Mieux vaut tard que jamais…


Les Américains commencent seulement à prendre conscience qu’ils vivent dans une dictature



Eric ZuessePar Eric Zuesse – Le 22 décembre 2017 – Source  Strategic Culture

La première fois qu’il m’est apparu clairement que je vis dans une dictature, c’était en 2014, en lisant, avant sa publication, l’étude empirique historique (et toujours la seule) abordant la question de savoir si le gouvernement fédéral des États-Unis est, authentiquement, une démocratie – ou, s’il s’agit plutôt d’une dictature que d’une démocratie. Cette étude a documenté de façon concluante que le gouvernement de l’Amérique est une dictature.

Ainsi, le 14 avril 2014, j’ai titré : « Les États-Unis sont une oligarchie, pas une démocratie, selon une étude scientifique ». Par la suite, mon éditeur a relié mon article au journal où l’étude a été publiée, « Perspectives on Politics » de l’American Political Science Association, et l’étude complète peut être lue ici.

Le 30 avril 2014, a été publiée sur YouTube la vidéo qui reste, à ce jour, le meilleur résumé, et le plus clair, de ce que cette étude académique, mal écrite, a prouvé.

Voir son explication ici [sous titré en anglais] :

Le titre de ce résumé est aussi meilleur que le titre de mon article.

Cette excellente vidéo annonce « La Corruption est légale en Amérique » qui est une autre conclusion précise de cette étude. Chaque citoyen américain devrait savoir ce que cette vidéo de près de 6 minutes dit et montre de l’étude académique, car elle explique comment les super-riches, en tant que classe, volent tous les autres (tous ceux qui ne sont pas super-riches) : ils le font par le moyen de la corruption.

Ensuite, la même personne qui a créé la vidéo en a fait une autre présentation, mais cette fois en l’accompagnant d’un texte, et cet article était intitulé « Un graphique montre comment les riches contrôlent la politique américaine ».

Dépense de campagne pour influencer le gouvernement : $5.8 milliards, face au gain : $4.000 milliards

Il  explique comment les riches exercent leur contrôle par la corruption, ce qui est légal en Amérique et qui peut être fait beaucoup plus facilement par les riches que par les pauvres. Les pauvres ne peuvent tout simplement pas acheter le gouvernement, et ceux qui tenteraient de le faire utiliseraient seulement des moyens illégaux, que la Cour suprême des États-Unis a définis comme tels, c’est la corruption flagrante, qui est la corruption pratiquée par la classe inférieure, pas le type de corruption bien plus lucrative à laquelle les individus super-riches ont accès. La corruption qui n’est accessible qu’aux super-riches est légale en Amérique, c’est pourquoi les super-riches continuent de s’enrichir, tandis que le reste de la population a de la chance s’il ne devient pas encore plus pauvre.

Explosion du coût des campagnes électorales

Le 28 juillet 2015, l’ancien président américain Jimmy Carter a été franc à propos de cette situation. En intervenant dans une émission de radio progressiste, il a dit cela au sujet de la corruption au plus haut niveau en Amérique :

« Cela viole l’essence de ce qui a fait de l’Amérique un grand pays par son système politique. Maintenant c’est juste une oligarchie, avec une corruption politique illimitée, qui est à la base même de l’obtention des nominations à la présidence ou à l’élection présidentielle. Et la même chose s’applique aux gouverneurs, aux sénateurs américains et aux membres du Congrès. Alors, maintenant, tout ce que nous voyons est une subversion de notre système politique afin de récompenser les principaux contributeurs, qui veulent, attendent, et obtiennent parfois, des faveurs après les élections. (…) À l’heure actuelle, les titulaires de mandats, Démocrates et Républicains, considèrent cet argent illimité comme un grand avantage pour eux-mêmes. Quelqu’un qui est déjà au Congrès a beaucoup plus à vendre. » 

Trois jours plus tard, Huffington Post a publié mon article sur cette déclaration, intitulée « Jimmy Carter a raison de dire que les États-Unis ne sont plus une démocratie » et il avait plus de 60 000 « j’aime » sur Facebook – ici l’article est montré un peu plus tôt, quand il n’y en avait que 56 000 – mais Huffington Post a trafiqué ce nombre de  « j’aime » pour le ramener à son chiffre actuel de 18 000. Cet article a été le dernier qu’ils ont accepté de moi – après en avoir publié plus de cent. Ils ont rejeté toutes mes propositions d’articles après cela. Aucune explication n’a jamais été donnée, et je n’ai plus jamais entendu parler d’eux.

