Trump, qui était un atout, devient une gêne pour Israël


Par Alastair Crooke – Le 18 décembre 2025 – Source Conflicts Forum

Anna Barsky, commentatrice israélienne de premier plan, a écrit dans Ma’ariv (en hébreu):

« Le plan [de Trump] à Gaza est en train d’échouer.

Un « stratagème d’attente » israélien est en train d’être formulé : ne pas lancer un rejet frontal … [mais plutôt] parier que la réalité dans la région suivra son cours”.

« [Pourtant], la ligne de faille [sur] le plan de Trump pour Gaza est réelle… Israël exige une séquence claire : d’abord, le désarmement du Hamas, c’est-à-dire d’abord son retrait effectif du pouvoir, et seulement après cela la reconstruction, la puissance internationale et le retrait israélien”.

Et voici le hic : “Le bureau du Premier ministre comprend que Trump, apparemment, n’a pas l’intention d’accepter la formule israélienne de « condition préalable ». « Et voici le cœur du problème … qui est que le Hamas n’a pas l’intention de désarmer ou de quitter le territoire”.

Ainsi … « Les États du Golfe, l’Égypte, et aussi des parties importantes de l’establishment américain, proposent une séquence différente : D’abord, la reconstruction et un mécanisme international sont créés, puis une force de stabilisation et un gouvernement technocratique sont introduits, puis « dans le processus », la question du Hamas – n’est [que] progressivement abordée”.

En conséquence, les dirigeants israéliens sont à la fois désillusionnés et frustrés.

Mais ce n’est qu’un aspect de l’histoire. Elle va bien plus loin, comme le souligne Alon Mizrahi :

« Les dirigeants israéliens notent que les États arabes n’ont pas accepté de normalisation avec Israël. Les nationalistes juifs ont peut-être leur homme à la Maison Blanche, mais tout ce qui semble l’intéresser, c’est de gagner de l’argent arabe. Pas d’annexion [de la Cisjordanie] ; pas de [changement de régime] en Iran et maintenant une demande « insultante » pour une « Phase 2 » à Gaza, où Israël est censé non seulement tolérer une présence militaire étrangère, mais aussi permettre la reconstruction ».

Le problème est la divergence d’intérêts de plus en plus stratégique entre Netanyahu et Trump ; ils divergent non seulement sur le plan de Trump pour Gaza, mais aussi sur la Syrie (où l’envoyé américain Tom Barrack est vu soutenant la position de la Turquie) et sur le Liban où Washington est vu soutenant Beyrouth.

« Trump a besoin d’un exploit. Il a besoin de signer quelque chose”. Alors que les objectifs d’Israël sont de maintenir la liberté d’action militaire dont il jouit actuellement en Syrie et au Liban, mais qui perturbe les efforts des États-Unis pour orchestrer des accords entre Israël et les puissances régionales, qui feraient la une des journaux.

Trump veut un prix Nobel et, à en juger par ses récentes déclarations, estime que Netanyahu ne « fournit pas la marchandise » – un sentiment de désillusion qui fait écho à celui du bureau du Premier ministre israélien.

Ben Caspit raconte que les prises de décision incohérentes de Trump restent une source majeure de frustration pour Netanyahu :

« Le président peut être de votre côté aujourd’hui, suggère un associé mais demain, il peut facilement basculer sans sourciller. Avec Trump, chaque jour est un nouveau combat, selon à qui il a parlé la veille ou quels intérêts économiques sont en jeu. C’est une lutte difficile et surtout sans fin … « .

Travailler avec les Qataris et les Saoudiens”, dans la perspective israélienne, suggère un commentateur, “représente pour Trump la promesse fascinante d’investissements gigantesques, qui renforceraient son image d’efficacité et de réussite ; mais aussi, plus important encore, cela lui ouvrirait une porte personnelle pour réaliser des milliards de transactions immobilières à travers le Moyen-Orient”.

