Par Eric Margolis – Le 16 décembre 2017 – Source ericmargolis.com
Au moment où les États-Unis convulsent d’hystérie anti-russe et de diabolisation de Vladimir Poutine, un recueil de documents de la guerre froide récemment déclassifiés révèlent l’étendue stupéfiante des mensonges, de la duplicité et du double jeu pratiqués par les puissances occidentales lors de l’effondrement de l’Union soviétique en 1990.
Je couvrais Moscou ces jours-là et j’ai rencontré certains des acteurs essentiels dans ce drame sordide. Depuis, j’ai écrit que les États-Unis, la Grande-Bretagne et leur appendice, l’OTAN, ont scandaleusement menti et au dirigeant soviétique, Mikhail Gorbatchev, et au ministre des Affaires étrangères, Édouard Chevernadzé, et les ont trompés.
Toutes les puissances occidentales ont promis à Gorbatchev et à Chervernadzé que l’OTAN ne s’étendrait pas « d’un pouce » à l’est si Moscou retirait l’Armée rouge de l’Allemagne de l’Est et autorisait cette dernière à se réunir pacifiquement à l’Allemagne de l’Ouest. C’était une concession immense de Gorbatchev : elle a mené à un coup d’État manqué des communistes purs et durs contre lui, en 1991.
Les documents publiés par l’Université George Washington à Washington DC, que j’ai fréquentée pendant un semestre, sont d’une lecture écœurante (on peut les lire en ligne). Toutes les puissances et les hommes d’État occidentaux ont assuré les Russes que l’OTAN ne profiterait pas du retrait soviétique et qu’une nouvelle ère d’amitié et de coopération se lèverait sur l’Europe d’après la guerre froide. Le secrétaire d’État américain Jim Baker a offert des « garanties absolues » qu’il n’y aurait pas d’expansion de l’OTAN. Mensonges, que des mensonges.
Gorbatchev était un humaniste, un homme très correct et intelligent qui croyait pouvoir mettre fin à la guerre froide et à la course aux armes nucléaires. Il a ordonné à l’Armée rouge de se retirer d’Europe de l’Est. J’étais à Wunsdorf − en Allemagne de l’Est, quartier général du groupe des forces soviétiques en Allemagne − et au quartier de la Stasi, la police secrète, à Berlin-Est juste après que l’ordre de retrait a été donné. Les Soviétiques ont retiré leurs 338 000 soldats et leurs 4 200 chars et les ont envoyés chez eux à la vitesse de l’éclair.
Les promesses occidentales faites aux dirigeants soviétiques par le président George W. H. Bush et Jim Baker ont rapidement révélé leur vacuité. C’étaient des hommes honorables mais leurs successeurs ne l’étaient pas. Les présidents Bill Clinton et George W. Bush ont rapidement commencé à déplacer l’OTAN en Europe de l’Est, violant ainsi toutes les promesses faites à Moscou.
Les Polonais, les Hongrois et les Tchèques ont été intégrés à l’OTAN, puis la Roumanie et la Bulgarie, les États baltes, l’Albanie et le Monténégro. Washington a essayé de faire entrer les anciennes républiques soviétiques de Géorgie et d’Ukraine dans l’OTAN. Le gouvernement ukrainien aligné sur Moscou a été renversé par un coup d’État fomenté par les États-Unis. La route vers Moscou était ouverte.
Tout ce que les Russes désorientés et en faillite ont pu faire a été de dénoncer ces mouvements vers l’Est des États-Unis et de l’OTAN. La meilleure réponse que l’OTAN et les États-Unis ont apportée a été : « Eh bien, il n’y a pas eu de promesse écrite ». C’est digne d’un camelot qui vend des montres contrefaites dans la rue. Les dirigeants des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de la Belgique et de l’Italie ont tous menti. L’Allemagne était prise entre son honneur et sa réunification imminente. Donc même son chancelier Helmut Kohl a dû se rallier aux prévarications de l’Occident.
À l’époque, j’avais écrit que la meilleure solution serait la démilitarisation de l’ancienne Europe de l’Est sous contrôle soviétique. L’OTAN n’avait ni besoin ni raison de s’étendre à l’est. Le faire serait une provocation permanente à l’égard de la Russie, qui considérait l’Europe de l’Est comme un glacis défensif essentiel contre les invasions de l’Ouest.
Maintenant, avec les forces de l’OTAN sur ses frontières occidentales, les pires craintes de la Russie ont été réalisées.
Aujourd’hui, des avions militaires américains basés sur les côtes de Roumanie et de Bulgarie, des anciens membres du Pacte de Varsovie, sondent l’espace aérien russe au-dessus de la mer Noire et le port de Sébastopol, stratégiquement vital. Washington parle d’armer l’Ukraine plongée dans le chaos. Les troupes américaines et de l’OTAN sont dans les pays baltes, aux frontières nord-ouest de la Russie. Des Polonais d’extrême-droite battent les tambours de guerre contre la Russie.
En 1990, le KGB et la CIA s’étaient mis d’accord sur le principe de « pas un pouce » à l’est pour l’OTAN. L’ancien ambassadeur américain à Moscou, Jack Matlock, confirme le même accord. Gorbatchev, qui est dénoncé comme un idéaliste stupide par de nombreux Russes, a fait confiance aux puissances occidentales. Il aurait dû avoir un bataillon d’avocats marrons couvrant le district de New York pour prouver ses accords en 1990. Il a pensé qu’il avait à faire à des hommes honnêtes, honorables, comme lui.
Faut-il s’étonner si, après ce leurre et ce changement de diplomatie, la Russie ne fait pas confiance aux puissances occidentales ? Moscou observe que l’OTAN dirigée par les États-Unis s’insinue toujours vers l’est. Aujourd’hui, les dirigeants russes croient fermement que le dernier plan de Washington est de mettre en pièces la Russie et de la réduire à un pays impuissant et pauvre. Deux anciens dirigeants occidentaux, Napoléon et Hitler, ont eu des plans semblables.
Au lieu de gloser sur la duplicité d’Hitler après Munich, nous devrions regarder notre propre comportement éhonté après 1990.
Eric Margolis
Eric S. Margolis est un chroniqueur primé internationalement. Ses articles sont parus dans le New York Times, l’International Herald Tribune, le Los Angeles Times, Times of London, le Gulf Times, le Khaleej Times, Nation (Pakistan), Hurriyet (Turquie), le Sun Times de Malaisie, et d’autres sites d’information en Asie.
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone
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