"Il n’y a pas si longtemps, les manuels affirmaient que l'état de l'économie d'un pays dépendait de la taille de sa dette extérieure. Plus le niveau de sa dette est élevé, pire est sa situation économique. En utilisant cette formule, le Royaume-Uni et de nombreux autres pays occidentaux devraient être déclarés en faillite : leur endettement est des dizaines de fois plus élevé que leurs réserves en monnaies internationales et autres actifs liquides..." Valentin Katasonov
Par Valentin Katasonov – Le 29 avril 2016 – Strategic Culture
La Banque mondiale a publié l’édition 2016 de sa brochure de Statistiques internationales de la dette. Le rapport recense 120 pays qui sont classés comme faibles ou à revenu intermédiaire (pays IMT) selon les critères de la Banque mondiale.
Des informations détaillées sont fournies sur la dette extérieure de chacun des 120 pays de l’IMT. En outre, ces informations sont souvent complétées par des données sur les investissements étrangers, ce qui a permis d’évaluer le rôle joué par les entrées de capitaux, sous forme de crédits et de prêts, dans les recettes cumulées des ressources financières de ces pays. Tous les états post-soviétiques sont inclus dans l’enquête.
La croissance de la dette extérieure parmi les plus grands bénéficiaires des prêts et crédits
Un total de $ 1.132 milliards de capital a été investi dans les pays de l’IMT en 2014, dont $667 milliards sous la forme d’investissements directs et de portefeuille et $464 milliards sous forme de prêts et de crédits. Il semble que 41% de toutes les entrées de capitaux dans les pays de la périphérie du capitalisme mondial, l’ont été sous forme de prêts.
Les principaux bénéficiaires de ces fonds ont été la Chine, le Brésil et l’Inde. En particulier, 51% de tout le capital reçu par ces 120 pays sous forme d’investissements directs et de portefeuille, est allé à un seul pays – la Chine. Près de 52% de toutes les entrées de capitaux sous forme de prêts sont allés à trois pays – la Chine, le Brésil et l’Inde.
Pour les pays de l’IMT ayant reçu des capitaux, les nouveaux prêts et crédits ont été l’explication de la croissance continue de leur dette extérieure. En 15 ans, la valeur absolue de la dette extérieure des 120 pays de l’IMT a fait un bond de 210%.
La Banque mondiale catégorise l’Ukraine comme un appendice colonial
La charge relative de la dette des pays de l’IMT, comme on le voit dans leurs prêts étrangers et leurs crédits venant de l’étranger en 2014, est bien meilleure qu’en 2000 et légèrement meilleure qu’en 2005. Par exemple, le ratio chinois de la dette extérieure rapporté aux exportations annuelles, était de seulement 34,8%, tandis que son ratio dette extérieure/revenu national brut était de 9,3%. Le ratio frais de service de la dette extérieure/exportations annuelles était de 1,9%, tandis que le ratio réserve en monnaies internationales/dette extérieure était 402,2%.
Mais de nombreux pays ont des chiffres bien au-dessous de la moyenne. Prenez l’Ukraine. Dans ce pays, le ratio dette extérieure/exportations annuelles est de 184,5%; son ratio dette extérieure/revenu national brut est de 100,3%; son ratio frais de service de la dette extérieure/exportations annuelles est de 25,2%; et son ratio de réserve en monnaies internationales/dette extérieure est de seulement 5,1%. Le fardeau de la dette ukrainienne est similaire à celui de nombreux pays sous-développés d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, qui sont souvent étiquetés comme des appendices coloniaux de l’Occident.
Il y a des raisons de croire que les chiffres de la dette des pays de l’IMT se sont détériorés depuis 2014. La plupart de ces pays se spécialisent dans l’exportation de leurs ressources naturelles, de leurs matières premières agricoles et de nourriture. Les prix de ces produits de base ont diminué sur le marché mondial en 2015. Les flux de capitaux ont fait marche arrière, se déplaçant depuis la périphérie vers le centre du système capitaliste mondial. En outre, les taux d’intérêt sont nettement plus élevés sur les crédits et les prêts. Comme le notent les experts, «les matières premières sont de moins en moins chères, mais l’argent devient de plus en plus cher». Enfin, la baisse des taux de change des monnaies de nombreux pays a entraîné une baisse du volume de leurs réserves internationales (résultant de la ruée des interventions monétaires massives destinées à soutenir le cours légal de leur monnaie). Selon les données provenant d’autres sources, en 2015, la valeur des réserves internationales détenues par les pays de l’IMT a dépassé leur dette extérieure.
La structure de la dette extérieure
La dette extérieure peut être classée comme étant à long terme ou à court terme. En 2000, près de 84% de la dette extérieure totale détenue par les pays de l’IMT est à long terme. Le pourcentage de la dette à long terme a diminué depuis 15 ans, mais il est encore le double de la dette à court terme.
À son tour, la dette extérieure à long terme peut être divisée en dette publique et dette privée. La dette extérieure du secteur public est constituée par les obligations que l’État doit rembourser, ainsi que par les garanties qui ont été émises. La dette du secteur public en pourcentage de la dette extérieure totale a diminué de façon constante. Actuellement les charges de la dette publique et privée sont comparables en taille. Regardons de plus près la structure de la dette du secteur public.
Tout d’abord, au sein de la structure de la dette publique, la proportion entre créanciers officiels et créanciers privés a considérablement évolué. En 2000, 61,5% des créanciers étaient des structures officielles et 38,5% des structures privées. Mais en 2014, la majeure partie du fardeau de la dette a été due à des créanciers privés (55%), avec les créanciers officiels arrivant derrière (à 45%).
Deuxièmement, de toutes les sommes empruntées aux créanciers officiels, le FMI n’est responsable que d’une part étonnamment modeste (en moyenne environ 10%).
Troisièmement, les prêts bancaires traditionnels sont encore le principal mécanisme utilisé par les pays de l’IMT pour se procurer des capitaux.
Une prospérité basée sur la dette
En quoi les chiffres de la dette dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire (IMT) ressemblent à ceux des pays économiquement développés ?
Au cours de la période 2010-2014, la dette extérieure brute des pays économiquement développés a augmenté de $6 mille milliards, soit 8,5%. Le rapport considère les 34 membres actuels de l’OCDE comme des pays économiquement développés. Cependant, les sept principaux pays (États-Unis, Canada, Japon, Royaume-Uni, Allemagne, France et Italie) cumulent environ 63% de la dette extérieure brute de l’ensemble des pays de l’OCDE. La plupart de cette dette extérieure brute est attribuable au secteur bancaire – viennent ensuite d’autres secteurs de l’économie, et enfin l’État. Le rapport affirme qu’au 31 décembre 2014, la dette extérieure publique totale se chiffrait à environ 16 mille milliards de dollars.
Ainsi, le crédit global est divisé entre les riches, les nations du premier monde (34 États), et les pays de la périphérie du capitalisme mondial (120 pays), et le contraste est violent. Le premier groupe doit $70 000 milliards de dette extérieure, alors que le deuxième groupe n’en doit que 5 400. Voilà une disparité de près de 1200 %. Une comparaison des charges relatives de la dette semble tout aussi dramatique. Selon les données de la Banque mondiale, le ratio de la dette extérieure brute des pays économiquement développés, par rapport à leur produit intérieur brut total (PIB), se situait à 140 % en 2014. C’est 530 % plus élevé que dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Le ratio moyen y est de 140 %. Au Canada, ce chiffre est de 83 %, en Allemagne et 145 % et au Royaume-Uni de 313 %.
Il n’y a pas si longtemps, les manuels d’économie affirmaient que l’état de l’économie d’un pays dépendait de la taille de sa dette extérieure. Plus le niveau de sa dette est élevée, pire est sa situation économique. En utilisant cette formule, le Royaume-Uni et de nombreux autres pays occidentaux devraient être déclarés en faillite : leur endettement est des dizaines de fois plus élevé que leurs réserves en monnaies internationales et autres actifs liquides. Toutefois, ces pays non seulement continuent d’exister, mais prospèrent. C’est une nouvelle forme de parasitisme financier provoqué par la dette, mais masqué par les évaluations des principales agences de notation occidentales.
Valentin Katasonov
Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone