Un nouveau « Kosovo » se prépare-t-il au Myanmar ?


Par James George Jatras – Le 8 septembre 2017 – Source Strategic Culture

Chaque fois que les gouvernements occidentaux et les médias grand public commencent à verser des larmes de crocodile à propos d’une communauté minoritaire de « musulmans pacifiques »© persécutés par un méchant gouvernement non musulman quelque part, et demandent que la « communauté internationale » fasse quelque chose, cela devrait être pris avec une bonne grosse dose de scepticisme.

En cause en ce moment, les Rohingya, dont à peu près un million forment une importante minorité dans l’État de Rakhine (anciennement Arakan) au Myanmar (autrefois la Birmanie). Selon des articles dans des médias prestigieux et des groupes de défense des droits de l’homme (financés par des gouvernements), le gouvernement du Myanmar opprime les Rohingya, dont beaucoup ont fui vers le Bangladesh majoritairement musulman.

On nous dit que les Rohingya, « souvent décrits comme la minorité la plus persécutée au monde », aux mains des bouddhistes de Rakhine incités par des moines fanatiques et soutenus par le gouvernement national, font face à un génocide et à un nettoyage ethnique. La communauté internationale doit faire quelque chose ! Où est le pouvoir de Samantha « Madame Génocide » lorsque nous en avons besoin ?

Si tout cela vous semble familier, c’est que ça l’est. Presque mot pour mot, ce qui précède pourrait décrire le récit occidental et médiatique officiel sur la province serbe du Kosovo et Metohija à la fin des années 1990. Il suffit de remplacer « musulmans Rohingya » par « musulmans albanais », « Rakhine » par « serbe », « bouddistes Theravada » par « chrétiens orthodoxes ».

Bien sûr, le récit officiel sur le Kosovo était et reste une perversion presque totale de la vérité. À la fin des années 1990, les services de renseignement occidentaux et leurs amis dans le monde islamique, notamment l’Arabie saoudite, les États du Golfe et la Turquie, ainsi que les « organismes de bienfaisance » islamiques liés à al-Qaïda, ont fait pénétrer des armes au Kosovo pour soutenir des groupes terroristes armés connus comme l’« Armée de libération du Kosovo » (UCK). Dirigée par des barons de la mafia albanaise, l’UCK a attaqué des fonctionnaires et des civils serbes, assassinant aussi des Albanais insuffisamment militants, dans le but de provoquer une répression du gouvernement qui servirait de prétexte à une intervention de la communauté internationale, c’est-à-dire les États-Unis et l’OTAN, pour faire cesser un génocide serbe fictif d’Albanais. Comme je l’ai souligné dans un rapport au Sénat américain en août 1998 des mois avant le massacre supposé qui « justifiait » l’attaque de l’Otan sur la Serbie, l’intervention militaire avait déjà été décidée et n’attendait qu’un « élément déclencheur » adéquat.

Au moment de la rédaction de ce rapport, le projet d’une intervention de l’OTAN dirigée par les États-Unis au Kosovo est déjà largement en place, alors que la volonté apparente de l’administration Clinton d’intervenir s’est réduite et a coulé à un rythme presque hebdomadaire. Le seul élément manquant semble être un événement – avec une couverture médiatique adéquate – qui rendrait l’intervention politiquement vendable, et même impérative, de la même manière qu’une administration hésitante a finalement décidé une intervention en Bosnie en 1995, après qu’une série de « tirs de mortier » a coûté la vie à des douzaines de civils – des attaques qui, après un examen plus approfondi, pourraient en fait avoir été l’œuvre du régime musulman à Sarajevo, le principal bénéficiaire de l’intervention. [Pour plus de détails, principalement des articles des médias européens, voir Clinton-Approved Iranian Arms Transfers Help Turn Bosnia into Militant Islamic Base, 1/16/97]. Que l’administration attende un « élément déclencheur » similaire au Kosovo est de plus en plus évident : « Un haut responsable du département de la Défense américain qui a informé des journalistes le 15 juillet a relevé que ‘nous ne sommes pas près de prendre une décision pour une intervention armée au Kosovo en ce moment’. Il n’a cité qu’une seule chose qui pourrait provoquer un changement politique : ‘Je pense que si un certain niveau d’atrocités devait être atteint, ce serait intolérable et ce serait probablement un élément déclencheur’. » [Washington Post, 8/4/98]. Les récents rapports contradictoires concernant une fosse commune contenant (suivant les rapports) des centaines de civils albanais assassinés ou des douzaines de combattants de l’UCK tués dans la bataille devraient être vus dans cette optique. [Tiré de Bosnia II: The Clinton Administration Sets Course for NATO Intervention in Kosovo, août 1998].

Relever les similitudes entre les responsables officiels et les médias à propos des Rohingya en 2017 et des « Kosovars » en 1998-1999 ne veut pas dire qu’une intervention armée extérieure contre le Myanmar est imminente ni même dans les tiroirs. Cela ne réfute pas non plus l’affirmation que les Rohingya, ou certains d’entre eux, pourraient en effet souffrir de persécution. Cela ne fait que suggérer que lorsque les manipulateurs habituels dans les médias et dans la communauté internationale autoproclamée enfourchent le cheval du génocide, la prudence est de mise. Il faut se demander quel est l’autre côté de l’histoire.

