2014: Le front Chine – Russie
Nouvel ADN pour l’humanité?
Quatrième partie: Politique et alliances

Février 2015 – UN LIVRE BLANC de Vineyard of the Saker

Note du Saker Francophone

Compte tenu de l’importance de ce document, de par son intérêt et son ampleur, j’ai décidé de le fractionner en plusieurs articles:

1. Le contexte – La Chine et la nouvelle donne en Ukraine
2. Les hélices – Ressources de base, technologies militaires
3. Les hélices – Ressources Financières, autres technologies
4. Politique et alliances
5. L’avenir et les états voisins

Quatrième partie: Politique et allianceS régionales

Sécurité eurasienne et Organisation de Shanghai

À peine connue du grand public, l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) est en voie de devenir l’organisation eurasienne clé à travers laquelle l’Inde, le Pakistan, la Chine, la Russie, l’Iran et le Vietnam verront leurs intérêts nationaux particuliers pris en considération dans un cadre de coopération. Unis sur le plan du développement économique au sein de la Ceinture économique eurasienne, ces pays voient les questions de sécurité touchant au terrorisme, au séparatisme et au trafic criminel de drogues et de personnes traitées au sein de l’OCS. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une alliance militaire, elle donne lieu à des exercices militaires et policiers conjoints dans un ensemble de secteurs intéressants.

En définitive, l’OSC sert de barrière défensive contre les tentatives de déstabilisation par alliés interposés (pensez à l’ISIS, aux talibans, à Al-Qaïda, au Mouvement islamique du Turkestan oriental, aux PKK et PUK kurdes) qui pourraient être montées contre un ou plusieurs des États membres. Si la Turquie devait finalement se joindre à l’OCS, de concert avec l’Iran, l’action de l’OTAN à l’endroit des États membres s’en trouverait neutralisée. C’est là la marche des événements prévue. Mais il faudra du temps. L’Inde et le Pakistan devraient devenir membres à part entière en 2015, et avec l’arrivée ultérieure de l’Iran et de la Turquie, l’OCS deviendra un poids lourd dont les membres poursuivront les mêmes objectifs, quelles que soient leurs différences d’ordre culturel ou idéologique.

Il existe un outil de déstabilisation dont on ne parle généralement pas et qui a pour nom le terrorisme islamique. Il se manifeste dans des conflits ouverts d’inspiration wahhabite (Al-Qaïda, ISIS, talibans, etc.) et dans des programmes séparatistes plus clandestins touchant les deux nations (et, dans le cas de la Russie, chez ses alliés et clients du Moyen-Orient, qui sont justement des partenaires d’investissements de la Chine dans des projets pétroliers et d’infrastructure). La Chine est vulnérable aux tentatives de déstabilisation au Xinjiang, au Tibet, à Taïwan, à Hong Kong et peut-être aussi en Mongolie intérieure. Des tentatives qui risquent toutefois peu de prendre des proportions alarmantes tant que la Chine jouira d’une économie dynamique. Les ventres pleins et les portefeuilles bien remplis n’arment pas les rébellions.

Il y a encore deux ans, le Xinjiang était généralement si paisible que les forces de sécurité de la province (région autonome) étaient des policiers non armés. Jusqu’à ce que plusieurs de ces policiers et des civils soient poignardés à mort par des terroristes et des séparatistes formés au Pakistan par des membres d’Al-Qaïda et par les talibans, les autorités chinoises n’avaient jamais eu recours à la répression ou à des tactiques brutales. Maintenant que les terroristes sont formés en Syrie par des branches de fanatiques wahhabites, le gouvernement fait appel aux militaires de l’Armée populaire de libération et à des équipes policières spécialement formées, en plus d’imposer un régime de contrôle dans différentes parties du Xinjiang.

Contre les terroristes, les Chinois appliquent les mêmes tactiques que le président Kadyrov de la République de Tchétchénie. Ils les tuent à vue et en grand nombre chaque fois qu’ils le peuvent. Ceux qui subissent un procès sont condamnés à mort s’ils sont jugés violents ou s’il est établi qu’il s’agit de conspirateurs.

À l’essor de l’Eurasie s’opposent des forces ethniques, tribales, islamiques et criminelles profondément enracinées, que la Chine devra affronter dans sa lancée vers l’Asie centrale et à mesure qu’elle travaillera en partenariat avec l’Afghanistan et le Pakistan. Ce qui reste de la présence américaine et de l’OTAN, ainsi que leurs alliés rémunérés en Ouzbékistan et au Tadjikistan, pourraient susciter des problèmes de sécurité. Al-Qaïda et l’ISIS, les talibans et autres groupes turcs sont tous au service des organismes de renseignements occidentaux. La Nouvelle route de la soie ne se laissera pas parcourir sans heurt, comme son nom pourrait le laisser entendre.

Une alliance militaire à vocation régionale

Essentiellement, la double hélice n’est pas une alliance militaire mondiale. Les deux nations s’abstiennent de former des alliances militaires autres que régionales. Toutefois, la mise à l’essai des liens de la double hélice devait permettre de déterminer les affinités militaires, sans quoi il serait impossible d’émousser et de détourner la menace existentielle. Les militaires des deux nations devaient pouvoir imaginer une structure et un dispositif de protection des forces permettant, au besoin, l’intégration de leurs systèmes de défense, de renseignements, de communications et de commandement.

Parvenir à un pareil degré d’unité aurait pu prendre des années, mais la Chine et le Russie n’avaient pas de temps à perdre. Et comme une alliance superficielle était à exclure, les deux nations se devaient d’autoriser un partage en profondeur. Il aurait pu y avoir des difficultés, compte de leur langue respective, si différentes l’une de l’autre. Elles ont su surmonter toutes les difficultés par nécessité et grâce à leurs leaders respectifs. Les présidents Poutine et Xi avaient des besoins identiques. Dans un cas comme dans l’autre, leur nation était victime d’un endiguement par une puissance hégémonique et ses alliés, qui les menaçaient avec un éventail complet de plateformes et de systèmes, et ce, sept jours sur sept, vingt-quatre heures par jour et quel que soit le temps ou les phases de la lune.

Même si les échanges commerciaux internationaux quotidiens avec la Puissance hégémonique et ses investissements directs atténuaient en apparence la gravité de la menace, le fait était que la Puissance commençait à manquer de temps. La Chine et la Russie s’enrichissaient, alors qu’elle s’appauvrissait, et la Chine et la Russie prenaient leur essor, alors que la Puissance hégémonique voyait son économie, autrefois puissante, se flétrir du fait de guerres sans fin, de sa dette, du gaspillage et de pratiques corrompues.

Shoïgu et Li

La Chine et la Russie ont programmé des rencontres aux échelons supérieurs. À ce jour, cinq rencontres ont eu lieu entre Poutine et Xi en 2014. Des chefs d’entreprises et des chefs militaires se sont aussi rencontrés. Mais la rencontre la plus fascinante de toutes a eu lieu récemment à Beijing entre le ministre de la Défense russe Sergey Shoïgu et le premier ministre chinois Li Keqiang, cela après la rencontre entre Shoïgu et ses homologues du ministère de la Défense et de l’Armée de la Chine. Ce que cette rencontre annonce est l’intégration des complexes militaro-industriels russe et chinois. On peut supposer qu’il y a été question de systèmes d’armes très secrets. S’il s’agissait d’une visite de politesse, elle allait au-delà du protocole.

Les deux hommes, Shoïgu et Li, évoluent dans des sphères gouvernementales distinctes au service de leur nation respective. Le premier ministre chinois s’occupe habituellement de questions économiques et de la bureaucratie colossale du gouvernement central. Toutefois, il possède aussi le titre de président de la Commission sur la mobilisation de la défense nationale, qui englobe l’équipement, les dispositifs antiaériens, les communications ainsi que l’économie, c’est-à-dire tout sauf l’Armée populaire de libération elle-même, du point de vue de la défense. Le président Xi préside la Commission militaire, et l’Armée populaire de libération jure allégeance au Parti ainsi qu’à lui en qualité de président du Parti communiste chinois. Le complexe militaro-industriel chinois fait partie du portefeuille du premier ministre Li.

Mais l’analyse de la double hélice montre qu’il s’agit de discuter d’une part de l’armée russe, et, d’autre part, de la capacité de production et de financement de la Chine. Un peu comme des parents qui arrangent un mariage, les principaux dirigeants étaient occupés à arranger quelque chose.

Le général Shoïgu était présent à titre de représentant des forces armées. Li l’était à titre de représentant du secteur économique chinois. Conformément à un même accord conclu antérieurement entre Poutine et Xi, et au-delà des discussions portant sur les hélicoptères de transport lourd, les moteurs à réaction pour avions de combat, les nouvelles commandes de sous-marins ou de composants microélectroniques de systèmes, il y a eu au Zhongnanhai une rencontre entre la sphère militaire russe, d’une part, et la sphère financière et la capacité de production chinoises, d’autre part. Seul le temps permettra de dire quelle arme, s’il s’agissait d’un système d’armes, a justifié une telle rencontre en tête-à-tête. Je proposerai par la suite une autre possibilité, très différente, concernant la teneur de cette rencontre entre Shoïgu et Li.

Une surprise

Au vaste territoire de la Russie qui s’étend selon un axe est-ouest des mers Baltique, Noire et Caspienne à l’océan Pacifique, à la mer Jaune et à la mer du Japon s’ajoute maintenant une nouvelle étendue recouvrant l’Extrême-Orient, l’Asie du Sud-Est, l’Asie du Sud et l’Asie centrale – soit la Chine. La Russie pourrait même être perçue comme plus vaste qu’elle ne l’est du point de vue géographique. Ses pipelines, ses autoroutes, ses aéroports, ses ports de mer et ses systèmes d’armes relieraient et protégeraient des nations qui vont de l’Arctique à l’océan Indien, de même que des frontières de l’Europe orientale aux îles Kouriles et à Vladivostok, bordant la Chine aux postes frontaliers de Zabikalsk-Manzhouli et de Pogranichy-Suifenhe dans la Province Heilongjiang, le long du fleuve Amour, ou Dragon noir.

Pareille unité va bien au-delà des grandes sculptures sur glace de Harbin ou des immenses réserves pétrolières et gazières de la Russie profondément enfouies sous la neige, la glace et la roche gelée. La double hélice a été conçue comme une surprise d’ordre stratégique.

La Chine avait déjà pris la Puissance hégémonique par surprise à deux reprises avec ses armes. Il s’agissait dans un cas de son tueur de satellites (véhicule cinétique de destruction par impact direct) qui a servi à détruire l’un de ses propres satellites, désuet, en 2007. Un essai plus poussé encore a eu lieu en 2013. La raison pour laquelle les services de renseignement ont eu de la difficulté à prévoir cet essai est que le lancement du missile porteur de la charge antisatellite (ASAT) a eu lieu à partir d’un lanceur mobile.

L’autre surprise de la part de la Chine a été son missile destructeur de porte-avions basé au sol et capable de détruire un bâtiment situé à mille miles de distance. Le missile DF21D (Mach 10) est inattaquable, sauf par contremesures électroniques et avec de la chance. Ces deux systèmes d’arme sont exactement ce dont la Chine avait besoin pour administrer un choc au commandement spatial et à la marine des USA. Encore abasourdis, ils s’inquiètent de la capacité de frappe des Chinois et de la défaillance de leur propre renseignement. Les deux systèmes d’armes sont basés au sol et mobiles, ce qui rend les capacités de défense chinoises à la fois souples et difficilement localisables.

La Russie a elle aussi stupéfié la Puissance hégémonique avec les événements de Crimée et l’annulation du projet de gazoduc South Stream. Mais aussi, avant même ces événements, avec l’initiative diplomatique soudaine de Poutine ayant abouti à l’accord sur les armes chimiques syriennes et éliminé, par le fait même, ce qui aurait pu constituer un prétexte à la guerre. Le déclenchement contre la Syrie de la guerre aérienne totale souhaitée par Obama aurait placé la Russie dans un dilemme difficile sur les plans militaire et géopolitique: défendre ouvertement la Syrie en intervenant militairement ou faire preuve de faiblesse, comme l’a fait Medvedev dans le cas libyen. Au lieu de cela, l’agression des USA-OTAN contre Assad a été stoppée d’un coup sec. (Elle s’est poursuivie en secret jusqu’à ce que les forces de l’ISIS soient prêtes à être déchaînées.)

Ces trois interventions russes ont eu un effet de choc, révélant les défaillances des services de renseignement de la Puissance hégémonique et démontrant sur la scène mondiale toute l’habileté de Poutine sur les plans militaire et diplomatique, faisant de la Russie plus qu’un joueur de calibre régional et permettant de déjouer les plans de l’OTAN et de ses alliés interposés sans qu’il soit nécessaire de tirer un seul coup de feu et sans perdre la maîtrise de la situation. Et ce, sur deux théâtres de conflits différents.

