L’utilité du déni plausible contre un adversaire systématiquement menteur


Saker US

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Par le Saker – Le 28 juin 2017 – Source The Saker

L’Internet a fait le buzz avec des réactions au dernier article de Stratfor sur la façon dont se déroulerait une confrontation armée entre la Russie et les États-Unis. Je n’ai pas trouvé le texte complet, je suppose qu’il est derrière un péage de Stratfor ou uniquement pour des souscripteurs (et franchement, j’ai mieux à faire de mon temps et de mon argent que de payer pour ces ordures), mais puisque les mêmes extraits sont cités partout, je pourrais aussi bien les recenser et supposer que ce sont les points forts de l’article. Alors voici (tiré de Business Insider citant et paraphrasant l’article original).

Alors que la Russie dispose de systèmes avancés de missiles sol-air et d’avions de chasse très agiles en Syrie, ça ne ferait pas l’affaire dans ce qui serait une guerre aérienne brève et brutale contre les États -Unis. […] La Russie dispose « d’environ 25 avions, dont dix seulement sont dédiés à la supériorité aérienne (des Su-25 et des Su-30) et contre eux ils auront des avions de combat furtifs de cinquième génération, des douzaines d’avions d’attaque, F-15, F-16, ainsi que des bombardiers B-1 et B-2. Et bien sûr la puissante Marine américaine et des centaines de Tomahawks. « Les Russes ont beaucoup de défenses aériennes, ils ne sont pas exactement démunis de tous les moyens, a dit Lamrani à Business Insider, mais les États-Unis ont une capacité aérienne très supérieure. » Même si les plateformes russes individuelles se rapprochent et dépassent de certaines manières la capacité des jets américains, il y la question des chiffres. Si la surveillance étasunienne a détecté une mobilisation massive des avions russes en réponse aux va-et-vient, les États-Unis n’attendraient pas poliment que les Russes aient leurs avions dans le ciel pour combattre. Au lieu de quoi, une gigantesque salve de missiles de croisière déferlerait depuis le groupe d’attaque du transporteur USS George H. W. Bush, tout comme l’attaque du 7 avril contre la base aérienne syrienne de Chayrat. Mais cette fois, les missiles devraient commencer par saturer et vaincre les défenses antimissiles russes, ce qu’ils pourraient faire par le nombre s’ils n’utilisent par la force d’attaque électronique. Ensuite, après avoir neutralisé les défenses de la Russie, les navires pourraient viser la base aérienne, et non seulement détruire les avions au sol mais également ravager les pistes de manière à ce qu’aucun avion ne puisse décoller. À ce stade, l’aviation des États-Unis et de la coalition aurait carte blanche pour survoler et dévaster totalement les forces russes.

L’évaluation de l’auteur, Omar Lamrani, est-elle correcte ? Oui et non. Oui, c’est exactement ce qui se passerait si les Russes décidaient d’engager leur petit nombre d’avions de supériorité aérienne pour l’emporter sur toute l’aviation du CENTCOM et de l’OTAN pour le contrôle de l’espace aérien syrien. Et non, parce que les Russes ne feraient jamais cela.

L’auteur de l’article, un civil sans expérience militaire, commet une erreur de base, il suppose que les Russes agiront comme des idiots et mèneront le genre de guerre que les États-Unis voudraient leur imposer. C’est le genre de suppositions que font la plupart des néophytes et qui donnent d’excellents articles de propagande. Le problème, bien sûr, est qu’il n’y a absolument aucune raison pour que les Russes collaborent à un scénario aussi ridicule. Donc revenons aux bases.

Question 1 : les Russes sont-ils en position de faiblesse en Syrie ?

Oui, absolument. Et ils le savent. Premièrement, les Russes gèrent seulement deux installations (Tartous et Hmeimim), loin de chez eux et les forces qu’ils ont engagées en Syrie sont minuscules comparées à l’énorme quantité de puissance de feu dont disposent les Anglosionistes et leurs alliés. Deuxièmement, les États-Unis ont déversé des milliards de dollars dans cette région pour s’assurer que l’Union soviétique ne pourrait jamais réussir à envahir l’Iran, et non seulement ils ont une supériorité numérique immense sur les Russes, mais ils ont un réseau de bases de classe mondiale d’où ils peuvent amener encore plus de troupes. La Syrie est coincée entre le CENTCOM au sud à l’est et l’OTAN au nord et à l’ouest, alors que les troupes russes les plus proches sont en Crimée. La vérité est que non seulement les États-Unis et l’OTAN pourraient prendre le contrôle du ciel de la Syrie, mais que même Israël le pourrait probablement. Donc, en partant de l’idée que les Russes ne sont pas des imbéciles suicidaires, que pensez-vous qu’ils pourraient faire ? Si vous étiez russe, comment joueriez-vous vos cartes ?

