Par Andrew Korybko − Le 5 décembre 2023 − Source korybko.substack.com
Les fruits de cette vision ne seront pas prêts à cueillir sur-le-champ, mais dans l’intervalle, ces pays peuvent compter sur une assistance russe à divers degrés.
Le Burkina Faso a dévoilé au mois de février 2023 ses projets de constituer une confédération avec le Mali voisin, dont le président Traore a esquissé les contours au cours d’une interview exclusive accordée à Sputnik fin juillet. Ces deux pays, accompagnés par leur voisin commun, le Niger, ont ensuite formé l’Alliance sahélienne à la mi-septembre, presque trois mois après le coup d’État qui s’est produit au Niger. Cette plateforme a établi les fondations permettant d’intégrer le Niger au projet de confédération burkinabé-malienne, selon la déclaration conjointe formulée par leurs ministres des affaires étrangères.
Ce développement va transformer la dynamique du continent, pour plusieurs raisons. La première en est qu’il constitue le projet d’intégration politique le plus ambitieux du continent africain. Il est intéressant que ce projet ne soit mené par aucun groupe établi, comme l’Union Africaine, ou la CÉDÉAO, mais par trois membres qui en ont été suspendus. En outre, si le Niger continue d’héberger deux bases étasuniennes dans le cadre d’un compromis tacite explicité ici, on estime que ces trois pays sont dirigés par des gouvernements considérés comme multipolaires.
La convergence de leurs visions du monde, et les menaces de sécurité qu’ils subissent tous, qu’elles soient conventionnelles comme la France et la menace d’une invasion par la CÉDÉAO menée par le Nigeria, ou non-conventionnelles, comme les rébellions armées et les insurrections terroristes, sont les facteurs principaux qui ont rapproché les trois pays. Leurs gouvernements dirigés par l’armée ont compris que la meilleure manière d’endiguer ces menaces, pour le bien général de la stabilité régionale, était de coopérer étroitement, et c’est de là qu’est née l’Alliance sahélienne à la mi-septembre.
Après avoir établi un bon niveau de confiance au travers de ces moyens de sécurité partagée, ils ont décidé de porter leur niveau de coopération au niveau supérieur, en invitant le Niger à rejoindre le projet de confédération burkinabé-malien, chose qui apparaît comme sensée puisque les trois pays partagent également des intérêts économiques. Tous trois sont d’anciennes colonies françaises qui s’étaient jusqu’à présent fait exploiter implacablement par Paris avant leurs révolutions multipolaires pilotées par l’armée, qui ont conduit à une révolution idéologique au sein de leurs sociétés.
La population est à présente nettement mieux informée de la nature structurelle des problèmes, et soutient de ce fait les actions menées par les gouvernements en vue d’intégrer d’une manière plus complète leurs initiatives. Les trois pays disposent de ressources de matières premières impressionnantes et d’un énorme potentiel agricole, qui pourraient être exploités au plus grand bénéfice de ces peuples si ces projets sont correctement gérés et si les retombées économiques sont partagées de manière équitable.
C’est précisément ce qu’ils veulent accomplir, et c’est pour cela qu’ils œuvrent à placer leurs ressources sous une structure administrative unique pour en optimiser la gestion, surtout vis-à-vis de la création d’un espace douanier unifié qui va protéger leurs économies et améliorer leur compétitivité. Les fruits de cette vision ne seront pas prêts à cueillir sur-le-champ, mais dans l’intervalle, ces pays peuvent compter sur une assistance russe à divers degrés.
Les liens entretenus par le Niger avec la Russie vont sans doute rester limités, au vu du maintien de l’occupation militaire du pays issue du compromis tacite que nous avons cité ; mais les liens entre d’une part le Burkina Faso et le Mali et d’autre part la Russie se sont développés au cours de l’année écoulée, et comprennent des dimensions militaires, agricoles et minières. Ce soutien étendu va contribuer à assurer, pour cette partie de la confédération, la sécurité physique, alimentaire et financière des peuples, et donc donner de bonnes chances au projet d’intégration de réussir.
Si la Confédération du Sahel prend vie, elle comptera un total de plus de 65 millions d’habitants (dont les pays figurent parmi ceux qui connaissent la croissance la plus élevée du monde), et s’étalera sur un peu plus de 2,78 millions de kilomètres carrés. Pour mettre ces statistiques en perspective, cela représente la population de la France sur un territoire dont la taille atteint presque celle de l’Inde. Si la Russie réussit à stabiliser cette confédération, la dynamique du continent africain va sans aucun doute s’en trouver transformée.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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