Voila pourquoi la doctrine militaire américaine est vouée à l’échec


Par Federico Pieraccini – Le 2 octobre 2016 – Source Strategic Culture

Une analyse de l’insatisfaction croissante des généraux américains envers les dirigeants politiques de Washington éclaire d’un jour nouveau la direction dans laquelle la machine militaire américaine se dirige. Il est en particulier intéressant d’observer la planification militaire concernant l’avenir des forces maritimes, aériennes, spatiales, cyberspatiales et terrestres.

À la fin de la guerre froide, les forces armées des États-Unis se sont retrouvées sans véritable adversaire, les obligeant à modifier progressivement leur stratégie et leurs investissements dans la guerre et les conflits. Elles passèrent de l’état de grande force orientée vers la lutte contre un adversaire de calibre similaire (l’URSS) et conformément à une stratégie militaire spécifique, à un état de force concentrée sur des adversaires hybrides (forces régulières ou milices) ou des ennemis qui ne sont pas de leur niveau (l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan, la Yougoslavie et la Libye). L’armée américaine s’est donc adaptée en changeant sa planification et sa tactique pour satisfaire les demandes des nouveaux locataires de la Maison Blanche, les fameux néoconservateurs. Il en a résulté une doctrine militaire centrée sur le concept d’un monde unipolaire, visant à la domination mondiale.

Depuis le début des années 1990, les décideurs politiques de Washington ont eu comme objectif, utopique, l’hégémonie mondiale et, dans le but d’y arriver, les forces armées américaines ont dû se développer et créer de nouveaux centres de contrôle (AFRICOM, USNORTHCOM), en plus de ceux déjà en existence (USEUCOM, USPACOM, USSOUTHCOM, USSOCOM, USSTRATCOM, USTRANSCOM), dans tous les coins de la planète.

C’est un exemple typique d’hyper-extension impériale, qui a historiquement marqué le début de l’effondrement de plusieurs royaumes et empires au fil des siècles.

Les capacités opérationnelles de la machine militaire américaine, des années 1990 jusqu’au milieu des années 2000 sont restées plus ou moins inchangées dans tous les grands conflits dans lesquels elle a été impliquée : la Yougoslavie en 1999, l’Afghanistan en 2001 et l’Irak en 2003. Ce sont des conflits dans lesquels les forces de défense de ces nations ne pouvaient pas espérer égaler la puissance de l’attaquant. Des défenses aériennes faibles étaient le dénominateur commun à toutes ces nations – une vulnérabilité qui a toujours été la condition sine qua non au succès de guerres comme celles en Irak et en Afghanistan, ainsi que de la capacité des États-Unis à atteindre la supériorité aérienne et donc de profiter d’un espace aérien incontesté.

Des bombardements intensifs, couplés à l’utilisation d’un nombre effarant de missiles de croisière, ont détruit les défenses anti-aériennes des deux pays, ouvrant la voie à de massives invasions terrestres ou aéroportées. Un exemple encore frais dans l’esprit de tout le monde est l’intensité de la frappe états-unienne, dans les premiers jours de la guerre contre l’Irak en 2003, qui a provoqué un nombre de morts et de destructions sans précédent.

Pourtant, malgré cette position avantageuse, le nombre de soldats américains et alliés morts pendant les années d’occupation était assez élevé pour choquer le public américain et peut-être changer à jamais la perception du conflit militaire. Les conséquences étaient prévisibles, celles d’une pression populaire forçant à un retrait des troupes d’Irak et à une réduction significative du contingent stationné en Afghanistan.

Après 70 ans de guerre, l’ancienne stratégie de bombardement, invasion et d’occupation d’un territoire conquis a survécu à son utilité.