Question 2 : les Russes ont-ils des avantages qui leur sont propres ?

Absolument. En fait, ils ont de nombreux avantages sur les Américains. Les voici, cités sans ordre particulier :

  • Toutes les bottes sur le terrain qui comptent sont des alliés russes ou au moins en bons termes avec la Russie : les Syriens, les Iraniens, le Hezbollah et même la Turquie sont tous beaucoup plus proches de la Russie que des Anglosionistes. Les seules bottes anglosionistes qui comptent sur le terrain sont Daech & Co.
  • L’opinion publique intérieure : en Russie, l’intervention militaire russe est comprise et soutenue par une majorité écrasante des Russes. Aux États-Unis, le public est désemparé et profondément sceptique à l’égard du choix de cette dernière guerre américaine. Non seulement cela, mais Poutine, personnellement, jouit d’une immense crédibilité auprès du peuple russe, tandis que Trump évite tout juste d’être destitué.
  • L’opinion publique extérieure : tandis qu’aux États-Unis, les siomédias sont engagés dans un effort héroïque pour éviter de mentionner le fait que même la présence américaine en Syrie, et passons sur l’agression actuelle contre elle, est totalement illégale en termes de droit international, la plus grande partie de la planète en est tout à fait consciente. Cela ne fait qu’éroder encore plus la position des États-Unis dans le monde.
  • Les Russes ont moins de cibles intéressantes à offrir aux Anglosionistes que les Américains. Pour le dire simplement, les Russes ont Tartous et Hmeimim. Les Américains ont une longue liste de bases et d’installations dans la région qui pourraient toutes devenir des cibles potentielles.
  • La volonté, le courage et la détermination des soldats russes sont plus forts que ceux de leurs homologues américains à de nombreux égards. Il y a beaucoup de raisons à cela, historiques comme politiques, mais je ne crois pas que quiconque doute du fait qu’alors que les Américains aiment tuer pour leur pays, ils sont beaucoup moins enthousiastes à l’idée de mourir pour lui, en particulier lorsque l’élément « pour lui » est très douteux et lorsque le soldat au front comprend qu’il est utilisé dans quelque jeu politique complexe qu’il ne comprend pas mais où il est définitivement utilisé comme chair à canon.
  • Le personnel et le matériel militaire russes sont mêlés aux forces syriennes. Nous savons que des spécialistes techniques, des conseillers militaires et des forces spéciales russes opèrent sur le terrain en Syrie. Cela signifie que les Russes peuvent probablement utiliser un S-300 syrien pour abattre un avion américain sans nécessairement fournir la preuve de leur implication aux États-Unis. Pour citer un vieux terme de la CIA, les Russes peuvent faire valoir un « déni plausible ».
  • Nous savons que la Russie a une capacité largement supérieure en termes de renseignement en Syrie, comme en témoigne le genre de dommages que les frappes aériennes et par missiles infligent à leurs cibles, en particulier si on les compare au manque péniblement évident de compréhension par les États-Unis de ce qui se passe réellement sur le terrain.

Donc qu’est-ce que tout cela ajoute ?

1) Déni plausible dans les airs

Tout d’abord, il est parfaitement clair que les Russes n’ont aucune intention de commencer une bataille à large échelle dans le ciel syrien avec leurs homologues américains. Le fait qu’une telle bataille ne serait pas dans leur intérêt ne signifie cependant pas qu’ils l’éviteraient nécessairement. Pour le moment, les Russes semblent avoir choisi une stratégie d’incertitude délibérée et de harcèlement de l’aviation américaine, mais ils pourraient décider de prendre des avions étasuniens en utilisant leurs batteries S-300/S-400 basées au sol. Voici comment ils pourraient faire.

