Par Kim Petersen et B. J. Sabri – Le 15 janvier 2016 – Source ICH.
Du point de vue américain, européen, et israélien, un système d’États arabes unis laisse présager un défi principalement sur trois points : la primauté de l’impérialisme, le sionisme, et l’anti-communisme, dans leur feuille de route géopolitique. Ceci expliquant pourquoi l’Occident a substantiellement adopté des politiques anti-arabes. Pour l’Occident impérialiste reconnaître l’émergence d’États arabes unifiés ou confédérés signifie devoir négocier avec la plus vaste entité politique au monde, installée sur un immense territoire excédant treize millions de kilomètres carrés allant du golfe Arabo-persique jusqu’à l’océan Atlantique et possédant la plus grande richesse que l’on puisse imaginer.
Nous verrons ensuite ce que les États-Unis et l’Occident préparent comme événements dans le Monde arabe afin les utiliser pour servir leurs objectifs cumulés
Pour ce qui concerne le planning à long terme des Américains, considérons la situation lorsque la Syrie et l’Égypte ont fusionné pour fonder la République Arabe Unie, en 1958. Allen Dulles, Chef de la CIA d’Eisenhower, déclarait lors d’un briefing au Conseil National de Sécurité des US en 1958 :
Les États-Unis comprennent que cette union entre la Syrie et l’Égypte pourrait être dangereuse pour leurs intérêts et que s’ils restent passifs elle pourrait s’étendre à la Jordanie et au Liban, et ensuite à l’Arabie saoudite et à l’Irak, nous laissant face à un état arabe unique clairement dirigé par Nasser mais finalement sous contrôle réel de l’Union soviétique… De ce point de vue, si nous voulons nous y opposer effectivement, nous devons le faire très rapidement… Il se pourrait qu’une partie de la Syrie souhaite faire sécession et rejoigne l’Irak. Si cela prenait sens, l’Irak pourrait suivre et compter sur un soutien des USA. 1
Par conséquent, nous voyons bien les États-Unis et l’Occident préparant des événements dans le monde arabe pour servir leurs objectifs globaux. Pour preuve citons, et sans ordre particulier : le viol sioniste de la Palestine, l’invasion US du Liban en coordination avec Camille Chamoun en 1958, l’organisation de frictions ethniques au sein des États arabes possédant d’importantes minorités ethniques, la guerre anglo-franco-israélienne en Égypte en 1956, le coup d’État baasiste organisé par la CIA contre Abdul Kareem Quacem en 1963, la guerre israélienne contre la Syrie, l’Égypte et la Jordanie en 1967, la guerre du roi Hussein contre l’OLP [Organisation de libération de la Palestine] en 1970, l’invasion par l’Irak de l’Iran et du Koweït, le traité israélo-égyptien, la guerre civile au Liban, la destruction de l’Irak en 1991 puis les treize années de sanctions contre ce pays, la guerre civile en Algérie, les événements suspects du 9/11, l’invasion US de l’Irak en 2003, la partition du Soudan, les dévastations de Gaza et du Liban par Israël, et la destruction de la Libye et du Yémen. Le tout n’étant qu’un chapitre de la longue route suivie pour démanteler et soumettre les Nations arabes.
Au travers de ces événements, les autres chapitres – après la Seconde Guerre mondiale – ont préparé le chemin pour les prochaines phases des futures boucheries américano-franco-israélo-européano-britannique contre les pays arabes.
Voyons comment cela a été rendu possible : les États arabes situés en Asie de l’Ouest – l’Irak, la Syrie, la Jordanie, le Liban, et la Palestine, aussi bien que les pays de la péninsule Arabique – ont vu leurs frontières internationales dessinées par les colons occidentaux britanniques et français. C’était une pratique courante du colonialisme occidental, il a ainsi divisé toute l’Afrique, l’Hémisphère occidental et quelques morceaux de l’Asie en colonies, États politiques, enclaves et protectorats. L’Histoire moderne de ce que l’Occident nomme le Moyen-Orient – plutôt que l’Arabie – afin d’installer un État colon européen au sein des pays arabes, ne peut être séparée du pétrole, d’Israël et de sa situation géostratégique en relation avec la compétition entre puissances.
Quand les objectifs initiaux de la Grande-Bretagne et de la France, de 1920 à 1950, en Arabie – actuellement le Moyen-Orient – et en Afrique du Nord ont rencontré les objectifs de l’impérialisme US en ascension après la Seconde Guerre mondiale, les résultats ont été dévastateurs, pour les Arabes en particulier, jusqu’à aujourd’hui. La terrible situation des Nations arabes à ce jour a été causée à des degrés divers par un Occident [leurs élites, NdT] sans vergogne, la fin justifiant les moyens, aussi bien que par leurs dirigeants despotiques et leurs régimes au cours du dernier siècle.
Nous pouvons préciser quelques-uns des objectif initiaux de l’impérialisme occidental dans le Monde arabe, ce sont :
- Maintenir perpétuellement les pays arabes sous contrôle colonialiste ou impérialiste direct ou indirect.
- Installer des bases militaires et des avant-postes pour des expansions impériales futures et pour le contrôle local.
- Mettre en place un État sioniste en Palestine et l’utiliser comme un facteur déstabilisant.
- Imposer des régimes sous mandat dans les pays producteurs de pétrole.
- Contrôler le pétrole, le gaz et les autres ressources.
- Garder l’argent du pétrole, les pétrodollars, dans les banques occidentales.
- Recycler ces pétrodollars à travers un système de ventes d’armes sophistiquées.
- Empêcher les masses arabes de se révolter contre le Système par la corruption de leurs dirigeants.
- Employer la devise «diviser pour régner» comme moyen politique et physique de contrôle.
- Organiser des affrontements ethniques et sectaires pour déstabiliser les systèmes politiques établis et détruire les progrès réalisés.
- Détruire le projet d’unité arabe en promouvant le wahhabisme, les Frères musulmans, et le salafisme, ces mouvements et courants s’opposant de manière véhémente à la notion de Monde arabe [laïc et séculier], mais soutenant le concept de Nation islamique. (Note : les Frères musulmans et les wahhabites sont des formes de salafisme. Le salafisme peut exister uniquement comme idéologie religieuse mais pas en tant qu’islam, la religion fondée par Mahomet. Les discours sur les différences entre ces croyances vont au-delà du sujet de cette étude).
En écrivant sur la situation actuelle en Syrie, il est nécessaire de rappeler combien les événements de ces cent dernières années sont impliqués. Nous savons que la Syrie – et tous les pays arabes du Moyen-Orient – existe en tant qu’État moderne dans ses frontières actuelles parce qu’elle a été extraite de la pan-Arabie suite à un complot franco-britannique. L’accord Sikes-Picot est essentiel pour comprendre la façon dont les pays arabes et leurs peuples ont été divisés et contrôlés individuellement par divers pays occidentaux colonialistes. De même, n’oublions pas que cet accord fut conçu afin de créer un État sioniste en Palestine.
Nonobstant ce qui précède, considérant les objectifs mondiaux irrévocables de l’impérialisme US et de ses vassaux européens, l’accord Sykes-Picot, qui a divisé les provinces arabes de l’Empire ottoman, est aujourd’hui plus que jamais d’actualité. En quelques mots il démontre que les schémas impérialistes des Américains, des Britanniques et des Français pour diviser et conquérir se sont en permanence imbriqués dans leur façon idéologique d’agir. Pour conforter notre témoignage, quand les USA et leurs vassaux européens se sont préparés à attaquer l’Irak en 1991, suite à l’occupation du Koweït par ce dernier, des voix occidentales stridentes clamaient que l’Irak était un État artificiel inventé par les Anglais, et ceci bien que l’Irak ait existé en tant qu’État depuis environ 6 000 ans à travers différentes formes politiques. Mais la simple logique reste le fait que, État artificiel ou naturel, n’excuse aucunement son occupation criminelle.
