Blockchain et énergie : nous avons tamisé la réalité que vous ne percevez pas


Par Varun Sivaram – Le 30 juillet 2018 – Source Council on Foreign Relation

Illustration du concept de smart city iStock/Getty Images

Les systèmes d’approvisionnement en énergie électrique dans le monde évoluent rapidement. Depuis plus d’un siècle, ces systèmes reposent en grande partie sur des centrales à combustible fossile centralisées pour générer de l’électricité et des réseaux tentaculaires pour en fournir aux utilisateurs finaux. Les services publics avaient un objectif simple : fournir de l’électricité avec une grande fiabilité et à faible coût. Mais maintenant, les gouvernements ont de nouvelles ambitions pour ces systèmes d’énergie électrique. Beaucoup exigent que ces systèmes dépendent fortement de l’énergie éolienne et solaire intermittente ; plusieurs visent également une part élevée de véhicules électriques (VE), qui peuvent solliciter les réseaux. Pour compliquer davantage la situation, les clients installent leur propre équipement, depuis les panneaux solaires jusqu’aux batteries et aux appareils intelligents, pour contrôler leur production et leur consommation d’électricité.

Alors que les services publics luttent pour maintenir un service fiable, atteindre de nouveaux objectifs stratégiques et faire face à la complexité croissante, des innovateurs colportent une solution présumée : la technologie blockchain. Les partisans de la technologie blockchain assimilent son potentiel à celui d’Internet il y a trois décennies. En 2017, les start-ups ont levé plus de 300 millions de dollars pour appliquer la technologie blockchain au secteur de l’énergie. Mais jusqu’à présent, peu de ce potentiel a été réalisé.

Notre nouveau document de discussion vise à ajouter un peu d’ordre au chaos de l’engouement autour de la technologie du blockchain. Nous avons rassemblé le plus grand ensemble de données publiquement disponibles sur les initiatives qui appliquent la blockchain au secteur de l’énergie électrique. Nous avons interviewé des douzaines de startups, d’associations à but non lucratif et d’entreprises établies. Et nous avons plongé dans trois études de cas de startups de premier plan avec des projets pilotes sur plusieurs continents.

Geographic Distribution of Blockchain Initiatives in the Electric Power Sector

Répartition géographique des initiatives de blockchain dans le secteur de l’énergie électrique

Nous avons dû passer au crible beaucoup de battage médiatique, mais nous avons finalement conclu que la blockchain pouvait jouer un rôle important dans la gestion de systèmes électriques de plus en plus complexes, grâce à sa capacité à permettre des transactions rapides, transparentes et sécurisées (de toutes sortes – pas seulement les transactions de crypto-monnaies comme Bitcoin). Aujourd’hui, la plupart des entreprises de blockchain visent à remplacer le système d’alimentation centralisé actuel par des échanges d’énergie décentralisés entre pairs, permettant par exemple aux propriétaires de systèmes photovoltaïques solaires sur leur toit de commercer entre eux dans une configuration en micro-réseau. Mais ce n’est certainement pas l’application que nous avons trouvée la plus convaincante.

Catégories d’applications Blockchain au secteur de l’énergie électrique

Nous avons plutôt déterminé que les entreprises les plus susceptibles d’obtenir une traction commerciale au cours des prochaines années travailleront en grande partie dans le cadre du système existant et s’associeront aux acteurs de ces réseaux, comme les services publics. Dans l’ensemble, les applications que nous avons découvertes appartenaient aux cinq grandes catégories suivantes :

Blockchain Initiatives in the Electric Power Sector, by Category of Application

Initiatives de blockchain dans le secteur de l’énergie électrique, par catégorie d’application

Marchés de négociation de l’électricité : Bien que l’application originale de la chaîne de blocs ait été de faciliter le commerce des cryptomonnaies, la technologie peut également être utilisée pour faciliter le commerce de l’électricité. Dans cette catégorie, deux camps ont vu le jour : certaines initiatives visent à utiliser la chaîne de blocs pour ré-imaginer fondamentalement le système électrique existant, tandis que d’autres cherchent à l’améliorer progressivement.

Transactions Peer-to-Peer : Les applications Peer-to-Peer sont peut-être le moyen le plus intuitif d’intégrer la technologie Blockchain, qui a été présentée comme un moyen de permettre des transferts d’informations peer-to-peer sans avoir besoin d’une autorité centrale. Des startups ambitieuses ont lancé des initiatives blockchain visant à révolutionner fondamentalement les mécanismes du secteur de l’énergie électrique en créant un registre transparent et immuable permettant de réaliser des transactions virtuelles et permettant aux particuliers ou aux entreprises de vendre de l’électricité générée par des batteries ou des panneaux solaires. Même s’il s’agit de l’application la plus populaire, nous nous attendons à ce qu’elle soit parmi les moins réussies, car elle vise à renverser les systèmes d’alimentation électrique centralisés plutôt que de gérer la complexité de ces systèmes de façon nouvelle et précieuse.