L’article scientifique sur le gouvernement américain a examiné 1 779 projets de loi entre 1981 et 2002 et a conclu que les seules lois qui ont été votées étaient celles présentées par les super-riches : « On voit que les préférences de l’Américain moyen ont un impact minuscule, quasi nul, statistiquement non significatif sur les politiques publiques ». Ce n’est certainement pas une démocratie.

Il y a eu des spéculations sur le moment où, historiquement, le gouvernement-américain-par-l’aristocratie (ou, simplement par les quelques super-riches de l’oligarchie) est apparu. Avant la présidence de Ronald Reagan, en remontant jusqu’à l’époque où Franklin D. Roosevelt (FDR) est mort au pouvoir en 1945 en tant que président, la distribution des revenus et de la richesse était beaucoup plus égalitaire en Amérique qu’elle ne l’était à l’entrée de Reagan à la Maison Blanche, lorsque a commencé la domination de la doctrine de l’économie de l’offre, qui est basée sur la croyance selon laquelle la richesse dégouline du haut de quelques riches vers les pauvres, plutôt que – comme le croyait FDR – par une stimulation de la demande de la part des nombreux pauvres pour infuser la croissance. FDR croyait que ce qui motive une économie, ce sont les besoins, pas les produits et les services qui répondent aux besoins. Au contraire, Reagan croyait à la loi de Say, qui dit que tout ce qui est produit répondra aux besoins (ou du moins aux désirs) – que la production est ce qui motive une économie, et que les besoins (et les désirs) s’adaptent. Ainsi, FDR se concentrait sur l’homme ordinaire et surtout les pauvres, mais Reagan se concentrait sur les entrepreneurs ou les propriétaires d’entreprises. La classe moyenne n’est pas un problème ici, elle est simplement la partie la plus riche des pauvres. Historiquement, cela a été le cas. Par exemple, la classe moyenne américaine a diminué alors que les pauvres se sont multipliés, mais les 5% les plus riches raflent tous les gains, et la plus grande partie va au 1% ou même moins. Donc, les pauvres, dans ce contexte, incluent la classe moyenne, et se référer à l’Amérique de la classe moyenne revient maintenant à se référer à une race en voie de disparition – mais c’est une race de pauvres, pas de riches.

Cependant, la corruption extrême au sommet de ce pays apparaît plus brusquement que jamais dans les documents du gouvernement américain, récemment déclassifiés, au sujet de l’assassinat de JFK – dont l’origine apparaît beaucoup plus précoce que ce qui avait été généralement supposé, débutant au moins au moment où le président Kennedy est entré en fonction le 20 janvier 1961. Kennedy s’est retrouvé encerclé par le complexe militaro-industriel que son prédécesseur, Eisenhower, avait entretenu pendant qu’il était à la Maison Blanche, et contre le danger duquel ce dernier, Ike, sur le départ, avait hypocritement attendu le 17 janvier 1961, soit trois jours avant l’investiture de Kennedy, pour mettre en garde l’opinion publique américaine. Certains de ces gens corrompus étaient ceux que Kennedy lui-même avait amenés. Ils n’étaient pas tous des vestiges de la période d’Eisenhower. Mais Kennedy était apparemment choqué, malgré tout.

Les débuts de cette corruption profonde pourraient être pistés encore plus tôt chez des taupes du gouvernement – comme les frères Dulles, Averell Harriman et Prescott Bush – qui avaient construit leur carrière, après la Première Guerre mondiale, au moyen de l’exercice, et de la maîtrise, des aller-retours entre l’establishment de la politique étrangère du gouvernement et Wall Street. À partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, les agents de ces taupes ont mis fin au Bureau des services stratégiques de FDR et ont créé la CIA de Truman. Dès le départ, la CIA était profondément corrompue, comme le montre clairement le documentaire [en anglais] de deux heures et demie de la BBC, diffusé en 1992, intitulé Opération Gladio :

En savoir plus [en français] sur le réseau Gladio Interview exhaustive de Daniel Ganser 

Ces documents présentent des témoignages d’anciens membres de la CIA en Europe, que la CIA avait recrutés dans l’aristocratie, chez les fascistes engagés et même d’anciens nazis, pour monter des attentats terroristes en Europe, en forme de faux drapeaux, afin de jeter le blâme du public sur les communistes et sur toute entité favorable à l’Union soviétique. D’innombrables Européens ont été blessés et tués dans des attentats terroristes qui ont été mis en place par la CIA pour être, fondamentalement, de la propagande anti-communiste. Cette opération de la CIA s’appelait Gladio, et elle continue à ce jour, même si le communisme lui-même a disparu.

