Moment crucial en mer de Chine ? – Pas encore


M.K. Bhadrakumar

M.K. Bhadrakumar

Par MK Bhadrakumar – Le 28 octobre 2015 – Source Indian Punchline

Lorsqu’une grande puissance met en scène une provocation contre une autre grande puissance, la chose la plus sûre à faire est de lancer un avertissement. Cela aide à éviter les confusions. Les États-Unis ont annoncé lundi dernier que dans les 24 heures à venir un de leurs navires de guerre transiterait par la zone longue de 12 miles des îles artificielles que la Chine a construites dans la mer de Chine méridionale. Le destroyer lance-missile de la marine américaine USS Lassen est ponctuellement apparu mardi.

Les États-Unis soutiennent qu’ils ne font qu’affirmer la liberté de navigation dans différentes parties du monde. En effet, ils ont contesté les revendications territoriales de dix-huit pays l’an dernier. Vous pouvez l’appeler autrement, cela reste une démonstration de force par l’unique superpuissance. Le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter ne l’a pas caché lorsqu’il a déclaré récemment : «Ne vous méprenez pas, nous volerons, naviguerons et opérerons partout où le droit international le permet. [] Nous le ferons au moment et à l’endroit de notre choix.»

Les États-Unis ne jurent que par le droit de la mer, qui doit encore être ratifié. Et la différence ici est que c’est à propos de la Chine – un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et déjà plus qu’une demi superpuissance. Les États-Unis contestent officiellement pour la première fois les revendications territoriales de Beijing dans la mer de Chine méridionale. Prendre la décision d’opérer un mouvement militaire dans une région sous haute tension relève de la stratégie au bord de l’abîme – dans ce cas, la décision a été prise à l’échelon du président Barack Obama. C’est sûr, les États-Unis provoquent la Chine de manière totalement délibérée et exigent presque sa réaction. C’est une première chose.

Il y a aussi un élément de mise en scène ici. Obama doit se rendre dans la région – en Malaisie et aux Philippines – et l’acte de mardi aide à souligner auprès des partenaires des États-Unis dans le Sud-Est asiatique qu’il n’y a vraiment rien en préparation qui ressemblerait à «un nouveau modèle de relations entre grands pays», l’Amérique et la Chine, comme le propage Beijing. Après tout, les pays de la région doivent se poser des questions sur les connotations stratégiques de la récente visite très réussie du président chinois Xi Jinping aux États-Unis et les importants accords commerciaux passés pour des dizaines de milliards de dollars. En effet, ils perçoivent seulement que les États-Unis retirent le meilleur des deux mondes avec le Partenariat trans-pacifique déjà obtenu par Obama d’une part et, d’autre part, le leadership de Xi qui ouvre une perspective prometteuse à propos des liens économiques croissants entre les États-Unis et la Chine.

Obama a besoin d’injecter un peu de vie nouvelle dans sa stratégie de rééquilibrage pour rallier le troupeau découragé de ceux qui, en Asie, entendent la rumeur sourde du retrait de la puissance états-unienne au Moyen-Orient. Toutefois, il y a ce facteur «connu inconnu» 1 – quelle sera la réaction de Beijing à cette dernière provocation ? Compte tenu des ramifications géopolitiques et du prestige du leadership chinois sur une question touchant à la souveraineté du pays et à son intégrité territoriale, Beijing est absolument tenu de réagir.

Bien évidemment, la Chine doit avoir bien fait ses devoirs en prévision de la provocation états-unienne. L’ambassadeur américain a été convoqué au ministère des Affaires étrangères pour transmettre les préoccupations sérieuses et le fort mécontentement de Beijing à propos de la provocation grave qui menace la souveraineté de la Chine et ses intérêts de sécurité. La partie opérationnelle de la démarche est la suivante : «Le gouvernement chinois sauvegardera résolument sa souveraineté territoriale et ses intérêts maritimes légitimes, et la Chine fera tout ce qui est nécessaire pour s’opposer à toute provocation délibérée de la part de tout pays.» La Chine a envoyé un destroyer lance missile pour avertir l’USS Lassen (qui était escorté par des avions de reconnaissance maritime P-8A et P3). (China Daily)

C’est une réaction mesurée — ferme, mais proportionnée. Alors à quoi ressemble le bilan ? Washington a démontré de manière grandiose son soutien à ses alliés impliqués dans des conflits territoriaux avec la Chine. Pour sa part, la Chine est aussi apparue ferme et résolue. Évidemment, il est peu probable que la Chine renonce à ses travaux de réhabilitation en cours dans la mer de Chine méridionale. Sans nul doute, la Chine s’attend aussi à des actes semblables de la part des États-Unis à l’avenir. Il est tout à fait concevable que la Chine puisse maintenant renforcer sa présence militaire dans les zones contestées et y établisse des zones interdites d’accès.

Obama ne peut pas avoir à l’esprit une confrontation avec la Chine. Un conflit armé est tout simplement impensable. Discréditer le leadership chinois serait stupide. Vous ne tuez pas la poule aux œufs d’or. Par conséquent, le sujet de curiosité concernera le dénouement inévitable.

Traduit par Diane, édité par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

  1. Référence à une phrase fameuse de Donald Rumsfeld
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