Syrie : les négociations impossibles…


… où l’on voit que les étasuniens ont une répulsion pathologique au compromis − c’est pas d’hier − et pourquoi les récents développements en Syrie montrent que l’administration Obama est dans un état de confusion terminale


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Saker US

Par le Saker US − Le 23 septembre 2016 − Source SouthFront

Les derniers développements en Syrie ne sont pas, à mon avis, le résultat d’un plan délibéré des États-Unis afin d’aider leurs alliés «terroristes modérés» sur le terrain, mais plutôt le symptôme de quelque chose d’encore plus grave : la perte totale de contrôle par les États-Unis sur la situation en Syrie, et possiblement ailleurs aussi.

Permettez-moi juste de rappeler ce qui vient d’arriver :

Premièrement, suite à des jours et des jours de négociations intensives, le secrétaire d’État Kerry et le ministre russe des Affaires étrangères Lavrov, étaient finalement parvenus à un accord de cessez-le-feu en Syrie qui potentiellement aurait pu, au moins geler la situation sur le terrain jusqu’à ce que l’élection présidentielle ait lieu aux États-Unis et que l’administration change − ceci étant maintenant l’événement le plus important dans le proche avenir. Donc aucun plan de quelque nature que ce soit ne peut aller au-delà de cette date.

Puis l’USAF, l’aviation étasunienne, avec quelques autres [membres de leur coalition, NdT] ont bombardé une unité statique de l’armée syrienne qui n’était pas engagée dans des opérations intenses, mais tenait simplement un secteur clé du front. Les frappes des États-Unis ont été suivies d’une offensive massive des terroristes modérés contenue difficilement par l’armée syrienne et les forces aériennes russes. Inutile de dire que suite à cette provocation effrontée l’accord de cessez-le-feu était mort. Les Russes ont exprimé leur profond dégoût et leur indignation à propos de cette attaque et commencé à dire ouvertement que les Étasuniens étaient «недоговороспособны». Ce mot signifie littéralement «incapables de passer un accord» ou incapables d’en faire un, et puis de s’y conformer. Bien que cette expression soit polie, elle est extrêmement forte car elle n’implique pas tant une tromperie délibérée que l’impuissance même à établir une entente et ensuite à s’y tenir. Par exemple, les Russes ont souvent dit que le régime de Kiev est «incapable de passer un accord», et cela a du sens étant donné que l’Ukraine occupée par des nazis est essentiellement un État failli. Mais de dire qu’une superpuissance nucléaire est «incapable de passer un accord» est un diagnostic terrible et extrême. Essentiellement cela signifie que les Étasuniens sont devenus fous et ont perdu la capacité même à faire toute sorte de transaction. Encore une fois, un gouvernement qui rompt ses promesses ou qui tente de tromper mais qui, au moins en théorie, reste capable de respecter un accord ne serait pas décrit comme «incapable de passer un accord».

Ce terme n’est utilisé que pour décrire une entité qui n’a même pas l’aptitude dans sa boîte à outils politique, de négocier et de tenir un accord. C’est un diagnostic absolument dévastateur.

Puis est survenue la scène pathétique et absolument non professionnelle, de l’ambassadrice étasunienne aux Nations-Unies, Samantha Powers qui a simplement quitté la réunion du Conseil de Sécurité au cours de l’intervention du représentant de la Russie. Encore une fois les Russes ont été tout simplement époustouflés, non pas par la tentative infantile d’offenser, mais par le manque total de professionnalisme diplomatique étalé par cette puissance. Du point de vue russe, pour qu’une superpuissance quitte simplement la salle au moment même où une autre superpuissance fait une déclaration cruciale est tout simplement irresponsable et, encore une fois, le signe que leurs homologues étasuniens ont totalement perdu les pédales.

Finalement est arrivée l’apogée : l’attaque d’un convoi humanitaire en Syrie pour lequel les États-Unis ont, bien sûr, voulu rejeter le blâme sur la Russie. Les Russes, une fois de plus, pouvaient à peine en croire leurs yeux. Premièrement, c’était une tentative tellement flagrante et franchement puérile, pour montrer que «les Russes font aussi des erreurs» et que «ce sont eux qui ont tué le cessez-le-feu». Deuxièmement, il y eut cette déclaration étonnante des États-Unis, affirmant qu’il n’y avait que deux aviations susceptibles de l’avoir fait : les Russes ou les Syriens (Comment les Étasuniens espéraient-ils s’en sortir avec cette déclaration, alors que cet espace aérien est minutieusement contrôlé par les radars russes ? Cela me dépasse !). On ne sait pas comment les Étasuniens ont pu oublier de mentionner que leur propre aviation était également présente dans la région, ainsi que les aviations de nombreux de leurs alliés. Plus important encore, ils ont oublié de mentionner que cette nuit-là des drones armés Predator étasuniens volaient juste au-dessus de ce convoi.

Ce qui est arrivé en Syrie est douloureusement évident : le Pentagone a saboté l’accord conclu entre Kerry et Lavrov et quand il a été accusé d’en être responsable, a monté une attaque sous fausse bannière dans le but de tenter de rejeter le blâme sur les Russes.