Il est temps de changer. Le nouvel objectif : la domination mondiale

La poursuite d’une nouvelle stratégie globale nécessite des changements. Une force numériquement plus faible est maintenant nécessaire, pouvant être déployée dans un bref délai à tous les coins de la planète. Les stratèges militaires états-uniens ont commencé à élaborer des plans pour de nouvelles méthodes et procédures de formation opérationnelle, basées sur des forces de réaction rapide et leur capacité à atteindre facilement un théâtre de guerre. À cette fin, les forces spéciales américaines, les drones utilisés pour la reconnaissance et l’attaque et le recours au National Reconnaissance Office (NRO) et à l’Agence nationale de sécurité (NSA) ont fini par remplacer presque totalement l’approche précédente et la tactique qui avait été axée sur la protection des troupes au sol.

Ce changement organisationnel, qui a permis aux centres de commandement régionaux un haut degré d’autonomie stratégique et de prise de décision, à augmenté la complexité de la machine militaire américaine à un niveau dévastateur pour elle même. Les résultats pratiques de ces transformations pourraient être observés dans la capacité réduite des centres de contrôle à répondre aux menaces extérieures comme peut le faire une seule force militaire sous un seul drapeau.

En moins de 10 ans les États-Unis sont passés d’une large force au sol capable d’envahir des pays étrangers avec un nombre considérable de troupes – grâce à sa maîtrise incontestée de l’espace aérien – à une force militaire compartimentée en petites unités, à qui on a rarement demandé d’intervenir directement dans un conflit. Ainsi, il y a eu moins d’importance donnée à la recherche de moyens et de technologies faites pour protéger les soldats sur le champ de bataille.

Au lieu de cela, la puissance aérienne a continué d’être l’arme décisive dans les scénarios de guerre, depuis plusieurs années, en particulier en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. En 2011, en Libye, dans une de ses dernières démonstrations de supériorité aérienne, la puissance de l’US Air Force, combinée à celle de ses alliés, a fourni la couverture nécessaire permettant aux forces au sol (composées de terroristes qui ont plus tard envahi la Syrie et la péninsule du Sinaï) de conquérir et d’occuper ce territoire.

Pour un observateur attentif, toutes ces nations qui se sont trouvées dans le collimateur de l’armée américaine au cours des dernières années partagent une caractéristique commune, à savoir une incapacité évidente à défendre leur propre espace aérien. Une fois que les cieux étaient conquis, fournissant ainsi une protection pour les troupes pendant les opérations au sol, le plus gros du travail était déjà fait.

Mais c’est une formule qui n’a pas toujours réussi à influencer le cours des combats. L’Ukraine et la Syrie en sont la preuve, même si elles présentent deux scénarios très différents.

Une nouvelle situation

Pour des raisons totalement différentes, ces deux scénarios ont mis en évidence les lacunes et les faiblesses stratégiques et structurelles du commandement militaire unifié. Dans le cas de la Syrie, les capacités de défense aérienne des forces loyales à Damas, classées parmi les dix premières au monde, ont forcé les analystes à Washington, en 2013, à développer une stratégie basée sur la nécessité de détruire les systèmes de défense aériens par l’utilisation de nombreux missiles de croisière qui ont été lancés à partir de leur flotte en Méditerranée. À moins que les systèmes de missiles sol-air (SAM) soient désactivés, l’USAF ne peut pas fonctionner en toute impunité au-dessus du ciel syrien sans risquer de lourdes pertes. Les systèmes anti-aériens syriens sont encore tout à fait capables de neutraliser non seulement une attaque aérienne, mais aussi un barrage de missiles de croisière, ce qui rend toute attaque américaine extrêmement coûteuse (chaque Tomahawk coûte environ un million de dollars), contre-productive et inefficace. Cette nouvelle situation a incité Obama à demander l’aide de Moscou pour éviter un conflit qui aurait été plus qu’un casse-tête pour le Pentagone.