Quand Tony Blair est venu à la rescousse des USA pour envahir l’Irak, les acteurs impérialistes en Europe et aux États-Unis ont rappelé l’esprit de Sykes-Picot. Voici comment la Grande-Bretagne a procédé : en parallèle à une charge furieuse contre Saddam qui aurait menacé l’Angleterre avec ses missiles balistiques, pouvant atteindre Londres en 45 minutes, un soi-disant expert, Christopher Catherwood, conseiller de Blair sur l’Irak, lui apporta alors une autre explication. Il alla jusqu’à affirmer, en très peu de mots, que tout cela découlait de la mauvaise appréciation de Winston Churchill lorsqu’il avait créé l’Irak et que sans cela tout ce qui est arrivé ne se serait jamais produit. 2
Si on regarde la stratégie du colonialisme impérialiste occidental nous pouvons comprendre comment Catherwood est arrivé à la conclusion que les événements qui ont conduit à envahir l’Irak étaient le résultat de la folie de Churchill plutôt que celui des plans préparés par l’Angleterre et les USA. En conclusion Catherwood, et des milliers comme lui, voulaient nous faire croire que les problèmes en Irak ne découlaient pas des plans impérialistes des néocons US mais étaient le fruit des caprices d’un premier ministre britannique qui aurait dessiné une nouvelle frontière administrative en découpant une province turque pour la mettre sous mandat britannique. 3
Nous pouvons témoigner de manière non équivoque que quoique Sykes et Picot aient pu imaginer, cela a été converti en prétexte pour la guerre et l’intervention ininterrompue en Arabie.
Il est à côté de la question de vouloir – comme le font les historiens, politiciens, commentateurs, bla-bla-teurs, et soi-disant experts, chaque fois que les impérialistes ciblent un pays arabe – en appeler immédiatement au contenu des accords Sykes-Picot, dans le but de favoriser la mise en œuvre de leurs schémas fondamentaux contre les victimes désignées. C’est ce qui est arrivé en Irak et en Libye. Ce dernier pays ne faisait pas partie de l’accord Sykes-Picot , mais après les bombardements de l’OTAN en Libye et le meurtre de Mouammar Kadhafi, les impérialistes occidentaux ont encore fait appel au modèle Sykes-Picot en déclarant que la Libye était composée de trois provinces que l’Italie avait réunies.
La Syrie n’est pas une exception. C’est pourquoi un modèle d’accord réinventé selon Sykes-Picot tendant à favoriser une partition est fréquemment proposé.
L’histoire de l’Europe et des USA dans les régions arabes est une histoire d’agressions, d’occupations colonialistes et d’invasions. Prenons par exemple l’importation d’Européens dans ce qui était soi-disant leur pays d’origine, en Palestine, sans rien demander aux populations indigènes et en rejetant totalement leur souveraineté. C’est ce à quoi les représentants des Nations Unies, une organisation défendant les intérêts des soi-disant vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, ont acquiescé en 1948.
Nous analysons la Syrie comme un chapitre d’une longue liste d’agressions occidentales, en particulier américaines, dans le monde. Il est instructif de rappeler qu’après la Seconde Guerre mondiale, les USA se sont embarqués dans une série d’agressions directes et de guerres en plusieurs endroits : Corée, Vietnam, Panama, Grenade, Irak, Afghanistan, etc. 4 L’Union soviétique elle aussi a été confrontée à des agressions en dehors de son territoire. Nous devons aussi nous rappeler que suite à la chute de l’URSS en 1991, la Russie s’était vu promettre par les officiels de l’administration US que l’Otan ne s’installerait jamais dans les ex-républiques soviétiques. 5. Les USA on renié leur parole et sont aujourd’hui devenus des expansionnistes invétérés.
Précisément, les USA ont un programme : remodeler la structure de l’ordre existant des nations indépendantes afin de créer un nouvel arrangement géopolitique favorable à leurs intérêts mondiaux. Ainsi il est clair que les USA ont un plan pour redessiner les frontières. 6
Les USA sont prêts à changer tel gouvernement ou tel régime sans aucun scrupule quant aux destructions ou aux violences qui en découlent. Les USA ont une prédilection à installer des dictateurs locaux : Mohamed Reza Pahlavi en Iran, Ngo Dinh Diem au Sud-Vietnam, Sygnman Rhee en Corée du Sud. Curieusement, au sujet de l’Irak, quand les USA ont échoué à installer leur marionnette Ahmed Chalabi, une autre marionnette, Ayad Allawi, a pris la place ; et quand il n’a plus pu se maintenir, d’autres collaborateurs sont entrés en scène.