Les Russes sont les seuls en Syrie à avoir des S-400. Mettons-les de côté pendant une minute et gardons-les pour des urgences sérieuses. Ensuite, jetons un œil sur l’inventaire de la défense aérienne syrienne trouvé sur Wikipédia. Notez en particulier celui-ci : le Pantsir-S1 (SA-22). Selon Wikipédia, il y a 50 SA-22 en Syrie. Avez-vous déjà entendu parler du Panstsir-S1 ? Probablement pas.

Oubliez les S-300/S-400, pensez Pantsir

Le Pantsir-S1 (autrement dit « SA-22 » dans la classification US/OTAN) est un système de défense aérienne absolument impressionnant, mais personne dans le grand public ou dans les siomédias ne le mentionne jamais. Jetons-y un coup d’œil :

Le Pantsir-S1 est un système de missiles sol-air mobile et d’artillerie anti-aérienne, à courte et moyenne portée, utilisant des radars à rayons progressifs pour atteindre et suivre des cibles. Portée de la détection : 32-45km. Portée du suivi : 24-28km (15-17mi). Il peut suivre jusqu’à 20 cibles, tout en lançant simultanément 3 à 4 missiles. Il a un système optoélectronique autonome secondaire avec une capacité d’engagement de 25 km contre un avion F-16 de petite taille. Les missiles du Pantsir sont des roquettes à combustible solide d’une portée de 20km, d’une limite de 15km et d’une vitesse de Mach 2.3-2.8. Le Pantsir a également deux doubles canons mitrailleurs tirant plus de 700 rafales d’explosifs à un débit de 2500 rafales par minute à une distance de plus de 4km. Maintenant voici l’aspect vraiment intéressant : tant les Russes que les Syriens manient ces système mobiles. Autrement dit, non seulement ces Pantsir pourraient être partout, mais ils pourraient être actionnés par n’importe qui. Eh, même les Iraniens en ont !

Si les Pantsir ont fière allure (pour moi, ils ressemblent à quelque chose sorti d’un film Terminator), ils sont encore plus dangereux qu’ils en ont l’air parce que s’ils sont capables d’opérations totalement autonomes, ils sont aussi conçus pour être branchés sur un réseau mondial via des données numériques cryptées qui leur permettent de recevoir les données de leur engagement à partir de plateformes terrestres et aériennes. Enfin, gardez à l’esprit que personne ne sait vraiment combien de Pantsir les Russes ont amenés avec eux en Syrie, combien les Syriens en manœuvrent, combien de Pantsir « syriens » sont manœuvrés par des Russes et connectés au réseau numérique russe de défense aérienne ou, d’ailleurs, combien de Pantsir syriens et iraniens pourraient être là-bas.

Qu’avons-nous donc ? Un système extrêmement mobile (monté sur un poids-lourd à mobilité élevée), facile à dissimuler (il est petit), qui peut frapper n’importe quelle cible volante à des altitudes allant de 0 mètres à 15 000 mètres et jusqu’à 20 000 mètres de distance. Pour ce faire, ils peuvent utiliser leur réseau passif électroniquement scanné (PESA), leur système optoélectronique autonome (AOS) ou même des données reçues d’autres radars incluant les S-300/S-400, Su-35 ou AWACS russes.

À l’origine et officiellement, les Pantsir russes sont exclusivement chargés de défendre les systèmes à longue portée S-300/S-400 et les installations russes à Hmeimim et Tartous. Mais ils pourraient en réalité être rapidement déployés partout et utilisés pour abattre des avions américains sans aucune preuve que ce sont les Russes qui l’ont fait ! Bien sûr, les Russes devraient être très prudents quant à la source qu’ils utiliseraient pour suivre un avion américain et fournir une solution d’engagement au missile du Pantsir. Pour autant que je sache, les missiles du Pantsir n’ont pas de système radar actif ou même semi-actif, mais leur AOS leur permet des engagements totalement muets/passifs. Cela dépend des capacités de renseignement dont disposent ou ne disposent pas les Américains au moment de l’attaque, ils pourraient n’avoir aucun moyen de prouver qui a abattu l’avion américain.

Le fait est que tandis que le monde se focalise sur les plus grandes capacités des S-300/S-400, les Russes ont déjà mis en place un système de défense aérienne à courte et moyenne portée beaucoup plus souple qu’il serait impossible de détruire avec des Tomahawks (puisqu’il est mobile) et très difficile à détruire avec des frappes aériennes. Ce système pourrait être déployé partout en Syrie et pourrait être utilisé tout en permettant aux Russes un « déni plausible ». Bien sûr, les États-Unis pourraient essayer de voler à l’extérieur de la portée de vol du Pantsir, mais cela rendrait l’utilisation de toute puissance aérienne très difficile. Une autre option pour les Américains serait de se baser uniquement sur leurs avions à faible RCS (B-1, B-2 pour les attaques et F-22s pour les protéger), mais cela réduirait énormément les capacités générales des CENTCOM/OTAN en Syrie.

Je conclurai cette partie en rappelant à tout le monde que ni les États-Unis ni aucun autre pays de l’OTAN n’a jamais eu à opérer dans un environnement aussi dangereux que le ciel syrien. Les pauvres Serbes n’avaient que d’anciens systèmes de défense aérienne et pourtant même contre eux l’OTAN a misérablement échoué. En Syrie, les défenses aériennes russes pourraient donner du fil à retordre aux Américains sans même utiliser un de leurs avions de supériorité aérienne (certes peu nombreux).

2) Déni plausible au sol

Quelqu’un a-t-il jamais envisagé que les Russes pourraient décider d’attaquer les forces américaines déployées au sol en Syrie (ou en Irak d’ailleurs) ? Apparemment pas, ne serait-ce que parce que la plupart des gens suppose que la force russe en Syrie est minuscule et donc ne peut pas attaquer des forces américaines beaucoup plus nombreuses et fortes. Mais exactement comme avec la guerre aérienne, c’est une supposition erronée fondée sur l’idée que les États-Unis sauraient qui attaque. En réalité, les Russes pourraient le faire en utilisant leurs forces spéciales (celles qui sont déjà déployées ou des forces amenées spécialement) pour attaquer des cibles américaines et garder une possibilité de déni plausible.

Comment ?

Voici ce que nous savons déjà.

Des opérateurs russes sont déjà déployés et actifs en Syrie :

D’abord le célèbre Spetsnaz ( Spetsnaz GRU Gsh). Ce sont des unités spéciales tirées du District militaire Sud ou, éventuellement, directement subordonnées au quartier général du Renseignement militaire (GRU) à Moscou. Contrairement aux forces du Spetsnaz GRU des brigades GRU des districts militaires, ces petits groupes (8 à 12 hommes) sont formés exclusivement d’officiers de carrière.

Ensuite, les Forces spéciales russes (SSO), une création relativement nouvelle à ne pas confondre avec le Spetsnaz GRU même si elles se ressemblent à de nombreux égards, sont aussi plus ou moins officiellement présentes en Syrie (les chaînes de télévision russes ont réalisé des reportages et des interviews avec elles). Elles sont subordonnées à l’état-major général des Forces armées. Voici une photo d’elles prise par un journaliste russe en Syrie :

Enfin, il y a des rapports sur une unité russe sans nom mais très secrète travaillant en Syrie (par exemple ici), mais ni Vympel ni Zaslon ne correspondent au profil (le premier dépend maintenant du FSB, c’est-à-dire s’occupe de questions de sécurité intérieure, tandis que le second est plus un service de protection pour les officiels, leurs résidences, et les civils russes à l’étranger). Je n’ai trouvé aucune information sur qui ils sont, mais je suppose qu’ils sont ce que Vympel était : des forces spéciales du Service de renseignement étranger (SVR) travaillant en étroite collaboration avec le réseau d’agents du SVR en Syrie.

Quoi qu’il en soit, les Russes ont déjà plus qu’assez de forces spéciales en Syrie pour commencer à attaquer des cibles américaines, en Syrie ou même ailleurs dans la région. Par exemple, pendant la bataille d’Alep, il y a eu de nombreux rapports sur des tireurs russes tuant les dirigeants de Daech les uns après les autres, décapitant presque tout leur commandement. Cela pourrait arriver à des officiers américains de haut rang sur le terrain en Syrie. Les forces spéciales pourraient également organiser des attaques de missiles « inexplicables » frappant les forces américaines. Mais l’aspect le plus important est que ces forces pourraient être utilisées dans le secret le plus total sans rien les identifiant comme Russes. Ils ressembleraient à des Arabes, parleraient comme des Arabes et auraient des identifiants arabes sur eux. Les Soviétiques ont utilisé exactement cette technique en Afghanistan pour renverser le président afghan Hafizullah Amin. De même, le président tchétchène Ramzan Kadyrov a admis ouvertement que des opérateurs tchétchènes ont été infiltrés dans la structure de commandement de Daech. Enfin, même si des « Russes » sont pris et identifiés d’une manière ou d’une autre, il y a environ 5000 citoyens russes de toute sorte de groupes ethniques (y compris des Slaves) qui luttent dans les rangs de Daech et il sera impossible de prouver que le combattant X ou le combattant Z sont des agents d’un service de renseignement russe.

En fin de compte, la Russie a aussi l’option des attaques terrestres contre les forces américaines avec une possibilité de déni plausible.

Donc pensez-y : des SAM russes tirant sur des avions américains dans les airs, et des forces spéciales russes tuant des officiers américains au sol. Et tout cela avec un déni plausible.

Pas encore convaincu ?

Un des nombreux usages du déni plausible, en particulier contre un ennemi qui ment systématiquement

Vous vous demandez peut-être à quel point un déni plausible est utile contre un pays qui invente toutes sortes d’histoires ridicules sur des pirates informatiques russes volant des élections ou des armées russes invisibles dans l’est de l’Ukraine. Et je suis d’accord, un pays qui dispose de 16 agences de renseignement et une longue histoire honteuse de maquillage des renseignements – oui, bien sûr, ils pourraient dire que « c’est les Russes qui l’ont fait » avec les siomédias qui le répètent encore et encore sans aucune preuve.

Mais il y a un autre côté à cette histoire : depuis que la machine de propagande américaine a inventé tant d’histoires sur les Serbes génocidaires, les Libyens violeurs shootés au Viagra, les Irakiens jetant les bébés, les Iraniens voulant la bombe atomique, les Syriens déversant des bombes barils et Dieu sait quoi encore – quelle sera leur crédibilité s’ils accusent les Russes de « cet acte barbare et sordide » (quel que soit l’acte, vraiment) ? Même alors que j’écris ceci, il y a des articles selon lesquels la Maison Blanche prépare déjà une nouvelle attaque sous fausse bannière en Syrie. Soyons honnêtes ici et acceptons qu’Oncle Sam ment chaque fois qu’il remue les lèvres et tandis que les siomédias décérébrés font semblant de prendre chaque mensonge au sérieux, le reste de la planète, y compris une bonne partie de la population américaine, ne se fait aucune illusion.

Maintenant imaginez un Pantsir-S1 manœuvré par une équipe russe en Syrie et abattant un avion américain ou des opérateurs russes faisant exploser une tente abritant le haut-commandement des forces américaines en Syrie. Non seulement il n’y aura aucune preuve que c’est les Russes qui l’ont fait, mais même s’il y en avait, personne ne ferait confiance aux Américains, de toute façon. En outre, cela soulève la question suivante : est-ce que ce serait vraiment dans l’intérêt des États-Unis de pointer le doigt sur les Russes ? Je dirais que non. Cela aurait plus de sens d’accuser les Syriens, puis de bombarder un édifice quelconque du gouvernement (disons le bâtiment du renseignement militaire dans le centre de Damas, probablement vide) et de déclarer qu’« un message a été envoyé », que de prendre le risque militaire et politique d’attaquer les forces russes en Syrie.

Les Américains pourraient-ils exercer des représailles en nature ?

Probablement pas. Souvenez-vous, ils n’ont pas les troupes au sol, ni les capacités de renseignement ou le soutien politique (intérieur et extérieur) pour s’en sortir. Non seulement cela, mais les forces spéciales américaines ont une longue histoire de bousiller même des opérations relativement simples et je ne les vois pas essayer de s’en sortir avec une attaque directe des forces russes à Hmeimim ou ailleurs. Au plus, ils feront ce qu’ils font presque toujours : sous-traiter la mission à des gens du pays, ce qui marche très bien contre des civils sans défense et se termine en désastre contre une cible vraiment « difficile ».

