À bas les classes laborieuses !


Par C.J. Hopkins – Le 1er octobre 2018 – Source Off Guardian

Tout le pouvoir à ceux qui en détiennent déjà la plus grande partie ! (image source : odysseyonline.com)

 

Si la Gauche doit s’unir un jour pour sauver le monde de Donald Trump et de ses légions de Poutine-nazis, nous allons devoir affronter notre principal ennemi… les classes ouvrières internationales. Oui, mes camarades, je crains qu’il ne soit temps de regarder les faits en face, si déprimants soient-ils. Les classes laborieuses ne sont pas nos amies. Regardez comment elles nous trahissent et après tout ce que nous avons fait pour elles toutes ces années ! On ne peut permettre que cela continue, pas si nous voulons sauver la démocratie de griffes de Trump, Poutine, Assad, des Iraniens et des enfants palestiniens avec des cerfs-volants terroristes, et finalement endiguer la marée sanglante du néo-fascisme et de l’anti-globalisme !

Maintenant, d’accord, je sais que vous êtes probablement en train de vous demander : « Comment est-ce possible que les classes laborieuses internationales puissent être l’ennemi de la Gauche ? » et « Cela ne rendrait-il pas tout le concept de la Gauche totalement et fondamentalement absurde ? » et autres questions pertinentes. Et c’est tout à fait juste, vous avez le droit de vous les poser. Remettre en question certains aspects de la narration officielle à laquelle les classes dirigeantes contraignent tout le monde de se conformer comme si elles  étaient membres d’une secte mondiale ne fait pas de vous un nazi ou quoi que ce soit d’autre. Il est parfaitement normal de poser ces questions, tant que vous ne les posez pas sans arrêt, encore et encore, et une fois de plus, alors qu’on vous a déjà expliqué les faits. Alors voici ces faits, expliqués une fois de plus.

Les classes populaires internationales sont racistes. Elles sont misogynes. Des transphobes xénophobes. Elles ne pensent pas comme nous le voudrions. Certains croient encore en Dieu. Ce sont des suprématistes blancs. Antisémites. Des péquenauds armés, des rednecks brandissant le drapeau confédéré. La plupart d’entre eux n’ont même jamais entendu parler de termes comme « intersectionnalité », « TERF » [Trans-Exclusionary Radical Feminist, une tendance féministe qui affirme que les femmes transgenres ne sont pas vraiment des femmes, car le déterminisme biologique est une idée fausse, NdT]. Ils ne respectent pas les médias institutionnels. Ils pensent que les sources d’information comme le Washington Post, The New York Times, The Guardian, CNN, MSNBC, BBC, etc. sont fondamentalement des organes de propagande pour les multinationales et les oligarques qui les possèdent et ne sont donc finalement pas différentes de FOX, dont ils croient chaque mot des éditorialistes.

Leurs esprits sont tellement tordus par le racisme et la xénophobie qu’ils ne peuvent comprendre comment le capitalisme mondial, l’élimination progressive de la souveraineté nationale, la privatisation de presque tout, l’esclavage par la dette de presque tout le monde et le remplacement de leurs prétendues « cultures » par un semblant de culture à la sauce Disney, omniprésente ; au visage souriant ; sexuellement neutre ; non oppressive ; favorable aux entreprises, sont autant d’étapes sur le chemin menant à un monde plus pacifique, moins agressif.

Tout cela a été prouvé dans de nombreuses études avec toutes sortes de tableaux et de graphiques, et ainsi de suite. Et pas seulement par les statisticiens d’entreprise et par les médias dominants, et les think tanks libéraux. C’est pourquoi, cette semaine, Mehdi Hasan, dans une jérémiade exaspérée dans les pages de The Intercept, ce bastion du journalisme intrépide et combattif propriété du milliardaire Pierre Omidyar, a-t-il prouvé, une fois de plus, que Donald Trump a été élu parce que LES GENS SONT DES FICHUS RACISTES !

Apparemment, Hasan en a eu juste marre que ces apologistes de Trump qui aiment Poutine suggèrent que l’insatisfaction générale à l’égard du capitalisme mondial, du néolibéralisme et de la politique identitaire puisse avoir eu quoique ce soit à voir avec l’élection par les Américains d’un clown pompeux sans aucune expérience politique au plus haut poste du pays. Hasan cite un grand nombre d’études d’experts, parmi elles celle réalisée par le Fonds pour la démocratie, qui se trouve être un autre avatar d’Omidyar. Mais ne devenons pas tous paranoïaques ou autre. Il existe littéralement des centaines d’études de ce genre à ce sujet, dont chacune a été citée par les médias grand public, les médias alternatifs, les médias extrêmes-alternatifs et pratiquement tous les fous obsédés par Trump disposant d’un blog ou d’un compte Facebook ou Twitter.

