Caché à la vue de tous à Belgrade


Par Vladimir Goldstein – Le 3 août 2018 – Source Off Guardian

Les deux églises – Photo Vladimir Goldstein

Juste en face de mon immeuble, caché derrière de hauts bâtiments de bureaux, se trouve la grande église Saint Marc. Et cachée à l’ombre de Saint Marc, il y a une petite église orthodoxe russe. L’église de la Sainte Trinité, connue simplement comme l’église russe, est célèbre pour contenir les restes du baron Piotr Nicolaïevitch Wrangel, le chef des Blancs dans la guerre civile russe. Elle est difficile à trouver, mais heureusement, un ami m’y a emmené.

Comme nous regardions autour de l’église, pas particulièrement intéressés par Wrangel, un couple de Russes m’a demandé de le photographier devant sa tombe. Alors que j’essayais de trouver un bon angle pour la photo, j’ai remarqué une petite plaque sur un mur à proximité. Elle portait la liste des noms des Russes morts en combattant pour les Serbes yougoslaves pendant le conflit avec les Albanais séparatistes du Kosovo puis le bombardement de la Yougoslavie par l’OTAN, en 1999.

En quittant l’église, nous avons pris un petit chemin vers le haut du parc. Là, nous avons observé un autre signe brutal de cette guerre : un bâtiment détruit près de la tour de la télévision. Il portait également une plaque. Elle criait : « Zachto » (Pourquoi ?). En dessous, se trouvaient les noms de tous les gens de la télévision tués lors de cette attaque. En tout, jusqu’à 2500 civils auraient été tués par l’OTAN, selon le gouvernement yougoslave de l’époque, même si on ne connaîtra peut-être jamais leur nombre.

D’une part, la question Zachto est à la fois oiseuse et provocatrice. Elle ravive les blessures et signifie un refus d’oublier et de repartir de zéro. D’autre part, il est à l’évidence nécessaire de trouver une réponse à cette question, simplement pour prévenir les destructions futures et les meurtres absurdes.

Nous ne trouverons pas de réponses à cette question dans les récits officiels qui nous racontent que la noble administration Clinton a décidé de mettre fin aux violations flagrantes des droits de l’homme dans la situation extrêmement complexe qui régnait dans la province yougoslave du Kosovo en bombardant les Serbes pour qu’ils respectent les minorités sur leurs propres territoires et sur les territoires voisins. (En fait, le grand exode des Albanais vers l’Albanie proprement dite n’a commencé qu’après que les bombes de l’OTAN ont commencé à tomber.)

Tester les limites

Une image beaucoup plus triste émerge derrière ces histoires officielles. Pourquoi ces gens sont-ils morts ? Pourquoi cette opération de l’OTAN s’est-elle déroulée sans autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies et sans preuve de légitime défense, comme l’exige la Charte de l’ONU ? Était-ce pour satisfaire la soif de pouvoir des dirigeants des États-Unis et de l’OTAN, des interventionnistes libéraux comme Madeleine Albright, Bill Clinton et Susan Rice? Pour apaiser la culpabilité de l’administration pour son échec à répondre au génocide au Rwanda de 1994 ? Était-ce pour installer la plus grande base militaire américaine en Europe depuis la guerre du Vietnam, le Camp Bondsteel, au Kosovo ? Pour que les Américains aient accès aux vastes richesses minières du Kosovo et à d’autres occasions de faire des affaires, y compris pour Mme Albright? Ou était-ce pour tuer une expérience yougoslave, finalement assez réussie, de « troisième voie » entre l’Ouest et l’Union soviétique ?

Il semble que ces gens aient dû mourir pour toutes ces raisons et pour la mise en pratique des doctrines de la « responsabilité de protéger » (R2P) et de la suprématie totale, ou full spectrum dominance, doctrines concoctées par les interventionnistes libéraux et les néocons à Washington. Ceux qui sont morts étaient essentiellement les cobayes d’une expérience du Nouvel Ordre Mondial, dans le but de voir jusqu’où le monde pourrait être poussé à pratiquer la R2P, une politique qui pourrait être utilisée pour masquer des ambitions impériales.

Et ça a marché. La Yougoslavie a été incapable de résister à la puissance de l’OTAN opérant hors du mandat de sa charte obsolète : défendre l’Europe occidentale contre une supposée menace soviétique. En effet, on pourrait soutenir qu’avec la fin de la guerre froide, un autre motif pour attaquer la Yougoslavie était de fournir à l’OTAN une justification de son existence. (Elle irait plus tard encore plus loin en dehors de son théâtre légal d’intervention, en Afghanistan puis en Libye.)

La Russie n’a pas pu faire grand-chose pour aider les Serbes. Ensuite l’ambassade de Chine a également été touchée, un test semble-t-il, bien que le The New York Times ait écrit que c’était une erreur. Les Chinois n’ont rien fait.

C’est ainsi que la R2P a été mise en œuvre — sans protection pour les Serbes yougoslaves. Ils ont dû mourir dans l’expérience visant à explorer les limites de la puissance des États-Unis et les limites de leur résistance.

Vladimir Golstein, ancien professeur associé à l’université de Yale, il dirige le  Department of Slavic Studies at Brown University et est un commentateur sur les affaires russes.

L’article original a été publié par Consortium News

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Diane pour le Saker francophone

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