Par la suite, une vidéo [sous titrée en anglais] beaucoup plus courte, 50 minutes, commence avec des interviews de certains survivants de ces opérations de la CIA et de l’OTAN. Cette vidéo se place beaucoup plus du point de vue des victimes que le long documentaire de la BBC : Les armées secrètes de l’OTAN (2009)

https://youtu.be/k83L3I6Z35w

Quand Kennedy devint président, il se retrouva entouré de conseillers qui le pressaient, comme l’a fait le 22 mars 1962 son frère, ministre de la Justice des États-Unis, Robert F. Kennedy, lors d’une réunion pour discuter de « la possibilité de fabriquer aux États-Unis, ou d’acquérir des avions soviétiques » parce que :

« Il serait possible d’utiliser de tels avions dans des opérations pour tromper  l’ennemi en lançant une attaque surprise contre ses installations ou monter une opération de provocation dans laquelle un avion soviétique semblerait attaquer des installations américaines ou alliées pour fournir une excuse à une intervention américaine. Si des avions devaient être utilisés dans de telles opérations secrètes, il semblerait préférable de les fabriquer aux États-Unis. »

Et aussi, comme cela (le 12 avril 1962, d’un major général et d’un officier de la CIA – voir page 16) :

« Nous pourrions développer une campagne de terreur cubaine communiste dans la région de Miami, dans d’autres villes de Floride et même à Washington. La campagne de terreur pourrait être dirigée contre les réfugiés cubains en quête d’asile aux États-Unis. Nous pourrions couler une cargaison de Cubains en route vers la Floride (réelle ou simulée). Nous pourrions encourager des tentatives d’assassinats de réfugiés cubains aux États-Unis, même au point de les blesser dans des cas qui seront largement diffusés. Exploser quelques bombes dans des endroits soigneusement choisis, arrêter un agent cubain et publier des documents prouvant l’implication cubaine serait également utile pour projeter l’image d’un gouvernement irresponsable. » 

Même Robert Kennedy – le frère de JFK – ainsi que le secrétaire à la Défense Robert McNamara et le secrétaire d’État Dean Rusk, et de nombreuses autres personnes ayant quitté l’administration d’Eisenhower, pensaient que ce genre de choses méritait l’attention du président des États-Unis. Heureusement, JFK ne l’a pas fait.

Michael Ellison avait vu un peu du document du 12 avril 1962, des décennies plus tôt, et il l’avait rapporté le 2 mai 2001 dans le The Guardian britannique sous le titre « Des mémos révèlent le complot américain de la guerre froide  pour viser Castro ». Ellison a écrit que « l’idée était un élément dans un plan plus large qui ‘pourrait être le plan le plus corrompu jamais créé par le gouvernement américain’, affirme James Bamford. » Alors que Bamford est peut-être le plus grand journaliste et historien du monde – qui a écrit, au sujet de la NSA, des livres comme « The Puzzle Palace » en 1983 – il a quand même été surpris en 2001 par le fait que le gouvernement américain, à son plus haut niveau, était principalement composé de personnes qui se creusaient la tête pour trouver des moyens de simuler des actes terroristes et des attaques soviétiques, comme prétexte pour les États-Unis et l’OTAN à envahir l’Union soviétique. Cet étonnement de Bamford, en 2001, montre à quel point nous sommes devenus plus cyniques après les mensonges de George W. Bush sur les ADM de Saddam comme prétexte pour envahir et détruire l’Irak en 2003. Non seulement John Kennedy a été surpris de le découvrir en 1962, mais James Bamford a même été surpris de le découvrir en 2001. Bamford, en 2001, n’aurait peut-être pas dit ce qu’il avait dit à ce moment-là s’il avait vu le document de 1992 de la BBC qui montrait que le niveau le plus élevé de la CIA agissait ainsi depuis la création de l’agence en 1947. Mais maintenant avec tant d’histoire derrière nous, qui était encore classifiée, et donc non publique jusqu’en 2001, lorsque Bamford a déclaré que le document du 12 avril 1962 décrivait « le plan le plus corrompu jamais créé par le gouvernement américain » nous ne sommes pas du tout surpris aujourd’hui de le découvrir. La corruption au sommet du gouvernement américain a depuis longtemps rompu ses digues, dans la conscience du public. Tous les chevaux du roi et tous les hommes du roi ne peuvent plus entretenir le mythe de la décence du gouvernement américain.

Eric Zuesse

Traduit par jj, relu par Catherine pour le Saker Francophone

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