Les choix impossibles d’Obama au Moyen-Orient


Immanuel Wallerstein

Immanuel Wallerstein

Par Immanuel Wallerstein – Le 15 octobre 2015 – Source iwallerstein.com

Commentaire No 411

Le président Barack Obama est critiqué de toutes parts pour tout ce qu’il entreprend ces jours-ci au Moyen-Orient. Et il y a de quoi, car il ne peut probablement rien faire pour devenir l’acteur décisif qu’il aimerait être dans le tourbillon géopolitique du Moyen-Orient. Ce n’est pas que toutes ses décisions soient mauvaises. Beaucoup le sont, mais certaines semblent sensées. Le fait est que pratiquement aucun des États de la région, ni de ceux qui ont des intérêts là-bas, n’est vraiment de son côté. Ils ont tous leurs griefs et leurs priorités et sont désireux de les poursuivre même si les États-Unis les pressent de ne pas le faire.

Il y a quatre arènes dont on pourrait dire qu’elles sont les points chauds de la région, ou qu’on pourrait peut-être appeler les points les plus brûlants : l’Iran, la Syrie, l’Afghanistan et Israël/Palestine. Ceux qui critiquent d’Obama disent qu’il n’a une politique cohérente dans aucune de ces régions. Et cette critique n’est pas sans fondement.

La politique la plus claire, relativement, est celle à l’égard de l’Iran. Les États-Unis ont accompli un effort immense pour parvenir à un accord avec l’Iran qui propose, fondamentalement, un marché : pas d’armes nucléaires en Iran contre la levée des sanctions économiques. Un tel accord a été effectivement signé. Et les législateurs dans les deux pays ont franchi la première étape dans le sens d’une ratification. Les futurs historiens le compteront comme la plus grande réussite en politique étrangère d’Obama (en même temps que la reprise des relations diplomatiques avec Cuba). C’est l’Obama artisan de la paix.

L’accord doit toutefois encore être ratifié dans plusieurs pays des deux camps. Cela semble probable, mais ce n’est certainement pas inéluctable. Comme on le dit souvent à propos de tels accords, le diable se cache dans les détails. Les détails sont compliqués et ouverts à diverses interprétations de part et d’autre. Les interprétations différentes font durer les tensions. Quarante ans après la signature d’un important accord similaire en Irlande du Nord, on discute toujours de son interprétation et ce en ce moment même, face à une menace de rupture.

La situation en Afghanistan est moins claire. Les Talibans semblent se renforcer constamment et contrôler de nouvelles régions, du moins la nuit. Les États-Unis ont envoyé des troupes en Afghanistan pour chasser les Talibans et les maintenir hors du pays. Vraisemblablement, le gouvernement afghan veut également vaincre les Talibans.

Plus important encore, l’Iran veut aussi vaincre les Talibans. Mais les États-Unis et l’Iran ne souhaitent pas coopérer ouvertement pour atteindre ce but. Et le gouvernement afghan est déchiré entre l’affirmation de son indépendance à l’égard des États-Unis et son besoin que ces derniers poursuivent (et en fait augmentent) leur aide militaire. Le gouvernement pakistanais semble aider les Talibans. Et le gouvernement indien semble vouloir aider le gouvernement afghan de manière plus directe que le gouvernement US ne le juge souhaitable.

La politique des États-Unis n’est pas cohérente parce qu’elle tente de poursuivre une série d’objectifs qui interfèrent les uns avec les autres. Les États-Unis souhaitent renforcer un gouvernement stable en Afghanistan et sont donc déterminés à soutenir l’actuel gouvernement. Pour ce faire, l’armée américaine insiste sur le fait qu’il faut davantage de troupes US. Mais Obama a promis de réduire les forces états-uniennes à un petit groupe de formateurs non combattants d’ici la fin de sa présidence. Ce n’est pas possible de le faire tout en assurant la survie d’un gouvernement afghan prétendument stable puisque la stabilité de ce dernier dépend d’une lutte non résolue et durable avec ses opposants non talibans.