Psychologiquement les changements de régime sont une fixation névropathe à travers laquelle les USA utilisent leur puissance militaire, directement ou par des intermédiaires, afin de mettre en place un autre régime. Récemment les USA ont été derrière les changements de régime en Afghanistan, en Haïti, en Irak et en Libye. Ensuite l’objectif s’est étendu jusqu’à l’Ukraine, une ancienne république soviétique et maintenant ils agrandissent et déplacent la menace vers la Russie et la Chine. Dans ce jeu criminel pour devenir le gendarme unique des nations arabes et du monde, les USA ont utilisé des meurtriers de tous acabits, inventé de faux groupes islamiques afin de discréditer les musulmans, et importé des mercenaires en tant qu’acteurs locaux [comme la ministre des finances de l’Ukraine, Natalie Jaresko, de nationalité américaine, naturalisée en toute hâte, NdT].
Comme indiqué, la Syrie est un pion géopolitique sérieux sur le chemin de la construction d’un Empire américain durable. En plus, la Syrie, est opposée à l’État sioniste. Elle a des rapports avec le Mouvement de résistance libanais Hezbollah, avec l’Irak – qui malgré son insertion dans l’orbite US, garde de bonnes relations avec l’Iran, ce qui influe sur sa cohabitation avec les USA – aussi bien qu’elle a elle-même [la Syrie] des relations avec l’Iran qui, pour des raisons politiques et idéologiques, s’oppose aux USA et à Israël. Si la Syrie tombait devant l’impérialisme occidental, il est très vraisemblable qu’un large encerclement de la Russie serait facilité, en même temps que le contrôle des oléoducs et des énergies fossiles. Tout cela au détriment de l’économie de la Russie, non au moyen d’une compétition économique ouverte, mais de manière militariste. Nous laisserons la Chine hors du discours, bien qu’il soit important de dire qu’elle est aussi encerclée et menacée.
A ce point, quels sont les intérêts des USA, d’Israël, de l’Angleterre, de la Turquie, de l’Arabie saoudite et du Qatar en lançant cette guerre d’agression combinée contre la Syrie ?
Les États-Unis et la violence en Syrie
Si quelqu’un désire savoir ce que les impérialistes US pensent à un moment donné, le moyen le plus rapide est de lire leurs médias spécialisés. En 2013, Robin Wright, une éditorialiste de la voix non officielle du sionisme américain, le New York Times, rejoint la bataille de la partition de nombreux États arabes dans cet article : Imagining a Remapped Middle East, et y ajoute une grande carte : (How 5 Countries Could Become 14) avec des notes détaillant les arguments ressassés proposés par l’historien sioniste Bernard Lewis, et par Ralph Peters, un essayiste et commentateur militariste enragé sur l’Irak et les affaires arabes. Peter était l’auteur de Blood Borders : How a better Middle East would look. Voici sa carte redessinée :
Dans l’article mentionné ci-dessus, Wright présente sa version de la carte de Peter avec une indépassable clarté impérialiste. Elle écrit : «Une nouvelle carte pourrait être un changement de situation stratégique pour à peu près tout le monde, reconfigurant les alliances, les défis pour la sécurité, le commerce et les flux énergétiques pour le monde entier.» En fait, dans le confort de son bureau de New-York, cette sioniste décrète, comme Peters, que des millions de Syriens devraient devenir des pions sur l’échiquier impérialiste, mis de côté, et il est clair que la recherche de l’échec et mat implique un génocide, tout ça au nom de la reconfiguration des alliances – entre qui et qui ? – de la sécurisation des antagonismes – sécurité pour qui ? – du commerce et de l’énergie pour la majorité du monde – mais cela peut-il être réalisé sans changer les frontières et sans assassiner au préalable 250 000 Syriens et plus de 2 millions d’Irakiens ?
Examinons la carte de Wright. De manière notable, elle en rajoute sur la carte de Peters, en proposant la partition de l’Arabie saoudite en cinq États, plutôt qu’en quatre, comme Peters. (Regardez la Carte de Wright, comparée à celle de Peters, et comparez là à la carte imaginée par Oded Yinon en 1982 afin de reprendre l’idée de Théodor Herzl d’un Grand Israël sur les terres arabes.)
Pourquoi les Saoudiens, les alliés favoris des Américains après Israël, sont-ils la première cible désignée par la carte ?
