Un jeu sans règles:
l’impérialisme juridique contre la Russie (I)

Valentin Katasonov

Valentin Katasonov

Par Valentin Katasonov – Le 17 février 2015 – Source strategic-culture

Le terme d’impérialisme juridique a été inventé en rapport à la dette publique de l’Argentine. La Cour d’un tribunal de New York a admis un certain nombre de plaintes privées pour rendre un verdict en leur faveur contre l’Argentine. Par un tour de passe-passe le juge a augmenté la dette du pays de 120 milliards de dollars, selon les estimations des experts. L’essence de l’impérialisme juridique est le soutien apporté par le système juridique anglo-saxon aux vautours de la finance.

Les fonds financiers vautours contre l’Argentine sous l’égide d’une Themis américaine.

Tout a commencé en 2001. L’Argentine a dû déclarer un défaut souverain sur environ 130 milliards de dollars. C’était le plus grand défaut sur la dette souveraine dans l’Histoire. Les négociations sur la restructuration ont commencé. En conséquence, les prêteurs ont accepté de radier la majeure partie de celle-ci (75%) et de modifier les conditions pour rembourser le reste. Certains créanciers obligataires en possession d’environ 4 milliards de dollars d’obligations argentines ont refusé de se conformer aux termes des accords. Cela comprenait un petit groupe de fonds spéculatifs détenant plus de $ 1,3 milliards d’obligations dirigé par Elliott Management Corp du milliardaire Paul Singer. Les hedge funds ont déjà gagné la réputation de vautours financiers. Ils ont acquis les obligations des États qui étaient sur le point de faire faillite sur leur dette ou celles déjà en défaut, puis ont exigé 100% du paiement en refusant d’accepter les compromis. L’audace est justifiée par le fait qu’ils gagnent normalement les procès dans lesquels ils exigent l’intégralité du paiement sur les obligations.

Les vautours sont allés au tribunal de New York pour poursuivre l’Argentine sur la totalité du montant, sans restructuration. En octobre 2012, la Cour fédérale d’appel du deuxième circuit (New York) a statué sur la clause pari passu qui stipule qu’ils doivent être payés intégralement. En outre, la Cour a interdit à l’Argentine de rembourser les dettes restructurées avec ses autres créanciers jusqu’à ce qu’elle se conforme à la décision de la Cour. C’était une lutte acharnée pour l’Argentine quand elle s’est rendu compte que les autres prêteurs, qui avaient accepté une restructuration, exigeraient le paiement intégral eux aussi. Le pays était pris en otage parce que ses obligations avaient été émises en conformité avec les lois de l’État de New York. Selon la décision de la Cour, l’Argentine devait payer les d’intérêts à tous les détenteurs d’obligations avant la date limite du 31 juin 2014 . Un accord n’ayant pas été conclu, les principales agences de notation ont fortement abaissé la note financière du pays. Les paiements réguliers de l’Argentine effectués pour se conformer aux conditions de la dette restructurée ont été bloqués par la décision du tribunal. L’Argentine refuse de se conformer, tandis que les amendes ne cessent d’augmenter chaque jour qui passe …

L’affaire Ioukos – la première opération de grande envergure menée par l’impérialisme juridique contre la Russie

La décision rendue par la Cour d’arbitrage internationale basée à La Haye dans le cas du géant pétrolier russe Ioukos à la demande d’actionnaires étrangers est exemplaire de la façon dont l’impérialisme juridique fonctionne. Ioukos a cessé d’exister en tant qu’entité juridique en novembre 2007. Pendant de nombreuses années, elle a évité de payer des impôts. Les dettes fiscales devaient être payées conformément à la décision du tribunal prise il y a dix ans. La société n’a pas respecté cette décision de justice. La plus grande partie des actifs de Ioukos est allée au producteur pétrolier russe Rosneft. Les actionnaires étrangers de Ioukos étaient mécontents et sont allés devant des tribunaux étrangers. Pour finir, les demandes ont été consolidées et transmises à la Cour internationale de La Haye. Initialement, la somme réclamée était de $114 milliards (beaucoup plus que les actifs de Ioukos au moment de la liquidation de l’entreprise). La Cour a laissé les revendications en suspens, elle attendait quelque chose.

Enfin, elle a obtenu ce qu’elle attendait. L’Occident a imposé des sanctions contre la Russie au printemps de 2014. Le tribunal est revenu sur l’affaire Ioukos et a rendu son verdict: la Russie doit verser aux investisseurs de la société désormais disparue la somme de $50 milliards, la plus grande compensation jamais payée aux actionnaires par un tribunal arbitral internationale. Selon la décision de la Cour, la Russie aurait violé le traité sur la Charte de l’énergie et exproprié les détenteurs légaux de l’entreprise. Une décision curieuse dans la mesure où la Russie n’a jamais ratifié la Charte. Il est encore plus étrange que l’acquisition des actifs de Ioukos par une autre société soit appelée expropriation. En fait, le verdict était une façon informelle pour l’Occident d’imposer des sanctions à la Russie,  de l’impérialisme juridique à l’œuvre. Comme ils le disent, la Russie doit passer à la caisse. Après l’annone de la décision, la Russie avait six mois pour s’y conformer. Elle ne l’a pas fait. A compter du 15 janvier, délai fixé par la Cour de La Haye, la Russie devra payer un intérêt égal au rendement d’une obligation du Trésor américain à dix ans. Le 15 Janvier le taux était 1,91 pour cent. Cela signifie que la première année, la dette va augmenter de $957 millions. Ainsi un milliard de dollars d’intérêts s’ajoutera aux $50  milliards en 2015.

La décision de la Cour de La Haye: qu’est-ce que cela signifie pour la Russie?

Les appels interjetés par les avocats russes n’ont obtenu aucun résultat. La décision de la Cour de La Haye n’a pas été prise en compte dans le budget 2015. Le côté adverse est très actif. Juste après la décision de la Cour, les anciens actionnaires de Ioukos ont été impliqués dans des activités intéressantes – ils ont commencé à chercher des actifs russes pouvant payer la dette. Des actifs étrangers de la Russie pourraient être confisqués. Les actifs de Rosneft doivent être saisis en premier lieu, d’autres entreprises ayant une participation de l’État (VTB, Gazprom, Aeroflot, VAB, etc.) en second lieu, et enfin les organismes de l’État à l’étranger. Les ambassades jouissent de l’immunité, contrairement aux navires visitant les ports étrangers.

Personne ne se soucie du fait qu’il y a peu de sociétés avec participation de 100% de l’État. Il y a des actionnaires minoritaires non étatiques et l’expropriation des biens des entreprises constituerait une violation de leurs droits de propriété. C’est un jeu classique sans règles. En fait, la seule règle est de punir la Russie à tout prix.

L’impérialisme juridique comme sanction informelle effective contre la Russie

Trois paquets de sanctions ont été introduits contre la Russie. Les experts estiment que le quatrième entrera également en vigueur. Je ne le pense pas. Les sanctions informelles sont plus efficaces. Il y aura de nouvelles réclamations contre la Russie, ses entreprises et ses banques. Les individus et les entités juridiques russes seront mis à l’index. Les tribunaux occidentaux rendront des décisions sur l’expropriation de leurs actifs à l’étranger. Le cas Rotenberg sera répété. Au printemps de 2014, Arkady Rotenberg, entrepreneur russe, a été mis à l’index au cours de la première vague de sanctions. En septembre une juridiction italienne a pris la décision d’arrêter et de confisquer ses actifs de €30 millions. Les sanctions de mars prochain envisagent une interdiction d’entrée sur les territoires des pays qui ont imposé des sanctions et la saisie des comptes bancaires de personnes inscrites sur la liste noire. Dans le cas de Rotenberg ils ont saisi des biens immobiliers qui n’avaient aucune relation avec l’entreprise. J’insiste sur le fait que l’impérialisme juridique est une guerre sans règles, dont la finalité est de piller des actifs russes En général, voici comment fonctionne cette maraude juridique:

1. Un fond vautour occidental choisit un actif qui appartient à un individu dans une entité juridique russe.

2. Le fond vautour fait inscrire le propriétaire russe sur la liste noire.

3. Un tribunal occidental rend une décision de saisi de l’actif.

4. La décision du tribunal est exécutée; l’actif devient la propriété du vautour.

les Listes noires comme instrument de l’impérialisme juridique

Il y a différentes raisons pour se retrouver sur une  liste noire: soupçons d’implication dans une corruption, complicité dans l’annexion de la Crimée et dans l’agression contre l’Ukraine, violation des droits humains, liens avec des terroristes, etc. Les États-Unis ont déjà introduit des lois spéciales, par exemple, la Loi Magnitski permettant de mettre en liste noire ceux qui avaient un rapport avec la mort de l’avocat Sergueï Magnitski. L’avocat a représenté le cabinet de conseil en investissement Hermitage Capital Management [fond d’investissement britannique,NdT]. En 2008, il a été arrêté et accusé de quelques milliards de roubles d’évasion fiscale. Il est mort dans une cellule de prison. L’Occident en a fait un martyr et a répondu avec des listes noires.

Maintenant, les États-Unis réfléchissent à une possibilité d’utiliser la loi Magnitski comme instrument universel de lutte contre la Russie sous la bannière de la défense des droits humains. Il est prévu d’inclure dans la liste non seulement ceux qui ont fait quelque chose de mal, pas seulement à Magnitski, mais aussi à Alexey Navalny et à ses associés dans leur lutte contre le totalitarisme de Poutine. Washington veut tuer deux oiseaux avec une seule pierre, d’abord exercer une pression politique sur la Russie, et ensuite
en tirer le meilleur profit en saisissant les biens des personnes incluses dans les listes noires (la Loi Magnitski envisage une interdiction d’entrée dans le pays et la saisie des comptes bancaires). Ils veulent en tirer le maximum. Il envisagent d’aller au-delà de la saisie des comptes bancaires, mais aussi les obligations et les actions.

Valentin Katasonov

Valentin Katasonov est chroniqueur à la Strategic Culture Foundation. Il a écrit notamment Interest: Loan, Justiciable, Reckless: «The Money Civilization» and the Present-Day Crisis

 

 

 

À suivre…

Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF