Par Moon of Alabama – Le 24 février 2019
Hier, la « démonstration d’aide humanitaire » à la frontière colombo-vénézuélienne avait quatre objectifs :
- Franchir la frontière et ouvrir ainsi des voies pouvant servir ultérieurement au passage d’armes et de combattants,
- Inciter des défections à grande échelle dans l’armée et la police vénézuéliennes,
- Démontrer au monde extérieur que le hasardeux Guyaido, qui s’est déclaré président, a de nombreux adeptes et que c’est donc suffisamment légitime pour le soutenir [à ce poste],
- Justifier les nouvelles mesures à prendre contre le Venezuela
Le premier point n’a manifestement pas été atteint. Quelques centaines de jeunes hommes ont attaqué la force de la Garde nationale vénézuélienne qui a fermé la frontière. Des tentatives ont été faites pour aider les camions à passer. Le hasardeux Guyaido était introuvable. Le tout s’est terminé par une émeute mineure. Les assaillants violents ont reçu de l’essence, et préparé des cocktails Molotov pour attaquer les gardes et mettre le feu aux camions d’aide. Voici une vidéo qui le prouve. Les émeutes ont continué (vidéo) jusqu’à environ minuit, mais ni les émeutiers ni l’aide n’ont passé la frontière.
Selon le New York Times, Guaido a affirmé qu’une sorte d’aide du Brésil avait été transférée au Venezuela sous la manchette « Un peu d’aide du Brésil passe le blocus du Venezuela, mais une violence meurtrière éclate ».
Au paragraphe 17 de son article, le NYT admet que son titre est faux :
Mais depuis samedi soir, les camions sont restés bloqués à la frontière, selon Jesús Bobadillo, un prêtre catholique de Pacaraima, la ville frontalière brésilienne.
Le chef du bureau de Bloomberg au Venezuela a confirmé que l‘aide n’était jamais entrée dans le pays :
Patricia Laya @PattyLaya - 16h31 - 23 février 2019 Une note importante de notre reporter à la frontière brésilienne @SamyAdghirni : si l'aide est techniquement sur le territoire vénézuélien, elle n'a pas franchi les points de contrôle de la sécurité ou des douanes.
L’objectif d’inciter à la défection les forces de sécurité vénézuéliennes a largement échoué. Une poignée de fantassins de la Garde nationale se sont rendus du côté colombien. Mais les lignes de la Garde nationale se sont bien tenues, même sous une pluie de pierres et de tirs et les unités ont été assez disciplinées pour prendre et maintenir leurs positions. L’armée du Venezuela reste fermement du côté de l’État.
Le non-sens de l’aide n’a pas aidé à réhausser la légitimité de Guaido. Défiant une ordonnance du tribunal, Guaido a quitté le Venezuela et est entré en Colombie. S’il revient un jour, il devra aller en prison. La grande mobilisation à l’intérieur et à l’extérieur du Venezuela qu’il avait promise fut complètement ratée. La mêlée au poste frontière a seulement montré que ses partisans sont une bande de voyous brutaux.
Guaido a également perdu sa position juridique initiale. En vertu de ce paragraphe de l’article 233 de la constitution vénézuélienne, il s’est auto-proclamé président le 23 janvier :
Lorsqu'un président élu devient définitivement indisponible avant son investiture, une nouvelle élection au suffrage universel et au scrutin direct est organisée dans un délai de 30 jours. Dans l'attente de l'élection et de l'investiture du nouveau président, le président de l'Assemblée nationale prend en charge la présidence de la République.
Que le « président élu devienne définitivement indisponible » n’a jamais été le cas. Mais si l’article 233 était appliqué, Guaido aurait eu 30 jours pour organiser de nouvelles élections. Les 30 jours sont passés et Guaido n’a même pas appelé à la tenue d’élections. La prescription a ainsi rendu caduc le paragraphe de la constitution sur lequel se fonde sa – fausse – revendication présidentielle.
Tout ce qui précède ne changera pas l’invitation des États-Unis au Venezuela à changer de régime . Mais cela va certainement réduire le soutien de Guaido dans le pays ainsi que sa réputation internationale. Cela démontrait bien qu’il n’était rien d’autre qu’un costume vide.
Le dernier objectif de l’acrobatie d’hier était de justifier les prochaines étapes, quelles qu’elles soient vers un changement de régime. Le succès de cet objectif n’a jamais été remis en question, car tous les médias et les politiciens américains soutenaient déjà les plans de Trump en acceptant d’emblée le non-sens de « l’aide humanitaire » :
Bernie Sanders @SenSanders - 18:47 utc - 23 février 2019 La population du Venezuela traverse une grave crise humanitaire. Le gouvernement Maduro doit donner la priorité aux besoins de son peuple, autoriser l’aide humanitaire dans le pays et s’abstenir de toute violence contre les manifestants.
Cette réponse au socialiste d’opérette est justifiée :
Roger Waters @rogerwaters - 22:27 utc - 23 février 2019 Réponse à @BenSanders Bernie, tu te fous de moi ! Si vous gobez la ligne Trump, Bolton, Abrams, Rubio, une «intervention humanitaire» et que vous vous associez à la destruction du Venezuela, vous ne pouvez pas être un candidat crédible à la présidence des États-Unis. Ou peut-être que vous pouvez, peut-être êtes-vous le parfait larbin pour le 1%.
En fin de journée, Guaido et ses manipulateurs américains publièrent des déclarations qu’ils avaient probablement écrites avant même que leur acrobatie d’aide échouât :
Juan Guaidó @jguaido - 2:33 utc - 24 Feb 2019 Traduit de l'espagnol Les événements d’aujourd’hui me forcent à prendre une décision : relancer la communauté internationale de façon formelle, en déclarant que nous devons avoir toutes les options ouvertes, pour parvenir à la libération de ce pays qui se bat et continuera à se battre. L'espoir est né pour ne pas mourir, Venezuela! Pour avancer sur notre route, je rencontrerai lundi nos alliés de la communauté internationale et nous continuerons d’organiser des actions à venir à l’intérieur du pays. Les pressions internes et externes sont essentielles à la libération. L'espoir est né pour ne pas mourir! Marco Rubio @marcorubio - 2:43 utc - 24 février 2019 Marco Rubio a retweeté Juan Guaidó Après les discussions de ce soir avec plusieurs dirigeants régionaux, il est maintenant clair que les crimes graves commis aujourd'hui par le régime de Maduro ont ouvert la porte à diverses actions multilatérales potentielles qui n'étaient pas sur la table il y a à peine 24 heures.
Le vice-président américain Mike Pence arrivera demain en Colombie pour expliquer à Guaido comment procéder. L’accent sera probablement mis sur la manière de lancer une campagne de sabotage et une guerre de guérilla de basse intensité au Venezuela. Les deux vont certainement nuire au pays et à ses habitants, mais il est peu probable qu’ils atteignent le but plus large du changement de régime.
La propagande à outrance du secrétaire d’État Mike Pompeo prépare déjà un champ plus large :
Secrétaire Pompeo @SecPompeo - 3:25 heure du 24 février 2019 Des agents cubains dirigent des attaques sur les habitants du #Venezuela pour le compte de Maduro. L’armée vénézuélienne devrait faire son devoir, protéger les citoyens du pays et empêcher les marionnettistes de La Havane d’affamer leurs enfants qui ont fin (sic). #EstamosUnidosVE
The Economist spécule sur les conséquences d’une intervention militaire au Venezuela, également connue sous le nom de guerre d’agression. Il n’est pas – encore – convaincu que c’est la solution à mettre en œuvre immédiatement, mais prévoit que c’est probablement la seule manière de réellement changer le régime :
Les étrangers ont tendance à minimiser l’engagement idéologique de certains membres des forces armées. [...] Il y a beaucoup d'armes à feu dans les mains des milices pro-régime. Le Venezuela a une tradition de guérilla. Une invasion américaine serait donc très risquée. Cela serait également contre-productif, car cela priverait un nouveau gouvernement de légitimité et raviverait l'anti-impérialisme dans toute l'Amérique latine, alors que l'enjeu principal est la défense de la démocratie. Oui, Cuba intervient au Venezuela et rien n'indique que M. Maduro évoluera de manière pacifique. Malgré tout, le maintien du plus vaste front politique possible contre lui reste la meilleure option.
Les prochaines étapes que les États-Unis vont entreprendre affaibliront leur cible pour une invasion prochaine. Elles incluront de nouvelles mesures pour rendre le Venezuela ingouvernable et affamer son peuple pour le soumettre. Un blocus maritime et aérien est une étape possible, même s’il est juridiquement injustifiable. La phase d’affaiblissement prendra plusieurs mois, voire des années, pour obtenir des changements notables sur le terrain. Ce n’est qu’alors que de nouvelles actions seront possibles. Ce qui se produira, dans le temps, dépend de la manière dont cela influera sur le standing domestique de Trump.
Le déclenchement d’une guerre contre le Venezuela l’aidera-t-il à se faire réélire ou la guerre devra-t-elle attendre jusqu’à la victoire de son second mandat ?
Moon of Alabama
Traduit par jj, relu par Wayan pour le Saker Francophone