Dans le cas de l’Ukraine, le contrôle de l’espace aérien était incontesté car le Donbass ne possède pas de force aérienne pouvant rivaliser avec celle de l’armée ukrainienne, et donc la stratégie militaire était plus axée sur une coordination efficace entre les troupes terrestres, les véhicules lourds et la reconnaissance. L’objectif était de faire des avancées tactiques et de conquérir les territoires disputés. Pourtant, malgré les conseillers envoyés par Washington et la technologie offerte par les États-Unis, l’armée de Kiev a subi de sérieux revers infligés par des forces irrégulières beaucoup plus mal armées en termes de qualité et de quantité.

Bientôt, une série de nouvelles situations a commencé à se développer pour les États-Unis. Leur incapacité à contrôler l’espace aérien de la Syrie ou de gagner du terrain en Ukraine était symptomatique d’un malaise plus profond qui affecte les capacités de l’armée américaine et de ses alliés pour combattre certaines batailles.

Retour à la vieille école

Dans l’esprit des généraux américains et des conseillers militaires, ces développements furent un coup de semonce sans précédent. Après 70 ans de guerres et de conflits, les États-Unis se trouvaient pour la première fois dans une situation où ils ne pouvaient ni se permettre le luxe d’intervenir directement (Ukraine), ni être en mesure de fournir une solution concrète qui permettrait d’inverser la situation sur le champ de bataille (Syrie). Ce fut une cause de préoccupation qui obligea les dirigeants politiques américains à repenser l’ensemble de leur vision de la confrontation militaire et à formuler une nouvelle stratégie pour faire face à ces nouveaux défis.

Dans certaines réunions publiques menées par le général Robert Neller (Commandant du Corps des Marines) et le général Joseph Dunford (président du Joint Chiefs of Staff), les deux hommes ont mis en évidence le défi le plus important pour l’avenir de l’armée des États-Unis. Ils prévoient une transformation de l’armée, en 15 ans seulement, en une force militaire capable de combattre non seulement les ennemis qui sont bien équipés (comme en Syrie et en Ukraine), mais également ceux étant aussi bien équipés que les États-Unis (la Russie et la Chine). C’est une révolution, ou plus précisément, un retour vers le passé.

Dans la définition de ces défis, Dunford a parlé de ce qui est appelé dans le jargon militaire, le «4 + 1», c’est à dire les nations que l’US Strategic Command considère comme risquant de poser des défis majeurs au cours des 10 prochaines années : la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l’Iran + le terrorisme. En décrivant cette approche, Dunford a esquissé un futur scénario de guerre impliquant principalement à court, moyen et long terme des missiles balistiques (SRBM, MRBM et ICBM, respectivement), les systèmes antibalistiques (ABM), les cyber-attaques, et la possibilité de refuser l’accès ou l’espace aérien (A2 / AD).

Ce qui peut surprendre le lecteur est l’admission par Neller et Dunford du fait que les États-Unis ont quelques problèmes opérationnels qui pourraient facilement être exploités par des adversaires. Des pays rivaux ont fait des progrès technologiques dans la dernière décennie, leur permettant de presque combler l’écart avec l’armée américaine dans des secteurs vitaux pour les futurs scénarios de guerre et dans de nombreux domaines, tels que :

  • Les avions de cinquième génération (J-31 et PAK FA) avec des capacités de furtivité.
  • Les missiles balistiques à longue portée (R-36M) et à courte / moyenne portée (Iskander).
  • Les missiles balistiques intercontinentaux pouvant atteindre une vitesse supersonique (incapables d’être interceptés par les rampes antimissiles actuelles et futures).
  • La capacité à provoquer des dégâts cybernétiques avec effets réels.
  • Une technologie de plus en plus avancée pour nier l’espace aérien à un adversaire, par voie électronique (EW) ou mécanique (S-300, S-400, S-500).

Dans tous ces défis, nous pouvons voir que les avantages des États-Unis ont diminué. Un autre aspect inquiétant, que les deux commandants connaissent, est la nécessité de disposer d’une connexion Internet / intranet afin de fonctionner à pleine capacité. L’interconnexion entre les hommes et les moyens est un multiplicateur de force pour les États-Unis, tout comme la nécessité de projeter la puissance sur les côtes de l’ennemi par les forces navales. Les stratégies visant à nier ces avantages sont des éléments essentiels pour les doctrines militaires de la Chine et la Russie.