Transactions sur le réseau : Une série d’autres applications de négociation de l’électricité liées au négoce de l’électricité dans le système électrique existant sont plus susceptibles de gagner en popularité commerciale et d’être soutenues par les services publics en place et les autorités de réglementation. Il s’agit notamment de projets visant à réformer les marchés existants de l’électricité en gros en aidant à valider les transactions plus rapidement et à moindre coût, et à étayer de nouveaux marchés pour les ressources énergétiques distribuées comme « centrales électriques virtuelles ». Ces transactions à grande échelle autour du réseau dans lequel il reste intègre, même si sa forme et sa fonction changent sensiblement, seront probablement plus significatives pour l’avenir du secteur de l’énergie électrique et sa complexité toujours croissante.

Financement de l’énergie : Certaines startup ont proposé des applications pour blockchain qui impliquent l’utilisation de crypto-monnaies pour lever des fonds pour des projets énergétiques, principalement dans le domaine de l’énergie propre. Les réseaux de blockchain peuvent faciliter la levée de fonds pour les projets d’énergie renouvelable en élargissant le bassin d’investisseurs potentiels. Cependant, il n’est pas clair si un tel réseau décentralisé est effectivement nécessaire pour fournir les fonds nécessaires à la production d’énergie renouvelable pour se développer rapidement.

Attribution de durabilité: L’une des applications les plus immédiates de la blockchain au secteur électrique est son utilisation pour enregistrer et échanger les attributs de la durabilité, y compris si une unité d’électricité est renouvelable et combien d’émissions résultent de sa production. Cela pourrait aider à réduire les frictions, la fraude et les erreurs tout en élargissant la taille des marchés commerciaux régionaux pour des attributs tels que les crédits d’énergie renouvelable ou les crédits de compensation carbone. Si ces projets peuvent être intensifiés, les gouvernements pourraient devenir mieux équipés pour réguler les émissions de carbone et encourager le déploiement des énergies renouvelables.

Véhicules électriques : La popularité croissante des véhicules électriques (VE) est en train de brouiller la frontière entre les secteurs de l’énergie électrique et des transports. Cependant, les véhicules électriques font toujours face à des obstacles importants pour leur adoption par des clients, y compris la rareté et la complexité de l’infrastructure de recharge publique. Les réseaux de blockchain qui permettent aux propriétaires privés d’infrastructures de recharge de vendre des services de recharge, et les initiatives qui aident à rationaliser et à réduire les coûts de facturation, pourraient permettre une plus grande adoption des VE. En outre, des contrats intelligents pourraient également permettre aux VE de charger ou de décharger en fonction des besoins du réseau électrique, ce qui permettrait aux véhicules d’agir comme des batteries mobiles et d’aider à stabiliser le réseau.

Autres : D’autres applications de la technologie blockchain ont inclus des efforts pour gérer une gamme d’appareils connectés au réseau Internet pour aider à équilibrer la charge sur le réseau pendant les périodes de pointe. Certains services publics cherchent à utiliser des réseaux blockchain pour mieux gérer leurs infrastructures de réseau. Les initiatives réglementaires visent à permettre des transactions rapides et transparentes entre les clients et les détaillants d’électricité de leur choix. Enfin, d’autres initiatives ont cherché à appliquer la technologie blockchain pour améliorer la cybersécurité des systèmes d’énergie électrique.

Nous avons conclu le document avec des recommandations sur la politique à mener. Étant donné que le secteur de l’électricité est fortement réglementé, les décideurs joueront un rôle crucial dans la détermination du potentiel de la blockchain. Malheureusement, la blockchain est un concept étranger pour de nombreux décideurs du secteur de l’électricité. Investir dans la compréhension de la technologie et de ses applications est donc un premier pas important vers la création d’une réglementation efficace. Les décideurs devraient également soutenir le développement de normes techniques et devraient permettre aux entreprises de blockchain de mettre en place des projets de démonstration à petite échelle dans des espaces réglementaires.

Lisez le nouveau document de discussion de CFR, « Application de la technologie Blockchain au secteur de l’énergie électrique », par David Livingston, Varun Sivaram, Madison Freeman et Maximilian Fiege.

Varun Sivaram

Cet article de blog est co-écrit par Varun Sivaram et Madison Freeman, chercheur associé pour l’énergie et la politique étrangère américaine au Council on Foreign Relations, et a été adapté d’un nouveau document de discussion du programme sur la sécurité énergétique et le changement climatique : « Application de la technologie Blockchain au secteur de l’énergie électrique », par David Livingston, Varun Sivaram, Madison Freeman et Maximilian Fiege.

Note du Saker Francophone

Sans surprise, le CFR pousse à garder voire améliorer le centralisme existant (pour un Nouveau Réseau Mondial ?) et pas une decentralisation où les acteurs seraient souverains dans leurs décisions. Reste que la blockchain, si elle pouvait échapper aux oligarchies financières, pourrait effectivement permettre le développement du localisme... une arme à double tranchant.

Traduit par Hervé, relu par Cat pour le Saker Francophone

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