Ce passage de Trump à une approche transactionnelle axée sur les affaires est en fait inscrit dans la récente Déclaration stratégique nationale des États-Unis (NSS), qui détourne l’attention des États-Unis des préoccupations sécuritaires israéliennes vers “le partenariat, l’amitié et l’investissement”. La visite de Ben Salman à Washington en novembre a clairement démontré ce changement, façonné par des réunions de haut niveau, un forum d’investissement et une longue liste d’accords sur l’élargissement de la coopération dans ces domaines.

World Liberty Financial, lancé en 2024 par les fils de Trump, Donald Jr. et Eric, aux côtés d’associés comme Zach et Alex Witkoff (fils de l’envoyé de Trump, Steve Witkoff), soulignent les priorités commerciales de la famille Trump dans le Golfe – des projets qui ajouteraient des milliards de dollars à la richesse familiale.

De plus, la partialité excessive de Trump pour Israël – comme reconnaître à Mark Levine, lors de la fête de Hanouka à la Maison Blanche, qu’en effet il est le premier président juif des États-Unis: “C’est vrai. C’est vrai”, a déclaré Trump en frottant gratuitement du sel dans les plaies ouvertes de « l’America First« . Cette obséquiosité s’est traduite par des dommages stratégiques pour le sionisme – même parmi les conservateurs américains au Congrès. “Ils détestent Israël”, a rétorqué Trump lors du même rassemblement.

« À présent« , soutient Alon Mizrahi « Israël et ses légions de partisans dans le système politique américain doivent se demander s’ils ont commis une erreur critique en pariant ’tout’ sur Trump. Ils se sont tenus derrière Trump à des fins stratégiques, et pas seulement pour son engagement à défendre l’image d’Israël et à pondre des lois sur « l’antisémitisme«  ».

Mizrahi explique :

« Des objectifs agréables ou potentiellement liés aux relations publiques ne sont pas ce que [la Droite eschatologique israélienne] recherche vraiment. L’expansion d’un pouvoir et d’un contrôle pragmatique sur les personnes et le territoire, telle est sa vision et son aspiration déterminantes et directrices. Trump a été choisi pour aider à cela : pour qu’Israël possède officiellement des parties de la Syrie ; pour mettre fin au Hezbollah au Liban ; annexer et nettoyer ethniquement la Cisjordanie … pour briser l’Iran et freiner la montée de toute puissance rivale au Moyen-Orient, y compris une puissance aussi accommodante du sionisme que le sont les États arabes du Golfe ».

« Ils savent qu’ils ont peu de temps avant que le dégoût général pour le sionisme dans le monde, y compris aux États-Unis, cède la place à de nouveaux dirigeants, normes et standards. Ils doivent donc agir de toute urgence. Et c’est ce qu’ils font : pas de contrôle des dégâts, mais une préparation à l’impact. Ils ne jouent pas en défense, ils jouent en attaque”.

Ben Caspit écrit que, alors que la deuxième phase du plan de Trump pour Gaza sera probablement la question la plus urgente lors du sommet de fin d’année Netanyahu-Trump, c’est l’Iran qui représente la plus grande menace stratégique pour Israël. Et c’est dans ce contexte que le commentateur stratégique israélien Shemuel Meir soulève un autre lapsus de Trump perçu par Israël :

Les sites d’enrichissement d’uranium iraniens ont-ils vraiment été « effacés » le 13 juin ? Et qu’est-il arrivé aux 440 kg d’uranium enrichi à 60% dont l’Iran dispose encore ?

Dans l’état actuel de grand scepticisme quant aux résultats de l’attaque de Trump contre l’Iran, “une histoire nucléaire extraordinaire a émergé dans le discours israélien cette semaine, avec plus d’impact que ce qu’il n’y paraît : Netanyahu a annoncé de manière inattendue la nomination de son secrétaire militaire, le major général Roman Goffman, comme prochain chef du Mossad”.