Si nous nous tournons vers la Syrie, cohérent est le dernier adjectif qu’on peut appliquer à la politique des États-Unis. D’un côté, ils ont cherché à former une coalition internationale de pays déterminés à vaincre le mouvement État islamique (dit aussi Daesh ou ISIL) qui continue à s’étendre. Les États-Unis sont aussi engagés en théorie dans la destitution de Bachar al-Assad. Ce que les États-Unis ne souhaitent pas est d’engager des troupes dans une nouvelle zone de guerre civile du Moyen-Orient. Au lieu de cela, ils offrent de combattre EI avec des drones qui bombarderont les unités du groupe terroriste sans même avoir de troupes sur le terrain pour guider les drones. La conséquence, inévitablement, ce sont des dommages collatéraux qui renforcent les sentiments anti-américains en Syrie.

Pendant ce temps, la Russie a clairement fait savoir qu’elle est déterminée à maintenir Assad au pouvoir, du moins jusqu’à un règlement politique avec ce qu’on appelle l’opposition modérée. L’opposition est elle-même un groupe compliqué. Les États-Unis ont consacré beaucoup d’argent et d’énergie dans la formation d’un groupe particulier de l’opposition. L’armée US vient d’admettre que cet effort a été un échec total. Les groupes qu’ils ont soutenus se sont largement désintégrés. Ils n’ont pas seulement abandonné les champs de bataille mais ont effectivement remis leur matériel à al-Nusra, un groupe affilié à al-Qaïda et qui n’est probablement pas un groupe que les États-Unis souhaitent soutenir.

Personne ne suit vraiment la direction des États-Unis. La Turquie, tout à fait à contrecœur, a accepté le survol de son territoire par des avions et des drones états-uniens mais a refusé d’encourager le soutien aux troupes kurdes qui combattent réellement EI. L’Arabie saoudite n’a pas non plus de politique cohérente. Elle est opposée aux forces d’al-Qaïda mais leur fournit quelque soutien financier et diplomatique pour leur participation à sa tentative de contrer l’influence de l’Iran au Moyen-Orient. La Grande-Bretagne et la France disent soutenir les États-Unis, mais la Grande-Bretagne n’enverra que des drones et la France critique les États-Unis pour ne pas en faire davantage contre Assad. Israël semble dans un flou total sur ce qu’il faut faire. Israël proclame que l’Iran est son pire ennemi, mais se concentre en fait sur le maintien des Palestiniens en échec, ce qui signifie qu’il mène une politique dans la bande de Gaza et une autre en Syrie et au Liban.

Quant à Israël/Palestine, il y a eu une escalade de violence et de rhétorique des deux côtés. De nombreux commentateurs disent que c’est la troisième Intifada, certains affirmant qu’elle a commencé il y a une année. Quelle que soit l’étiquette, il est évident qu’Israël est en train de perdre, lentement mais sûrement, la bataille diplomatique en Europe de l’Ouest et même aux États-Unis. Tandis que Netanyahou voudrait réparer ses relations avec Obama, il doit se méfier d’être débordé sur sa droite. Il y a peu de choses qu’Obama peut lui faire faire. Le conflit israélo-palestinien reste toutefois le déclencheur potentiel d’une explosion dans tout le Moyen-Orient, une explosion si grave qu’elle affecterait les opérations de toute l’économie-monde, qui se trouve déjà dans une très grande fragilité.

Si quelqu’un peut voir dans ce méli-mélo la preuve que les États-Unis sont en mesure de contrôler la situation et de dicter les conditions à quiconque, alors ils voient des choses que je ne peux pas voir. Non seulement les États-Unis ne sont pas une puissance hégémonique mais il ne sont même pas l’acteur principal dans cette région fragmentée. Leur refus d’admettre cette réalité pour ce qu’elle est représente un danger pour le monde entier.

Traduit par Diane, édité par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

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