La réponse est simple : avec l’Irak et la Syrie ayant perdu toute influence sur la scène arabe, l’Arabie saoudite, riche en pétrole, est facilement malléable aux souhaits américains. Une analyse attentive des articles de Peters et de Wright et les cartes annexes pourraient envoyer, pour le compte des USA, un message 7 spécifique qui signifierait une menace sérieuse : le Royaume saoudien pourrait être dépecé si ces derniers ne se pliaient pas aux objectifs américains en Syrie et connaître un sort identique à celui de la Libye. Dans la sphère publique, il y a un silence total de la Maison des Saoud sur la proposition de partition de leur pays. Dans la mesure où les USA nomment l’Arabie saoudite leur alliée, pourquoi verraient-il une utilité à divulguer des plans pour la faire éclater ? Et pourquoi partitionner un pays homogène, malgré ses différences confessionnelles, et qui est resté stable depuis sa fondation en 1932 ?
Alors que les dirigeants saoudiens restent impassibles devant le plan de Peters, la Turquie réagit avec colère, et les USA répondent avec une dénégation typique de la carte de Peters. Dans son éditorial : Carved-up Map of Turkey at NATO Prompts US Apology, le quotidien turc, Today Zaman écrit : «Le Département d’État des USA a assuré à Ankara que cette carte ne reflétait pas la vision officielle des États-Unis, et il la dénonce comme inacceptable.» Pour un Département habitué au mensonge, le stratagème est évident : «Ne reflète pas la vision officielle américaine», disent les Américains. Pourquoi s’excuser pour une chose dans laquelle vous n’êtes pour rien ? Et neuf ans après les excuses grotesques, la partition en cours de l’Irak et le plan avorté de partition de la Syrie donnent de la crédibilité à Peters et Wright lorsqu’ils disent que les médias sont les porte-paroles de ce qui se mijote dans la marmite de l’impérialisme US. L’histoire est simple : suivant sa tradition, l’impérialisme US envoie des ballons d’essai avant de mettre en place ses stratégies.
En plus, si on compare la carte de Wright à celle de Peters, nous notons que celle de Wright se focalise uniquement sur les Pays arabes – Irak, Syrie, Arabie saoudite et Syrie – diminue la surface de la Jordanie, augmente celle des zones kurdes prises sur la Syrie et l’Irak, et ainsi que nous le précisions, augmente l’éclatement de l’Arabie saoudite de quatre à cinq États. Wright assume le cynisme de l’impérialisme américano-sioniste. En lisant cette carte, nous ne pouvons pas faire autrement que de voir qu’elle utilise le suffixe ourdou-persan stan [qui signifie endroit ou pays], pour renommer la partition arabe. Elle appelle les régions des Arabes musulmans chiites, Chiistan, et celles des Arabes sunnites censés adhérer collectivement au wahhabisme Wahhabistan ; on peut lire aussi Sunnistan ou Alaouistan.
Si on regarde et lit les commentaires sur cette redistribution des peuples et des terres, une question nécessaire émerge : de quelle autorité se prévalent une journaliste et un ancien officier pour décider de redessiner une carte et diviser des pays ? La réponse est pragmatique et basée sur notre connaissance de la manière dont l’État impérialisme fonctionne : l’ordre de diviser les pays arabes vient d’un groupe de décideurs mettant au point leurs buts et leur organisation.
En conséquence, Wright et Peters sont les porte-paroles du Système impérialiste américain et de ses élites gouvernantes. À la différence de Peters, Wright propose la partition de la Syrie, ainsi que l’établissement d’un État kurde, mais il exclut le territoire turc qui comprend une majorité de Kurdes. La raison est facile à deviner. Les USA ne veulent pas s’opposer à la Turquie pour le moment. Ceci explique que la Turquie soit prête aujourd’hui à reconnaître un État kurde en Irak, mais seulement en échange d’une promesse des USA de ne pas donner une part de son territoire à l’État kurde envisagé en Irak.
Le grand scénario géopolitique est le suivant : avec un État kurde imposé en Irak et en Syrie, et avec une Syrie sous contrôle, les USA pourront ordonner au Qatar d’installer leur gazoduc jusqu’à la Méditerranée dans le but d’évincer le gaz russe du marché européen. Au départ – avant l’intervention russe – si la Syrie avait disparu en tant qu’État cohérent et indépendant, les USA auraient pu finaliser leur assaut massif contre la résistance arabe envers Israël, (i.e., la Palestine historique sous occupation sioniste), facilitant ainsi le contrôle du monde arabe… La Syrie, dans tout cela, n’étant qu’une partie d’une autre étape dans les calculs des USA et d’Israël vers une hégémonie globale.