La nouvelle génération de missiles anti-navires (DF-26, BrahMos II, Qader et P-900) offre un exemple clair de la façon dont Pékin et Moscou réagissent à la dégradation constante des conditions de paix dans le monde. Si l’US Navy se voit refusé l’accès à un rayon de plusieurs centaines de kilomètres, ce qui est nécessaire afin de contrôler les navires et porte-avions à proximité d’une côte ennemie, c’est un gros problème pour les planificateurs militaires américains. Les missiles anti-navires offrent également un avantage économique : ils coûtent peu mais peuvent couler des navires d’une valeur de plusieurs milliards de dollars. Ils sont donc idéaux pour défier l’US Navy, dont la puissance inégalée peut être vue dans ses 10 porte-avions. Poursuivant cette stratégie, la Russie et la Chine travaillent sur une gamme de missiles (BVR) qui, combinés à des avions furtifs (J-20 et PAK FA), peuvent bloquer la capacité des États-Unis à anticiper une attaque meurtrière sur ses porte-avions, attaque pouvant être lancée à partir d’une distance de sécurité suffisante.

L’objectif pour Pékin, Moscou, ou Téhéran est toujours le même : empêcher Washington d’être en mesure d’approcher leurs rives ou d’opérer dans les eaux internationales, afin d’éviter que les énormes porte-avions américains soient utilisés comme rampe de lancement pour des opérations militaires.

En termes de sécurité stratégique, la protection des cieux est la première priorité pour tout planificateur militaire. Les systèmes ABM [antimissiles, NdT], comme les S-300, S-400 et S-500 chinois et russes, sont, comme annoncé, conçus dans le but de créer un espace aérien impénétrable pour les ICBM [missiles balistiques à longue portée, NdT] et / ou les avions furtifs de quatrième ou de cinquième génération. Sans couverture aérienne et sans plateformes navales, les capacités fonctionnelles de toutes les troupes au sol sont considérablement réduites. Ajouter à cela des SRBM [missiles balistiques à courte portée, NdT] tels que des missiles Iskander, qui peuvent anéantir  des bataillons entiers, et on peut facilement comprendre pourquoi Dunford est inquiet d’avoir déjà perdu son avance technologique et opérationnelle face à un concurrent de taille similaire.

Certes, l’évolution du complexe militaro-industriel américain (CMI) n’a pas facilité la tâche des stratèges du Pentagone. Des programmes tels que le F-35 (cinquième génération d’avions furtifs) qui devaient rivaliser avec les projets sino-russes équivalents ont été en proie à de nombreux problèmes et dépassements de coûts massifs, probablement le résultat d’un système généralisé de corruption, laissant les États-Unis désavantagés pour le concours de future suprématie aérienne.

Même l’arsenal nucléaire américain (triade nucléaire) doit être mis à jour pour le maintenir à égalité avec l’arsenal russe, mais les frais de modernisation sont estimés à environ mille milliards de dollars sur 10 ans, une somme que le Trésor américain ne possède pas actuellement (sans imprimer d’argent supplémentaire, mais c’est une autre histoire). Récemment Moscou a mené de longs tests de ses missiles balistiques capables d’atteindre une vitesse sans précédent (Mach 6-7), capable de changer de direction après le lancement, et dont la portée s’est accrue de manière significative (17 000 km), ce qui rend tout les systèmes antibalistiques actuels et futurs inefficaces et inutiles.

Combler le fossé

Moscou et Pékin ont des considérations pratiques (mais qui sont, en quelque sorte, presque philosophiques) dues à l’énorme différence entre leurs dépenses militaires et celles de Washington. Cela les a forcés à chercher des systèmes peu coûteux qui soient pourtant tout aussi efficaces.