Voyez, je comprends que la vérité soit pénible, mais la science statistique ne laisse aucune place au doute. Même si certains d’entre nous veulent le nier, le fait est que le pays qui a élu Barack Obama (qui est noir) deux fois président, a été transformé, par le lavage de cerveau d’agents de Poutine, en un cloaque de xénophobie et de racisme, et c’est à nous, les gens de gauche, de remettre les choses sur la bonne voie !

Maintenant, pour y parvenir, nous devons unir la Gauche, et faire en sorte que tout le monde marche ensemble, et ainsi de suite. Ce qui signifie que nous devons identifier et éliminer tous les faux gens de gauche parmi nous. Ensuite, et ensuite seulement (c’est-à-dire après avoir traqué, dénoncé moralement et exilé tous les infiltrés néo-strasseristes [le strassérisme est un courant du nazisme, NdT] de l’« alt-right », les gauchistes de Sputnik et les apologistes d’Assad), que nous pourrons nous tourner vers une rencontre face à face avec les classes laborieuses internationales et les dénoncer moralement comme une bande de sales racistes.

D’accord, ça a l’air un peu dur, et peut-être totalement idiot, mais quel autre choix avons-nous vraiment ? Si nous voulons vaincre ces nazis pro-Poutine, il faudra bien casser quelques œufs. Ce n’est pas le moment d’abandonner notre engagement d’imposer notre idéologie basée sur l’identité à toute personne vivant sur la planète Terre ni de tomber dans ce genre de gauchisme démodé fondé sur ce que veut la classe ouvrière. Qui se soucie de ce que veulent les classes populaires ? Ce qui est important, c’est ce que nous voulons qu’elles veuillent. Ce ne sont pas les années 1990, après tout. Toute cette absurdité sur la mondialisation et les entités supranationales comme l’OMC et la Banque mondiale, sans parler des « emplois américains »… Seuls les fascistes parlent comme ça de nos jours !

Mais sérieusement… Si vous êtes arrivé aussi loin dans mon article, et si vous vous considérez comme étant de gauche, d’une certaine manière, vous êtes probablement extrêmement frustré parce qui se passe pour la Gauche ces jours-ci, et par la façon dont les classes laborieuses se tournent vers la Droite, aux États-Unis comme dans le monde entier. Si j’ai bien compris, vous voulez peut-être lire cet article de Diana Johnstone (que nous les gens de gauche ne sommes techniquement pas autorisés à lire, parce qu’il est publié à l’origine dans The Unz Review, où une quantité d’articles « alt-right » sont également publiés… et que vous ne voulez pas vous farcir ce genre de truc !).

Ce dont elle parle, c’est de l’insurrection « populiste » en cours contre le capitalisme mondialisé, et c’est aussi ce dont j’ai parlé la plus grande partie de ces deux dernières années. C’est le moment historique que nous vivons, un soulèvement démocratique maladroit, bâclé, en partie fasciste, en partie non fasciste, contre la diffusion permanente du capitalisme mondial, l’érosion de ce qui reste de souveraineté nationale et… oui, les cultures et les valeurs des peuples.

La classe ouvrière internationale le comprend. La Droite néo-nationaliste le comprend. La majorité de la Gauche ne le comprend pas et refuse d’admettre ce qui se passe et donc elle reste sur la touche en traitant tout le monde de « racistes » et de « fascistes » tandis que les classes dirigeantes capitalistes mondiales et les néo-nationalistes règlent les choses.

C’est exactement ce que les classes dirigeantes veulent et ce que le récit officiel sur Poutine-nazi a été censé réaliser depuis le début. La « fenêtre d’Overton » (c’est-à-dire l’éventail d’idées tolérées dans le discours public) fonctionne mieux lorsqu’elle est divisée en deux moitiés claires. Pendant la prétendue « Guerre contre la terreur », c’était la démocratie contre les terroristes islamiques. Aujourd’hui, c’est la démocratie contre les Poutine-nazis. Les deux récits sont des contes de fée, bien entendu, la réalité, comme toujours, étant plus compliquée.

Si ce qui reste de la Gauche s’attend à jouer un rôle important dans notre moment historique (autre que celui de pom-pom girl moralisatrice pour les classes dirigeantes capitalistes), elle va avoir besoin de se salir un peu plus les mains, de se mêler un peu plus à toute cette classe ouvrière « populiste », leur parler et, je ne sais pas, peut-être même les écouter.

Ou peut-être que je suis totalement à côté… Je veux dire : écouter vraiment ceux de la classe ouvrière ? Certains vont sûrement dire des choses racistes, antisémites et transphobes, que nous ne pouvons pas ignorer ne serait-ce qu’une seconde, ou même discuter rationnellement et être en désaccord avec eux parce que cela signifierait leur donner une plateforme. Ouais, écrase, je ne sais pas à quoi je pensais… Oubliez tout ce que je viens de vous faire lire. À bas la classe ouvrière fasciste !

C.J. Hopkins

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Diane pour le Saker francophone

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