En conclusion, quel que soit son système politique, la Syrie reste le seul État arabe qui maintient le nationalisme arabe, l’indépendance, et la résistance, contre l’impérialisme des USA et d’Israël. Si la Syrie vient à tomber, les aspirations arabes vers une émancipation du contrôle impérialiste mourront probablement pour longtemps. Les tentatives des USA de démembrement de la Syrie visent plusieurs buts : 1/ Supprimer la Syrie en tant que danger pour Israël. 2/ Isoler le Hezbollah et préparer son élimination. 3/ Capter une partie du territoire syrien et en faire une extension d’un État kurde potentiel en Irak 8 4/ Transformer la Syrie en une station de transit pour le pétrole des champs irakiens et syriens, et 5/ Permettre au Qatar d’y faire passer son gazoduc.
Israël et la violence en Syrie.
Discourir sur Israël dans le Moyen-Orient demande une analyse séparée. Avec la disparition de la Syrie comme état centralisé, Israël a vocation à devenir le maître de la région. Il annexera de manière permanente les hauteurs du Golan syriens – déjà annexées en 1981. Plus important, si la Syrie tombe la Résistance libanaise sera mise en danger, et la question de l’occupation judéo-sioniste de la Palestine sera réglée selon les vœux d’Israël 9
L’Europe et la violence en Syrie – particulièrement la Grande-Bretagne et la France
L’Europe capitaliste présente deux aspects pathétiques : sa soumission aux USA, et une appétit féroce pour partager les dépouilles de la guerre et les contrats commerciaux avec une nouvelle Syrie – comme ils l’ont fait en Libye et en Irak – sous la protection américaine. Il nous faut mentionner que les régions de l’Est de la Syrie possèdent des gisements de pétrole qui peuvent rivaliser avec ceux d’Irak et du Koweït combinés. 10
La Turquie et la violence en Syrie
Recep Erdogan et les Frères musulmans ont trois objectifs : 1/ Ranimer la prétention de l’Empire ottoman sur la province d’Alep 11. 2/ Raviver la posture impérialiste ottomane envers les états arabes qu’elle a dirigés durant plus de quatre siècles 12 3/ Voir les Frères musulmans au pouvoir partout afin d’imposer le modèle islamiste inventé par son Parti de la Justice et de la Liberté, encouragé par les USA pour lesquels il représente un modèle de soumission aux thèmes religieux qui correspond aux desseins de Washington 13
Pour rappel, quand Assad a rejeté sa proposition de partager le pouvoir en compagnie des Frères musulmans syriens, Erdogan s’est retourné contre lui. Avant cela, pour reprendre son slogan «Zero problème avec les voisins», les relations entre la Syrie et la Turquie étaient au beau fixe 14 . En fait, les ambitions d’Erdogan montrent peu de retenue alors que la Turquie provoque aujourd’hui la puissance russe, quelque chose d’incroyablement stupide, sauf si c’est réalisé sous le couvert de l’OTAN.
La Jordanie et la violence en Syrie
La monarchie jordanienne a un seul but : survivre en tant que monarchie. Pour cela, cependant, il pense qu’il faut rassurer les Britanniques, Israël, et les États-Unis avant tous les autres. Cela signifie que les monarques jordaniens doivent faire ce qu’on leur demande. En outre si Israël est le parangon d’un régime parasite, la Jordanie est le modèle d’un régime opportuniste écœurant. En bref, la Jordanie travaillera pour qui la paie. Depuis les premiers jours du conflit en Syrie, le roi de Jordanie a changé de positions sans arrêt. Cependant il est toujours du côté des Britanniques et des USA lorsqu’il est contraint de prendre parti. Quand les USA ont envahi l’Irak en 2003, les forces d’invasion venaient de Jordanie. Et ceci malgré le fait que durant la guerre Iran/Irak, l’Irak approvisionnait gratuitement la Jordanie en pétrole, sans mentionner les 12 milliards de dollars investis dans le port d’Aqaba. La Jordanie a fourni un soutien massif aux forces du Front anti-syrien en aidant à leur entraînement militaire et en facilitant le passage des groupes armés et des armes.