Goffman, sans expérience connue du renseignement, est plus connu pour avoir écrit sur le sujet du nucléaire il y a quelques années, proposant un changement radical de la doctrine de dissuasion stratégique d’Israël.

En tant que chef du Mossad, Goffman rend compte directement et exclusivement à Netanyahu. En Israël, le Premier ministre est également à la tête de la Commission de l’énergie atomique. “Il semble que plus que de sortir des sentiers battus, Goffman pense dans les mêmes termes que Netanyahu”, écrit Meir.

Grâce aux « Accords Nixon-Golda » initiés par Henry Kissinger il y a cinquante ans, Israël avait obtenu une exemption américaine unique de l’obligation d’adhérer au traité du TNP. Les États-Unis, pour leur part, avaient posé des conditions à ce statut nucléaire unique : Israël ne déclarerait pas qu’il possédait des armes nucléaires et ne procéderait pas à un essai nucléaire. C’est la politique israélienne d’ambiguïté nucléaire.

Une raison possible pour que Netanyahu envisage de s’éloigner de « l’ambiguïté » officielle est ce que Shemuel Meir appelle ‘l’effet Trump’ :

“D’un côté, il y a un président américain qui a donné à Israël le feu vert pour attaquer les sites nucléaires lorsque ses services de renseignement nationaux ont évalué que l’Iran ne construisait pas d’armes nucléaires. Pourtant, d’un autre côté, il y a un homme instable et imprévisible.

Un président qui a déclaré que tous les sites nucléaires avaient été « effacés » n’offre aucune certitude qu’il donnera à Netanyahu l’option d’un deuxième round de guerre préventive, contrairement à l’affirmation de Netanyahu de la liberté d’action israélienne chaque fois que des signes, (réels ou non), du renouvellement du programme nucléaire iranien sont découverts”.

Eh bien, le Mossad vient de déclarer que “l‘Iran n’attend que l’occasion de construire une bombe nucléaire. Ils veulent rayer Israël de la carte. On trouvera leurs agents. On s’occupera d’eux. Justice sera faite“, a déclaré David Barnea, le chef sortant du Mossad.

Le changement de direction au Mossad peut intentionnellement signaler que la question nucléaire concernant l’Iran sera sur la table lors du sommet de fin d’année.

Sur cette question vitale, Netanyahu pourra également déterminer si Trump, autrefois un « atout« , est maintenant devenu une gêne.

S’il reste au pouvoir et reste inflexible sur la poursuite de gains financiers tout en jouissant d’une aura pro-sioniste et en ne livrant rien de substantiel pour Israël, je ne vois tout simplement pas comment ils vont le laisser continuer”, spécule Mizrahi. « Ils préféreraient de loin qu’il disparaisse, tout simplement”.

Pourtant, le vice-président JD Vance est maintenant contaminé lui aussi. « La délégitimation systématique des Juifs » est venue aujourd’hui du vice-président américain, écrit Anna Barsky dans Ma’ariv.

« ”Il y a une différence entre l’aversion pour Israël et l’antisémitisme”, c’est ce qu’a écrit le vice-président des États-Unis, JD Vance, sur les réseaux sociaux« , a écrit Barsky :

“Du point de vue d’Israël, il n’y a rien de plus dérangeant que ce court texte, presque désinvolte. Non pas parce qu’il est surprenant, non pas parce que c’est flagrant, mais à cause de ce qu’il symbolise — une adoption ouverte, de la part de hauts responsables de l’administration américaine, d’un récit idéologique qui cherche à séparer les attitudes envers Israël des attitudes envers les Juifs et à légitimer une profonde hostilité envers l’État juif, tout en maintenant une façade morale propre”.

Peut-être – pour paraphraser Anna Barsky – qu’Israël réalise maintenant que « les réalités de la région » ont changé.

Alastair Crooke

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

   Envoyer l'article en PDF