Par exemple, comme l’a analysé Moon of Alabama :

L’attention des médias se focalise sur une violence ethnique mineure au Myanmar, l’ancienne Birmanie. L’histoire dans la presse « occidentale » est que les musulmans Rohingya sont injustement diffamés, pourchassés et tués par des foules bouddhistes et l’armée dans l’État de Rakhine à proximité de la frontière du Bangladesh. Les interventionnistes « libéraux » comme Human Rights Watch se joignent à des islamistes comme le président turc Erdogan pour déplorer bruyamment la détresse des Rohingya.

Cette curieuse alliance s’est aussi produite pendant les guerres de Libye et de Syrie. [JGJ : et au Kosovo.] C’est un avertissement. Pourrait-il y avoir derrière tout cela plus qu’un conflit local au Myanmar? Quelqu’un attise-t-il le feu ?

En effet.

Alors que le conflit ethnique dans l’État de Rakhine est très ancien, il s’est transformé ces dernières années en une guérilla djihadiste financée et dirigée depuis l’Arabie saoudite. La zone a un grand intérêt géostratégique :

« Rakhine joue un rôle important dans [l’initiative chinoise Une Ceinture Une Route] OBOR, car c’est une sortie sur l’océan Indien et l’emplacement de projets chinois de plusieurs milliards de dollars – le projet d’une zone économique sur l’île de Ramree et le port en eaux profondes de Kyaukphyu, dont les pipelines de gaz naturel sont reliés à Kunming, dans la province du Yunnan. »

Les pipelines allant de la côte occidentale de Myanmar à l’est de la Chine permettent des importations d’hydrocarbures du golfe Persique en Chine, tout en évitant le goulet du détroit de Malacca et les parties contestées en mer de Chine.

C’est dans l’« intérêt occidental » d’entraver les projets de la Chine au Myanmar. Inciter le djihad à Rakhine pourrait aider à y parvenir. (…) Une insurrection clairement islamique a été fabriquée dans la région. Elle agit sous le nom d’Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA) [Armée pour le salut des Rohingya d’Arakan] et est dirigée par Ataullah abu Ammar Junjuni, un djihadiste du Pakistan. (ARSA opérait auparavant sous le nom de Harakah al-Yakin, ou Mouvement de la foi.) Ataullah est né dans la grande communauté Rohingya de Karachi, au Pakistan. (…) Reuters a signalé à la fin de 2016 que le groupe djihadiste est entraîné, dirigé et financé par le Pakistan et l’Arabie saoudite : 

« Un groupe de musulmans Rohingya qui a attaqué des gardes-frontière en octobre est dirigé par des gens liés à l’Arabie saoudite et au Pakistan, a déclaré l’International Crisis Group (ICG) jeudi, citant des membres du groupe. (…) ‘Bien que ce ne soit pas confirmé, il y a des indications que [Ataullah] est allé au Pakistan et peut-être ailleurs, et qu’il a reçu une formation pratique à la guerre de guérilla moderne’, a dit le groupe. Il a noté qu’Ataullah était l’un des 20 Rohingya d’Arabie saoudite qui dirigent les opérations dans l’État de Rakhine. Par ailleurs, un comité de 20 émigrés plus âgés supervise le groupe, dont le siège est à La Mecque, a déclaré l’ICG. »

Les djihadistes de l’ARSA affirment n’attaquer que les forces gouvernementales, mais des civils bouddhistes d’Arakana ont aussi été pris dans des embuscades et massacrés. Des hameaux bouddhistes ont également été incendiés.

Enfin, il faut noter que montrer de la sympathie, réelle ou feinte, pour des victimes musulmanes comporte plusieurs attraits pour les gouvernements et les médias occidentaux :

  • Cela plaît aux amis des élites occidentales à Riyad, Ankara, Islamabad, etc., de voir les veules post-chrétiens prendre le parti de musulmans d’une manière dont aucun d’entre eux ne défendrait des chrétiens. Comme c’est agréable de voir à quel point les infidèles sont faibles, corrompus et lâches ! (Combien de protestations avons-nous entendues de la part de nos prétendus amis saoudiens, turcs, pakistanais à propos des souffrances des chrétiens en Syrie et en Irak aux mains d’al-Qaïda et Daech ? À ce propos, qu’avons-nous entendu à ce sujet de la part des gouvernements occidentaux ? Quand les gouvernements et les médias occidentaux ont-ils demandé que la soi-disant communauté internationale « fasse quelque chose » pour sauver une population non musulmane – où que ce soit ?).
  • Cela permet aux élites occidentales d’éliminer le soupçon que quelque part le moindre indice de préoccupation à propos du terrorisme islamique ou de la migration musulmane de masse en Europe est une preuve de « racisme » et d’« islamophobie ». Soutenir les musulmans persécutés comme les Rohingya et les Albanais du Kosovo montre que l’Occident n’admet pas ce genre de préjugés.
  • Plus important encore, peut-être, défendre des minorités musulmanes supposément persécutées permet aux gouvernements et aux médias occidentaux de détourner toute accusation pour les centaines de milliers – vraisemblablement des millions – de musulmans tués dans le processus de « promotion de la démocratie » dans des pays à majorité musulmane comme l’Afghanistan, l’Irak la Syrie, le Yémen, la Somalie et ailleurs. Ou les plus nombreux encore qui seraient tués dans le projet visant à « apporter la liberté » à l’Iran. C’est vrai, de nombreux non-musulmans ont aussi été tués dans ces efforts humanitaires, mais leurs morts ne sont pas politiquement exploitables – aucun gouvernement ou mouvement terroriste ne menacera de les venger.

James George Jatras

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone

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