Tandis que les menaces abondent, la double hélice évolue

Du côté de la Chine, on trouve des gens, des masses de gens dont le tiers sont passés de l’état de serfs au statut de classe moyenne en à peine plus de 30 ans. Les Chinois ont aussi réussi l’ouverture de leur économie au capital de risque, leur industrialisation et la création d’organismes du secteur des services sans en perdre la maîtrise au profit d’intérêts étrangers. Ils ont maintenu leur banque centrale à l’écart du FMI, de la Réserve fédérale américaine et du réseau des banques centrales occidentales. Ils ont maintenu la gestion d’État de toutes leurs industries stratégiques. Ils ont utilisé l’investissement direct étranger à leur propre avantage, et ce, de façon spectaculaire, forçant les entreprises en participation à finalement partager les droits de propriété intellectuelle, de brevets et de conception.

Les Chinois ont forcé le transfert de technologie dans les cas où ils avaient besoin de la technologie de pointe ou pour lesquels il leur était impossible de procéder par rétro-ingénierie. Ils ont appris toutes les astuces capitalistes par l’analyse rigoureuse de l’essor des USA, passés d’une nation agricole de pionniers à la plus grande puissance économique mondiale. Les Chinois admirent la transformation des USA en géant économique, mais craignent leur gouvernement et son hégémonisme planétaire.

Qui plus est, les Chinois ont maintenu le yuan (RMB) à l’abri des manipulations financières. Ils en ont prudemment introduit l’usage auprès de leurs partenaires commerciaux, mais n’ont jamais accepté de laisser leur devise devenir pleinement convertible sur le marché des changes. La Chine indexe le yuan sur le dollar US, limitant ainsi les manipulations et la spéculation. Il n’y a pas de taux d’intérêt variable, et les taux d’intérêt sont fixés par l’État. Le yuan est devenu graduellement convertible en dollars, en yens, en francs suisses, en euros, en dollars de Hong Kong et en roubles. Les Chinois utilisent le RMB pour les règlements bilatéraux, au cas par cas.

Il faudra encore cinq ans avant que la Chine entende laisser le yuan flotter sur les marchés des changes. Dans le cadre de l’examen auquel il procède deux fois par décennie, le FMI envisage d’inclure le RMB dans un panier de monnaies de réserve à droits de tirage spéciaux. Le yuan satisfait à l’ensemble des paramètres; cela aidera la Chine et la Russie à amenuiser la prédominance du dollar, mais la décision n’a pas encore été autorisée par Washington, qui est aux commandes du FMI.

Le plan sino-russe de création d’une monnaie de réserve internationale consiste à proposer un ensemble de devises, plutôt qu’une devise unique, comme c’est le cas aujourd’hui pour le dollar. Si le FMI ne tranche pas de façon favorable, des perturbations du système financier international pourraient être à prévoir. La Chine compte de nombreux alliés prêts à soutenir ses efforts en ce sens. Cela indique clairement que même si son économie est la plus importante, elle ne souhaite pas occuper une position dominante, ni ne planifie en ce sens; bref, elle ne se sent pas d’affinité avec un monde unipolaire dans lequel elle se substituerait aux USA. Elle souhaite jouer un rôle de premier plan axé sur la coopération au sein de nouvelles institutions internationales, intention que les Chinois signalent de toutes les façons possibles. La plupart du temps, le Dragon préfère laisser la place au Panda.

La montée en puissance de Shanghai

Les Chinois ont astucieusement utilisé le dollar et la bourse de Hong Kong ainsi que les banques de l’ancienne colonie britannique pour assurer leur propre flexibilité jusqu’à ce qu’ils soient prêts à éclipser ce qui était autrefois perçu comme le cœur financier de l’Asie.

Deng Xiaoping avait choisi Shenzhen, voisine de Hong Kong, comme vitrine initiale de l’ouverture pour une bonne raison. Hong Kong était le gigantesque port servant aux importations et aux exportations, et la ville était le dernier centre bancaire occidental digne de confiance aux yeux des capitalistes pour traiter leurs affaires avec Beijing.