Un exemple parfait, déjà pleinement opérationnel, est le développement et l’utilisation de missiles Kalibr – la réponse russe au missile de croisière américain. Similaire à la version américaine, la principale différence est qu’il peut être tiré à partir de petits navires. Pour comprendre le niveau d’anxiété de Washington, il suffit d’analyser sa réaction au lancement, à partir de la mer Noire, des premiers missiles Kalibr, en 2015, pour atteindre des cibles en Syrie. Le Pentagone a montré sa surprise face à la nouvelle capacité de la Russie à lancer de tels missiles à une distance de milliers de kilomètres, à partir  de petits navires (avec des coûts réduits en conséquence). Cette incapacité à reconnaître les capacités de l’adversaire est peut-être symptomatique d’autres problèmes sous-jacents.

Les missiles Kalibr permettent à Moscou d’obtenir un avantage tactique qui, selon les conseillers militaires américains, a changé l’équilibre stratégique au Moyen-Orient. Cela a suffi à réduire considérablement l’un des plus grands avantages des États-Unis : les missiles de croisière. Les analystes américains ont paniqué, se rendant compte qu’ils avaient besoin d’offrir immédiatement une réponse adéquate à cette nouvelle situation. En outre, cette stratégie d’équiper de petits navires avec des missiles Kalibr a permis à Moscou de produire un grand nombre de corvettes, élargissant considérablement la puissance totale de la flotte russe. Moscou dispose actuellement d’un certain nombre de ces navires, tous armés de cette façon.

Les États-Unis préfèrent la position philosophique opposée quant à leurs projets. Les projets à long terme sont promus parce qu’ils offrent d’énormes occasions d’en exagérer les coûts et de faire des profits supplémentaires pour les entrepreneurs et les courtiers : navires furtifs (USS Zumwalt), méga transporteurs (Gerald classe R. Ford), et F-35 n’en sont que quelques exemples. Sans offrir d’avancées technologiques immédiates, en particulier en ce qui concerne les contre-attaques des «4 + 1», il semble pourtant que ce soit là où les efforts de modernisation des forces armées américaines se concentrent.

Paradoxalement, alors que les États-Unis ne peuvent toujours pas déployer quelques F-35, des pays tels que la Corée du Nord et l’Iran ont déjà des stratégies en place pour dissuader et annuler la suprématie opérationnelle américaine actuelle. En ce sens, malgré les sanctions et le climat international d’hostilité, Pyongyang a réussi à produire un sous-marin équipé de SLBM [missiles, NdT] nucléaires – un grand pas en avant qui élargit considérablement sa capacité à dissuader les États-Unis et la Corée du Sud. En Iran, la production domestique à grande échelle d’armes sophistiquées (BAVAR-373) semblables au système S-300 (et tout aussi efficaces) a été pratiquée pour nier toute capacité opérationnelle dans le ciel de la République islamique et de ses alliés (le Hezbollah et la Syrie) dans l’avenir immédiat.

Une demande impossible à satisfaire

Washington demande à ses généraux de se préparer à un conflit à grande échelle avec des adversaires d’une stature égale à elle-même, mais la réalité derrière les rideaux est troublante, et les cris désespérés de Dunford et Neller, soigneusement dissimulés par les médias, en offrent la preuve. Une simple comparaison des doctrines militaires de la Chine, de la Russie et des États-Unis – en ce qui concerne leur trajectoire à long terme – montre que Washington, bien que possédant un avantage numérique en termes de forces et de moyens à sa disposition, n’a pas la capacité nécessaire pour unifier correctement les puissantes factions qui forment l’armée américaine afin de dominer ses rivaux.

C’est probablement la raison pour laquelle le général Dunford a déclaré récemment que les plans stratégiques ultérieurs envisagés par les forces armées américaines ne seront pas rendus publics. De toute évidence, cacher ces faiblesses endémiques est nécessaire pour éviter de compromettre la pierre angulaire actuelle de la stratégie des forces américaines : la capacité de projeter sa soi-disant puissance et d’intimider ses opposants sans avoir à s’engager dans des actions concrètes.