L’Arabie saoudite et la violence en Syrie
La violence de l’Arabie saoudite en Syrie a une origine complexe. Il n’y a aucune raisons spécifique ni intérêt nationale urgent pour que l’Arabie saoudite soit devenue un acteur dans la destruction de l’Irak, de la Libye, de la Syrie, et maintenant du Yémen. Aussi quelles sont donc les explications à la violence saoudienne et aux destructions infligées à la Syrie ? 1/ Pour être admise comme une indispensable alliée des USA. 2/ Pour détruire ce qui reste du concept de nationalisme arabe qui, il y a encore peu de temps, était une force majeure qui s’opposait aux Saoud et à leurs efforts pour déstabiliser les régimes arabes progressistes. 3/ La rhétorique saoudienne de lutter contre l’Iran en Syrie est ridicule et son discours irrationnel contre les Arabes alaouites, en raison du mélange des chiites et des sunnites, est aussi criminel que pathétique. Le fait est qu’ils désirent la tête de Bachar al-Assad parce que pendant l’agression israélienne contre Gaza en 2008, il les a insultés en les qualifiant de sous-hommes. L’Arabie saoudite s’est servie de ce prétexte comme d’un moyen pour inciter la Syrie à couper ses relations avec l’Iran et le Hezbollah.
De nombreuses causes ont provoquée l’hostilité ouverte entre l’Arabie saoudite et la Syrie. Les principales à ce sujet : 1/ L’Iran est reconnu comme un État nucléaire et vient de sortir du régime des sanctions ce qui lui permet d’entrer en compétition avec le pétrole saoudien sur le marché international. Cela signifie aussi plus de fonds pour la Syrie et au Hezbollah. 2/ La dépendance de la Syrie envers l’Iran contre une agression israélienne. 3/ Les liens de la Syrie avec le Hezbollah, qui reçoit de l’assistance de l’Iran en tant qu’allié anti-israélien. 4/ Le refus de la Syrie d’aligner sa politique régionale en Irak et au Liban avec celle de l’Arabie saoudite. 5/ En disséminant l’idéologie wahhabite, l’Arabie saoudite recherche l’hégémonie sur les pays arabes et les pays musulmans qui comprennent entre autres la Syrie. 6/ L’animosité saoudienne intense envers la Syrie est ancienne. Elle a débuté quand la Syrie a refusé de soutenir la guerre de l’Irak contre l’Iran. Ceci a eu une conséquence pour les Saoudiens dogmatiques : «Les amis de mes ennemis sont mes ennemis.» En plus, l’animosité envers la Syrie – où les sunnites contrôlent la vie économique alors que les élites alaouites contrôlent la vie politique en particulier – et l’Iran, à prédominance chiite, n’est pas due à un antagonisme sunnite/chiite ainsi que l’Occident aime à le répéter constamment. C’est plutôt dû à l’appel de l’Iran, après la Révolution iranienne de 1979, au peuple musulman d’Arabie saoudite de se dresser contre la famille régnante saoudienne pro-américaine et corrompue. 7/ L’Arabie saoudite a participé activement au démembrement de l’Irak et elle désire partitionner la Syrie pour parvenir à ses propres fins, affaiblir ses voisins trop puissants, et servir les buts hégémoniques des USA.
Le Qatar et la violence en Syrie
Premièrement, le Qatar est le porte-parole non officiel de la politique US dans le monde arabe. Deuxièmement, du point de vue des valeurs stratégiques ou militaires, et en excluant le prétexte du gaz, le minuscule Qatar – en gros 11 400 km2, une population de 278 000 personnes – pourrait sembler représenter une infime importance locale ou internationale. Nous ne désirons pas discriminer un pays en raison de la taille de son territoire ou de sa population, mais sur l’échiquier des relations internationales, le mini-Qatar devrait cesser de se prendre pour un géant simplement parce que ses dirigeants sont des milliardaires. Le fait est que le Qatar, un malheureux pion dans les mains des USA, parle et agit sans retenue en raison du fait que les USA ont installé leur CENTCOM [Quartier général militaire] pour le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Asie centrale sur son territoire. Enlevez-lui le gaz, fermez les officines de propagande du régime (le réseau Aljezeera), et le Qatar pourrait ne plus rien représenter sinon l’image d’un machisme idiot.
Récemment, un ministre des Affaires étrangères qatari, Khalid al-Attiya a fulminé qu’il fallait renverser Assad par la force ou la diplomatie. Alors ? Qui donc fera partir Assad : lui et les Forces armées du Qatar, ISIS, ou l’Arabie saoudite ?