Désormais, c’est Shanghai qui allait devenir ce centre financier et bancaire; la bourse de Shanghai et le RMB allaient bientôt rayonner sur l’Asie, car Beijing avait les moyens de ses ambitions. L’un des aspects jamais mentionnés au cœur du mouvement Occupy Central et du cirque des parapluies jaunes qui se sont déroulés récemment à Hong Kong est le fait que la ville passera bientôt au deuxième rang, après Shanghai, et qu’elle sera à la merci économique de Beijing. Shanghai deviendra le centre bancaire et financier du monde nouveau qui verra le jour dans une ou deux décennies. C’est désormais une certitude compte tenu de l’essor de l’Eurasie, de la Nouvelle route de la soie, de la Route de la soie maritime et de la double hélice.

Londres est désespérément parvenue, juste à temps, à saisir une partie du marché de la devise chinoise. Elle deviendra un centre d’échange outremer du RMB. Le secteur financier de New York ne se rend peut-être pas encore compte que lui aussi succombera à la création de richesse du Dragon quelque part au cours des prochaines décennies. Il existe donc des raisons justifiant les tentatives d’endiguement et de déstabilisation menées par la Puissance hégémonique et les élites, qui saisissent le caractère inéluctable de la chose. Mais l’Eurasie fait pencher le monde vers l’Orient. Et la double hélice est l’une des forces centrifuges qui font basculer la puissance au profit de l’Asie et de l’Eurasie.

La taille compte

La taille d’une nation compte si elle sait en tirer profit (ce qui est notamment le cas de la Chine, mais non de l’Inde). Qu’il s’agisse de production d’usine, de main-d’œuvre bon marché, de hauts coefficients d’épargne, d’aménagements massifs en infrastructure ou de logistique à grande échelle, tout cela a d’abord existé en Chine. Même à l’époque de la Deuxième Guerre mondiale, les USA ne parvenaient pas à égaler la Chine. Et pendant ce temps, les recettes s’accumulaient à coup de mille milliards dans les Banque de Chine, Banque agricole de Chine, Banque du secteur de la construction de Chine, Banque industrielle et commerciale de Chine et Banque populaire de Chine (la Banque centrale de la République populaire de Chine). En fait d’encaisse, les montagnes d’argent comptant, de bons du Trésor US et d’achats d’or de la Chine étaient sans précédent. Pareille dynamique a certes transformé le Dragon en manufacture du monde, mais la Chine est aussi devenue l’un des banquiers les plus aguerris de la planète.

La gestion économique étatique pratiquée par la Chine lui permet de faire des choses que d’autres pays ne font pas. La Chine peut ordonner à ses entreprises d’État d’investir dans des projets au pays ou à l’étranger. C’est là en fait une autre forme de pouvoir financier géopolitique. Les trésoreries de ces entreprises d’État sont comme des comptes bancaires à la disposition du gouvernement central. Le premier ministre, fonction actuellement occupée par Li Keqiang, fait en quelque sorte figure de tsar économique. Les sept membres du Comité permanent du bureau politique mettent à exécution les plans quinquennaux, le président Xi Jinping se chargeant de fixer les objectifs théoriques, tandis que le premier ministre Li assume la direction de la bureaucratie, des banques et des entreprises d’État en vue d’atteindre lesdits objectifs.

La croissance compte

La croissance, voilà tout ce qui compte aux yeux des tout nouveaux capitalistes chinois. Les profits sont synonymes de puissance, parfois même plus que la richesse elle-même, car ils sont quotidiens, trimestriels ou annuels, et ils indiquent une croissance rapide. La croissance est un mot et un phénomène absents de la réalité dans l’Empire de la Puissance hégémonique. L’UE connaît une croissance négative, et les USA ont une économie fictive qui engloutit les actifs de la classe moyenne et où le nombre de personnes à charge au bas de la pyramide s’accroît, dans un contexte de réforme hautement verticale de l’économie. Tout va aux élites. Les bons emplois et les bonnes carrières sont choses du passé. Les conflits sociaux s’aggravent. L’Amérique a perdu son chemin. Il n’existe pas de plan de croissance quinquennal, pas non plus de plan annuel ni de plan pour le prochain trimestre. L’économie des USA a été façonnée pour servir les élites et satisfaire leur avidité, ce à quoi sert très bien l’ensemble des activités. Les marchés sont truqués par le truchement de caisses communes obscures, d’instruments dérivés et d’activités criminelles auxquels rien ne s’oppose, sinon quelques poursuites pour délit d’initié et amendes aux grandes banques qui viennent garnir les coffres du gouvernement avec des revenus ou des transferts de richesse extorqués aux actionnaires (la classe moyenne) autrement que par l’impôt direct.