Conflits d’aujourd’hui et conclusion

Parce qu’ils ont effectivement profité de tous les facteurs énoncés ci-dessus, la Russie, l’Iran et leurs alliés ont atteint les compétences nécessaires pour empêcher l’intervention directe des États-Unis dans divers contextes, de l’Ukraine à la Syrie.

En analysant ce qui n’a pas fonctionné au Moyen-Orient ou en Europe de l’Est, on observe que les États-Unis ont été aveuglés par la complexité de leur système militaire et se concentrent principalement sur leur incapacité à élaborer rapidement une stratégie viable et peu coûteuse en termes de pertes humaines. C’est la raison principale pour laquelle Washington a été contrainte de se défausser sur des acteurs extérieurs pour influencer les événements sur le terrain (bataillons de mercenaires en Ukraine, et salafistes et wahhabites en Syrie). Comme nous pouvons le voir, ce sont tous des choix qui ne paient pas sur le long terme, permettant plutôt à d’autres puissances montantes de dominer les États-Unis sans nécessairement recourir à une confrontation directe.

Les guerres du troisième millénaire comptent aussi beaucoup sur les facteurs psychologiques et la dissuasion, ainsi que sur la capacité essentielle d’influencer le jeu de l’adversaire grâce à de fausses informations. Prenons l’exemple de la Syrie et de l’intervention russe. Personne au Pentagone ou à la CIA n’a été en mesure de prédire le déploiement aérien et maritime russe, qui a été accompli en moins de 48 heures. Personne, encore moins Dunford, n’était, à l’époque, prêt avec un plan bien défini pour répondre à ce mouvement. En plus des inefficacités techniques et organisationnelles, il y a une capacité nettement insuffisante à déchiffrer les mouvements de l’adversaire, comme on le fait au jeu d’échecs. La capacité à prendre un adversaire au dépourvu a déjà prouvé son efficacité dans le conflit en Ukraine, où la Crimée a été réunifiée à la Russie sans coup férir et avec le complet soutien populaire.

Dunford et Neller ont compris que tout futur champ de bataille sera un environnement hostile en termes de supériorité aérienne, de connectivité Internet et de gestion simultanée des ressources à travers un large spectre géographique. C’est un défi avec – de l’aveu même du général – un résultat loin d’être évident. La politique de Washington, qui est dominée par les lobbies et la corruption, exige un renouvellement sans précédent de son appareil militaire. Mais c’est ce qui est nécessaire afin de répondre aux futurs défis d’un monde multipolaire avec différentes nations (alliées ensemble), ayant des capacités égales à celles de la machine militaire américaine.

La vérité, difficile à accepter pour les décideurs américains, est que l’environnement actuel du complexe militaro-industriel (CMI) laisse peu de marge de manœuvre, étant donné les projets gigantesques qui sont en place. Le F-35 est peu susceptible d’être mis en attente alors que le projet est complètement révisé et sa capacité réelle à effectuer les tâches requises d’un chasseur de cinquième génération est remise en question. La même chose pourrait être dite sur le développement de navires coûteux tels que l’USS Enterprise et l’USS Zumwalt, dans lesquels plusieurs centaines de milliards de dollars ont déjà été investis.

Les dépenses militaires sont une pièce essentielle de la machine du système américain oligarchique, mais ses conséquences commencent à tirer vers le bas les capacités militaires états-uniennes futures. Ses rivaux sont en train de rattraper leur retard, en utilisant des systèmes plus avancés, plus économiques et plus efficaces, mais aussi plus facile à utiliser ou à reproduire. Les chefs militaires du Pentagone commencent à montrer des signes révélateurs d’impatience, appelant à une transformation qui sera difficile à réaliser, car il faudra un changement de l’establishment du pays. La conséquence ultime en est un long drainage des finances de Washington réduisant ainsi considérablement l’avantage concurrentiel qu’elle possède.

Federico Pieraccini

Article original publié sur Strategic Culture

Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone

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