Tout cela montre tout simplement que l’administration Obama est dans un état de confusion terminale. Apparemment la Maison Blanche est tellement affolée par la perspective d’une victoire de Donald Trump en novembre qu’elle a essentiellement perdu le contrôle de sa politique étrangère en général, et syrienne en particulier. Les Russes ont littéralement raison : l’administration Obama est vraiment «incapable de passer un accord».

Bien sûr, le fait que les Étasuniens agissent comme des enfants frustrés et désemparés ne signifie pas que la Russie va rendre la pareille. Nous avons déjà vu Lavrov revenir en arrière et poursuivre les négociations avec Kerry. Non pas parce que les Russes sont naïfs, mais précisément parce que, contrairement à leurs collègues étasuniens, les Russes sont des professionnels qui savent que les négociations et les lignes de communications sont toujours ouvertes, et par définition, préférables à l’action de quitter la table, surtout face à une superpuissance. Ces observateurs qui critiquent la Russie pour sa faiblesse ou sa naïveté projettent tout simplement sur les Russes leur propre façon de réagir, imitée des Étasuniens, et ne parviennent pas à réaliser tout simplement que les Russes sont différents ; ils pensent différemment et agissent différemment. En réalité, les Russes ne se soucient pas d’être perçus comme faibles ou naïfs. En fait, ils préféreraient être perçus comme tels si cela favorisait leurs objectifs et leur permettait de confondre l’adversaire sur ses véritables intentions et capacités. Les Russes savent qu’ils n’ont pas construit le plus grand pays de la planète en étant faibles ou naïfs et ils n’ont pas à prendre de leçons d’un pays qui est plus jeune qu’un grand nombre de leurs monuments. Le paradigme occidental fonctionne généralement comme ceci : une crise conduit à une rupture des négociations et s’ensuit le conflit. Le paradigme russe est complètement différent : une crise conduit à des négociations qui sont menées jusqu’à la dernière seconde avant que le conflit n’éclate. Il y a deux raisons à cela : premièrement, continuer à négocier jusqu’à la dernière seconde rend possible la quête ultime d’un moyen pour éviter la confrontation, et deuxièmement, les négociations jusqu’à la dernière seconde permettent de se rapprocher le plus possible pour faire une attaque stratégique surprise. C’est exactement ainsi que la Russie a agi en Crimée et en Syrie − sans aucun signe d’avertissement et encore moins une annonce très médiatisée de puissance pour tenter d’intimider qui que ce soit (l’intimidation est aussi une stratégie politique occidentale dont les Russes ne se servent pas).

Ainsi Lavrov persistera-t-il à négocier, peu importe combien de telles négociations paraîtront ridicules et inutiles. Et Lavrov lui-même ne prononcera probablement jamais officiellement le mot «недоговороспособны», mais le message envoyé à ce stade au peuple russe et aux alliés syriens, iraniens et chinois par la Russie sera qu’elle a perdu tout espoir de négocier avec l’administration actuelle des États-Unis.

Obama et Cie sont actuellement si préoccupés à essayer de cacher les problèmes de santé et de caractère d’Hillary Clinton, qu’ils ne peuvent probablement pas penser à autre chose que de savoir comment survivre au prochain débat Hillary Clinton-Donald Trump. Le Pentagone et le Département d’État sont la plupart du temps engagés à se combattre l’un l’autre sur la Syrie, la Turquie, les Kurdes et la Russie. La CIA semble se battre contre elle-même, bien que cela soit difficile à vérifier.

Il est probable qu’une sorte d’accord sera encore annoncé par Kerry et Lavrov, et si ce n’est aujourd’hui, ce sera demain ou le jour d’après. Mais, franchement, je suis entièrement d’accord avec les Russes: les Étasuniens sont vraiment «incapables de passer un accord» et de ce fait les conflits en Syrie et en Ukraine sont gelés. Je ne veux pas du tout dire gelés au sens ou il n’y a pas de combats, mais j’entends gelés dans le sens de l’impossibilité d’un développement majeur. Il y aura encore des combats, surtout maintenant que les alliés wahhabites et nazis des États-Unis estiment que leur patron n’est pas aux commandes, étant occupé avec les élections et les émeutes raciales, mais comme il n’y a pas de solution militaire rapide possible dans l’une ou l’autre de ces guerres, les affrontements et les tactiques offensives ne donneront aucun résultat stratégique.

Hormis une opération de fausse bannière qui annulerait les élections étasuniennes, telle que l’assassinat d’Hillary Clinton ou de Donald Trump par un tireur isolé, les guerres en Ukraine et en Syrie se poursuivront sans perspective de quelques négociations constructives que ce soit. Et quand Donald Trump ou Hillary Clinton entreront à la Maison Blanche, une grande réorganisation aura lieu au début de 2017. Donald Trump voudra probablement rencontrer Poutine pour une grande séance de négociations impliquant toutes les principales questions en suspens entre les États-Unis et la Russie. Si Hillary Clinton et ses néocons prennent la Maison Blanche, alors une sorte de guerre entre la Russie et les États-Unis sera presque impossible à éviter.

The Saker 

Traduit par Alexandre Moumbaris, relecture par Marie-José Moumbaris pour le Saker Francophone

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