Les nombreux paradoxes de la guerre

D’abord, nous devrions toujours garder à l’esprit que toute action militaire n’est qu’un moyen en vue d’un objectif politique, la « continuation de la politique par d’autres moyens ». En raison de cette nature hautement politique, il y a des circonstances où être le côté plus faible peut comporter des avantages. La clé de la stratégie défensive du côté plus faible est de ne pas laisser le côté plus fort imposer le genre de guerre qui maximise ses avantages. Dans le cas de la Syrie, essayer de vaincre l’entier de l’armée de l’air du CENTCOM avec seulement quelques avions de combat serait tout simplement idiot. Et, puisque les États-Unis ont un immense avantage par le nombre de missiles de croisière qu’ils peuvent lancer, faire ce que les Serbes ont fait au Kosovo et ce que le Hezbollah a fait en 2006 contre Israël : ne pas leur offrir de cible. Dans le contexte syrien, cela signifie : n’utiliser que des systèmes de défense aérienne mobiles. Enfin, et ce n’est pas le moindre, frapper les Américains là où cela leur fait le plus mal : leur moral. Vous rappelez-vous comment ils devenaient fous lorsqu’ils ne pouvaient pas trouver qui les attaquait au Vietnam ?

Un éléphant dans un magasin de porcelaine est assurément une vision effrayante. Mais une fois que vous avez surmonté votre peur initiale, vous comprendrez bientôt qu’être un grand méchant éléphant vous rend difficile de prendre une décision intelligente. C’est exactement le problème des États-Unis, en particulier de leurs forces armées : elles sont si grandes et confiantes que presque chacun de leurs gestes manque de la prudence délicate imposée par la vie à un acteur beaucoup plus faible. C’est pourquoi ils finissent presque toujours par briser la boutique et paraître stupides. Ajoutez à cela un accent presque totalement mis sur la solution miracle à court terme et vous avez une recette pour le désastre.

Ces deux options pour une contre-attaque russe couvertes par le déni plausible ne sont que celles qui me sont venues à l’esprit. En réalité il y en a beaucoup plus, y compris beaucoup encore moins « visibles » que celles que j’ai suggérées. Mon objectif principal était d’illustrer qu’il n’y a absolument aucune raison pour que les Russes se comportent comme Omar Lamrani l’a suggéré dans son article franchement stupide. La vérité est que je n’ai absolument aucune idée de la manière dont les Russes pourraient répondre et c’est exactement ainsi que cela devrait être. Tout ce dont je suis sûr est qu’ils ne répondront pas comme Lamrani pense qu’ils feront, c’est tout.

Les gens les plus sages au Pentagone et, apparemment, sur le terrain s’efforcent d’éviter de s’empêtrer avec les Russes, non parce qu’ils craignent une réponse russe spécifique, mais parce qu’ils sont conscients d’affronter un acteur imprévisible et sophistiqué. La bonne nouvelle est que les Russes s’efforcent aussi d’éviter de s’embrouiller avec les Américains, en particulier si loin du pays, et se sentent au milieu d’une partie du monde complètement contrôlée par les CENTCOM/OTAN.

En conclusion, je ne mentionnerai qu’un petit échantillon de ce que je n’ai pas évoqué mais que les commandants américains devront prendre en considération avant de décider d’attaquer directement les forces russes : divers scénarios navals, en particulier ceux impliquant des sous-marins d’attaque diesel, les options russes pour se déployer en Iran, les choix de représailles russes sur d’autres théâtres d’opération comme l’Irak, le Pakistan et en particulier l’Afghanistan. En voici une bonne : le vrai cracking (« hacking » est le mauvais terme) de réseaux informatiques américains essentiels, y compris la publication d’informations potentiellement très embarrassantes (pensez-y comme à « WikiLeaks sous stéroïdes »). Enfin, s’ils étaient coincés, une option possible pour la Russie serait d’attirer les troupes, les ressources et l’énergie américaines hors de Syrie et vers une autre région vraiment critique pour les États-Unis. Pourquoi pas la Corée du Nord ?

Les choix sont infinis et les enjeux très élevés. Dans le monde rêvé de M. Lamrani, tout est simple et facile. Ce qui ne fait que prouver, encore une fois, que la guerre est une affaire trop sérieuse pour la confier aux civils.

The Saker

L’article original est paru sur Unz Review

 

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Catherine pour le Saker francophone

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