La richesse compte

En Chine, la gestion de la richesse relève de l’État. L’épargne sert au développement de la richesse du pays et de son peuple. Oui, un million de millionnaires et des centaines de milliardaires ont bien profité de la croissance rapide du pays. Toutefois, l’économie ne repose pas dans les mains de cette élite. Ils jouent leur rôle dans les secteurs publics et privés, dans l’investissement extérieur et le tourisme, mais ils ne modifient pas les plans publics et ne manipulent pas les marchés publics (même s’ils essaient de le faire, l’avidité et les comportements criminels ou irresponsables faisant partie de la nature humaine).

Les recettes des coffres de la Chine capitaliste permettent au président Xi de réaliser n’importe quel projet dans n’importe quel pays. Il finance la Banque de développement des BRICS, la Banque asiatique d’investissement d’infrastructure et le développement de la Ceinture économique eurasienne et de la Route de soie maritime. Autant de plans Marshall en quelque sorte, mais sans la conquête militaire. L’objectif est d’aider d’autres partenaires commerciaux à se sortir du dénuement extrême pour se doter d’une économie de classe moyenne leur permettant d’acheter des produits chinois, de faire appel aux compétences spécialisées des Chinois, et, finalement, d’acheter des services de la Chine.

Il s’agit d’une approche économique élémentaire: investir dans une nation, construire son infrastructure, élargir les échanges commerciaux avec elle et éduquer sa jeunesse. Cette nation peut ensuite sortir de la pauvreté, développer ses propres capacités de production et parvenir à maturité. En cours de route, le partenaire commercial gravit la chaîne de valeur des produits et services offerts par la Chine.

Cela, la Chine est en mesure de le faire plus que tout autre pays ne l’a jamais fait. Elle le fait en Afrique, en Amérique latine, en Asie du Sud-Est, en Asie du Sud et au Moyen-Orient. (Sauf que les USA ont fait reculer ses efforts en utilisant l’ISIS pour détruire l’Irak et la Syrie et en se servant d’Al-Qaïda en Libye, où la Chine possède une infrastructure massive et d’importants investissements pétroliers. De même, la Chine avait consenti des investissements pour le développement de l’Ukraine et de la Crimée avant le coup d’État de la junte.)

Ainsi, avec la grande proximité de la Russie, qui a un très grand besoin de ce que la Chine peut faire, les besoins de la Russie en matière d’infrastructure et d’exploitation de ses gigantesques ressources naturelles ont trouvé leur contrepartie dans la gigantesque capacité financière de la Chine et dans son besoin de marchés pour ses biens de consommation. L’élimination de la menace hégémonique par des moyens pacifiques est la solution logique à laquelle sont parvenus les présidents Vladimir Poutine et Xi Jinping. D’où la double hélice.

Au final; à quoi est confrontée la puissance hégémonique?

Les USA et l’OTAN auraient besoin de l’intervention de l’Archange Michel pour défaire l’alliance Chine-Russie, mais tout semble indiquer que celui-ci se trouve plutôt du côté de l’Ours et de sa culture orthodoxe. Dans un avenir prévisible, aucune arme, aucune stratégie ni aucune tactique concevable (ce qui est précisément ce dont a besoin la double hélice) ne pourra entraver l’essor de l’une ou l’autre de ces deux économies maintenant qu’elles constituent une paire de bases.

La Chine est appelée à devenir plus grande et plus forte. Et il en va de même pour la Russie. D’ici cinq à dix ans, les systèmes internationaux financiers et bancaires, de règlements commerciaux, de devises, de notation financière et de prêts de développement auront changé en profondeur, ce qui reviendra à priver la Puissance hégémonique de ses armes les plus dangereuses. Ironiquement, il ne lui restera que sa puissance militaire. Elle perdra ses armes les plus destructrices qui lui servent à réduire en esclavage, à soumettre, à humilier, à ruiner et à changer les différents régimes politiques, ses armes économiques.

Larchmonter 445

Traduit par Jacques B. et Richard S., relu par jj et Diane pour le Saker Francophone

A suivre… 5e partie: L’avenir de l’alliance et les états voisins, la quatrième dimension géopolitique

 

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