isolée » ne peut même plus être racontée comme une mauvaise blague lors des meeting laborieux du Council on Foreign Relations [think tank US].
Et cela nous ramène à ce qui se passera après l’arbitrage de La Haye. Quelque chose de très asiatique ; Pékin et Manille se rasseyent et essaient de parvenir à un accord, sans jamais prendre la peine de se référer à la décision de justice de La Haye. La face sera sauvée des deux côtés. La Chine continuera à s’affairer à la recherche de tout ce qu’il y a de pétrole et de gaz.
Et comptez sur le Pentagone pour poursuivre son ingérence.
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009), Empire of Chaos (Nimble Books) et le petit dernier, 2030, traduit en français.
Traduit et édité par jj pour le Saker Francophone
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