Les motifs de la querelle entre le Qatar et la Syrie sont bien connus. Premièrement, la Syrie a refusé une proposition qatari de permettre au gaz de transiter à travers son territoire en échange pour la Syrie d’une cessation de ses relations avec l’Iran et le Hezbollah. Deuxièmement, la Syrie a refusé aux Qataris leur demande à Bachar de permettre aux Frères musulmans d’avoir une représentation politique en Syrie. Alors qu’une discussion publique est préférable, les étroites relations entre les USA et les Frères musulmans de Yusuf al-Quaradawi sont derrière cette situation. Par définition ce qui convient à l’Arabie saoudite, par rapport à la Syrie, convient au Qatar. Avec la différence que l’Arabie saoudite, selon les experts, est armée pour mener une guerre par procuration pour le compte des USA, alors que le Qatar n’est qu’un exécutant empressé de la politique américaine. Ainsi, au sujet du sort des Frères musulmans en Syrie, il s’agit uniquement d’une fragile motivation étant donné que la famille régnante qatari et son pays n’adhèrent ni à leur idéologie ni à leurs actes. Ils s’en servent uniquement en coordination avec les Américains.
Kim Petersen est un ancien éditorialiste de la newsletter de « Dissident Voice ». On peut le joindre à kimohp@inbox.com
J. Sabri est un observateur des politiques du colonialisme, capitalisme, impérialisme et sionisme moderne et de leurs conséquences contemporaines sur les arabes. Il peut être joint à b.j.sabri@aol.com
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Traduit par Gabriel, édité par jj, relu par Nadine pour le Saker Francophone
NOTES
- Noté dans le livre de Malik Mufti, Sovereign Creations: Pan-Arabism and Political Order in Syria and Iraq, Cornell University Press, 1996, p. 100 ↩
- Christopher Catherwood, Churchill’s Folly, Barnes & Noble, New York, 2004 ↩
- Pour une compréhension globale de la mentalité coloniale britannique et de la façon dont elle interprète l’histoire arabe, en termes de politique et de pouvoir, pour ses propres intérêts et ceux de l’impérialisme occidental, lire J.B. Kelly: Arabia, the Gulf, & the West. ↩
- voir William Blum, Rogue State: A Guide to the World’s Only Superpower (Monroe, ME: Common Courage Press, 2000). ↩
- Walter C. Uhler, “The Hypocritical United States of Amnesia and Russia,” Dissident Voice, 15 March 15 2014. ↩
- See Kim Petersen, A Bloody Border Project, Dissident Voice, 5 July 2007. ↩
- Le professeur américain de science politique James Lee Ray a décrit, dans son livre American Foreign Policy and Political Ambition (2007), comment le gouvernement US utilisait les médias pour affirmer sa politique étrangère. Il dit : «Les médias servent d’outil que le gouvernement peut utiliser pour communiquer avec le public sur sa politique étrangère, aussi bien que pour le persuader, ainsi que les autres éléments importants ou influents, que ses choix politiques sont prudents et leurs résultats bénéfiques ». (164-165). ↩
- Pour une compréhension globale, lire : Plans for Redrawing the Middle East: The Project for a ‘New Middle East. ↩
- Lire : Syria’s future: Israel favors fragmentation while Saudis want reliable counter to Iran; Partitioning Syria by the imperialist think tank: foreign Policy Research Institute. ↩
- Voir la carte et lire aussi: How the War in Syria is About Oil, not ISIS et Migrant Crisis & Syria War Fueled By Competing Gas Pipelines ↩
- Christina Lin, NATO, Turkey, annexation of north Syria like north Cyprus?, Asia Times, 25 November 2015. ↩
- http://english.al-akhbar.com/node/22243. (Arab media). Nicola Nasser, Syria, Egypt Reveal Erdogan’s Hidden ‘Neo-Ottoman Agenda, Global Research, 20 November 2013. ↩
- Thierry Meyssan, The uprising against Brother Erdogan, Voltairenet, 10 June 2013. Thomas Seibert, Turkey is a model for every Muslim state, Recep Erdogan says, National, 1 October 2013. ↩
- Read these two informative articles: Erdogan’s Syria Policy: Wrong from the Start and Why Erdogan Would Benefit from Bashar al-Assad’s Fall ? ↩
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