Par Pepe Escobar – Le 31 mai 2016 – Source Sputnik News.
La route vers Raqqa, capitale du califat bidon qu’est EI / Daech, continuera à être un mystère enveloppé dans une énigme, au moins jusqu’aux prochaines élections présidentielles américaines. Voyons pourquoi.
Le gros mélange connu sous le nom de Forces démocratiques syriennes (FDS), dirigé par le YPG kurde aux côtés de la brigade de femmes kurdes, les YPJ, essaye d’avancer contre Daech, au nord et maintenant aussi à l’ouest de Raqqa.
L’objectif clé est Tabqa, à l’ouest de Raqqa. Tabqa est cruciale, car elle relie Raqqa à des positions tenues par Daesh près d’Alep – où un embryon de mère de toutes les batailles se développe. Conquérir Taqba elle-même ne sera pas une mince affaire, car cela implique que les forces FDS traversent le fleuve Euphrate, qui se trouve justement être la ligne blanche imposée par le Sultan Erdogan.
Une opération médiatique massive, déployée par Washington, impliquant une controverse hilarante sur des bottes américaines foulant le terrain syrien, est menée parallèlement à l’avancée des Forces démocratiques syriennes. Le président Obama a toujours répété qu’il n’y aurait pas de bottes étasuniennes sur le terrain en Syrie. Le Département d’État répète la litanie de la Maison Blanche. Pourtant, des bottes, environ 250 paires, foulent effectivement cette terre, même si elles cherchent à se déguiser avec des insignes des YPG.
Le Pentagone maintient que ces hommes n’ont qu’un rôle de conseillers et d’aides, conformément à la doctrine chérie par Obama de diriger par derrière. Ces bottes sont en fait celles des forces spéciales dédiées à la guerre non conventionnelle. Pourtant, le théâtre de la guerre – tel qu’établi par Daech – est tout à fait classique. Daech est constitué comme une petite armée, avec des véhicules blindés et une artillerie considérable, contre laquelle une guerre non conventionnelle n’a pas de sens.
L’administration Obama en fin de carrière – dont la politique syrienne peine à dévier du mantra «Assad doit s’en aller» – essaie de donner l’impression à l’opinion publique américaine qu’elle combat activement Daech. Pourtant, ceci n’est que fiction. Sans une forte coalition aérienne (en dehors des quelques bombardements visant Daech au sud de l’Ain Issa) et sans troupes importantes, aucune direction par derrière n’entraînera une victoire américaine à Raqqa.
Le champ de bataille électoral
Il est instructif de voir que l’offensive sur Raqqa n’a obtenu le feu vert qu’après le voyage du commandant général Joseph Votel, du CENTCOM, à Kobani, en Syrie, et à Ankara. Pourtant, le CENTCOM n’a donné son feu vert qu’à une opération partielle, mettant son veto au plan des YPG pour aller au delà de la ville frontalière clé de Jarablus, l’une des seules autres portes tournantes de Daech en Turquie. C’est parce que le Pentagone refuse de franchir la ligne blanche tracée par un allié de l’OTAN, la Turquie.
Ce n’est pas vraiment la prise de Raqqa qui les intéresse ; les FDS n’ont pas la main d’œuvre et les ressources suffisantes. Comme le commandant des FDS, Abu Fayyad, l’a dit, ce qui les concerne est principalement la libération de la région située au nord de Raqqa.
Les Kurdes syriens ne vont donc tout simplement pas se résigner à ne pas avancer sur Jarablus ; leur priorité stratégique pendant des mois, a été d’essayer d’ouvrir un couloir entre les cantons de Kobani et d’Afrin. Bien que leurs commandants insistent sur le fait que Washington n’interférera pas si cela devait se produire – ce qui est très discutable – ils soulignent également que l’administration Obama, en fin de carrière, veut absolument décrocher une victoire à Raqqa (ainsi qu’à Mossoul en Irak) avant l’élection présidentielle de novembre.
Voilà donc le sujet principal ; un cadeau de la politique étrangère handicapée d’Obama à Hillary Clinton, en supposant qu’elle survive au scandale concernant ses courriels.
Quant aux Kurdes syriens, même s’ils étaient en mesure de conquérir Raqqa avec l’aide du dirigeant par derrière, encore une fois très discutable car Daech se battra jusqu’à la mort avec toute sa puissance de feu, ils ne seraient pas en mesure de la prendre ni de la tenir. Raqqa est une ville arabe sunnite. Les FDS pourraient difficilement transférer suffisamment de ressources vers Raqqa, sans compromettre leur défense du Kurdistan syrien.
Encore une fois, en route vers Raqqa est vendu aux États-Unis essentiellement comme un coup médiatique, comme dans nous nous battons pour gagner. De façon perverse, la campagne médiatique porte également en elle un piège possible pour Damas. L’Armée arabe syrienne (AAS) est très concentrée à essayer de sécuriser définitivement Palmyre – ainsi que plusieurs lignes d’approvisionnement, les champs de pétrole et de gaz, les petites bases aériennes régionales utilisées par des hélicoptères russes, tout en essayant d’encercler plusieurs poches de rebelles modérés et / ou de djihadistes. Cela fait beaucoup de travail. Il n’y a pas moyen pour l’AAS de pousser trop loin le bouchon et de s’amuser avec Raqqa.
Le fait est, pour Damas comme pour Moscou, que Raqqa n’est pas un problème, pour l’instant. Un scénario beaucoup plus inquiétant se joue à Alep, où les mercenaires du Sultan Erdogan, en armes et payés pour se battre, se préparent à la Mère de toutes les batailles.
Le plan du grand jeu
Imaginons un improbable scénario où les Kurdes syriens réussissent à conquérir Raqqa, il est facile de prévoir la suite, quel que soit celui qui gagne en novembre. Washington fera de Raqqa sa propre satrapie et s’investira, une fois de plus, dans le diviser et règner en créant un État vassal commun kurde / sunnite en Syrie, le long de l’Euphrate.
Donc, ceux qui conseillent et aident ces bottes sur le terrain, sont en fait l’avant-garde du plan d’un jeu complexe dans lequel Washington, en cas de succès, serait en mesure de tracer une ligne de coupe dans cette fiction entretenue par le gang des pétrodollars – le croissant chiite – ainsi que d’affaiblir une Syrie fragmentée.
L’allié de l’OTAN, la Turquie, posera alors un gros problème à ceux qui organisent ce plan, les États-Unis. Le sultan Erdogan n’oubliera jamais ses lignes blanches que les Kurdes syriens ne doivent pas franchir. Bien au contraire, le sultan Erdogan va mettre les bouchées doubles. Erdogan est en train de parier gros sur Jabhat al-Nusra, poussé par les opérateurs turcs à se tenir à distance d’al-Qaïda, pour faire des ravages sur le front d’Alep.
Et il ne faut pas, jamais, oublier le gaz ; après tout, la Syrie est une guerre pour l’énergie. Les réserves de gaz de la Syrie se trouvent justement entre Raqqa et Deir Ez-Zoor. Il n’est pas difficile d’imaginer que beaucoup de joueurs de l’industrie pétrolière étasunienne salivent devant ces réserves qui pourraient un jour être sous contrôle américain, par procuration.
Ce qui nous amène à la question clé; comment Moscou va-t-il résoudre le mystère de Raqqa ? Voici l’autre mystère, à l’intérieur de l’énigme.
Pepe Escobar
Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone
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