Ukraine: Le blocus des territoires rebelles alimente le ressentiment

Par Natalya Vasilyeva – Le 5 mars 2015 – Source APnews.com

Kurakhove, Ukraine. – Les larmes jaillissent des yeux de Vera Pavliy alors qu’elle se tient à la sortie de la banque, regardant autour d’elle comme si elle était perdue. Cette femme de 76 ans était coincée derrière la ligne de front dans la ville d’Ukraine orientale de Kurakhove, sans argent et sans moyen de rentrer chez elle.

Sur cette photo prise le 3 Mars 2015, une femme âgée est aidée pour sortir d’une voiture devant une banque dans la ville de Kourakhove, en Ukraine, à quelques kilomèteres de la zone contrôlée par les rebelles soutenus par la Russie. Les restrictions imposées sur les déplacements des séparatistes dans le reste de l’Ukraine, couplée avec un blocage des camions de ravitaillement transportant des marchandises à la zone séparatiste, soulignent la vulnérabilité des rebelles soutenus par la Russie ainsi que la répression exercée par le gouvernement ukrainien sur ses propres citoyens. (AP Photo / Vadim Ghirda

La guerre, qui a amené la mort et la destruction dans la région, a beaucoup diminué en intensité mais la misère demeure. Dans les faits, le blocus du gouvernement sur la région tenue par les séparatistes se fait plus serré. L’objectif de ce blocus est de s’attaquer à l’économie des rebelles et forcer le front séparatiste à se rendre, mais pour l’instant cette action ne fait qu’attiser les ressentiments.

Pendant des mois, les services bancaires ont été suspendus par décision de l’État. Les mouvements de population sont limités par des systèmes de laissez-passer fastidieux. Les camions délivrant les marchandises sont coincés aux postes militaires et dans les villes voisines.

L’interruption des services bancaires a forcé des centaines de milliers de personnes résidant dans les territoires rebelles à franchir les lignes de front pour aller retirer leurs pensions ou aller chercher de l’aide financière chez des amis ou de la famille. Cette semaine, Pavliy est arrivée dans la ville de Kurakhove, tenue par le gouvernement, venant de Donetsk, juste pour apprendre que le virement de 4 500 hryvnias (167 euros) qu’elle espérait trouver sur son compte n’était toujours pas là. Maintenant, dit-elle, elle n’a plus d’argent pour payer le car pour rentrer chez elle.

«Je me sens étrangère ici… parce que personne ne s’occupe de moi » sanglote Pavliy, vêtue d’un manteau en peau de mouton, à la sortie d’un bureau de la banque publique Oshchadbank.

L’interruption par le gouvernement des services bancaires en novembre dernier a renforcé les difficultés économiques provoquées par la fermeture des entreprises alarmées par les règlements erratiques des séparatistes soutenus par la Russie. Les distributeurs de billets à Donetsk restent vides, alors que les magasins et les restaurants ne peuvent plus recevoir de paiements par carte bancaire.

Nombreux sont ceux qui, comme Irina Ryazhenko, 36 ans, se déplacent sur Kurakhove ou les villes avoisinantes, plusieurs fois par mois, juste pour retirer du liquide. Lundi dernier, on lui a dit que la nouvelle carte bancaire qu’elle avait demandée en août dernier n’était toujours pas prête.

Faire le trajet fut compliqué ces dernières semaines par les nouvelles règles demandant aux gens pénétrant dans la zone gouvernementale d’obtenir un laissez-passer pour le retour vers les zones de l’est tenues par les rebelles, faisant des citoyens ukrainiens des étrangers dans leur propre pays.

Pour ceux qui vivent à l’ouest de Donetsk, demander un laissez-passer nécessite de parcourir 35 km sur une route cahoteuse jusqu’au poste de police d’une petite ville endormie, Velyka Novosilka, tenue par les forces gouvernementales.

Cet après-midi, environ vingt personnes étaient alignées à l’extérieur du poste dans le froid et l’humidité, attendant de connaître le résultat de leur demande de laissez-passer. Les murmures dans la file tournaient autour du chaos bureaucratique obligeant souvent les prétendants à rester plus de dix jours loin de chez eux.

Mais, une fois approchés par les journalistes, les gens se sont renfermés, de peur que les critiques contre l’administration ukrainienne puissent leur valoir un refus de laissez-passer. Mais la colère est visible et les récriminations ont rapidement repris à la pensée des frais qui s’accumulent.

«Je suis déjà venue une fois et cela m’a couté 200 hryvnias (7$). Je suis revenue et cela m’a encore couté 200 hryvnias, mais ce n’était toujours pas prêt! Maintenant me revoilà obligée à dépenser 200 hryvnias pour obtenir ce foutu laissez-passer», nous raconte une femme de Donetsk qui ne nous a donné que son prénom, Valentina, de peur de voir sa demande rejetée. « Je ne suis pas fille de milliardaire. Ma pension n’est que de 1000 hryvnias.»

D’autres dans la queue nous ont dit qu’ils attendaient leur laissez-passer depuis un mois. D’autres ont la chance d’avoir de la famille dans les villes ou villages environnants, qui peut leur offrir l’hospitalité.

L’administration ukrainienne insiste sur le fait que les laissez-passer sont une précaution nécessaire pour les zones en bordure des territoires rebelles.

«Dans la situation actuelle nous n’avons simplement pas d’autres solutions, explique le lieutenant colonel Volodymir Kachanovestsky, un officier du service des gardes frontières à Velyka novosilka. Nous ne pouvons pas contrôler la situation là-bas, c’est pourquoi ces mesures additionnelles nous aident à améliorer la situation, là- bas comme ici

Alexandre, qui se déplace en chaise roulante, vit avec son père déjà âgé dans la zone gouvernementale alors que sa femme et son enfant sont restés de l’autre coté. Il dit qu’il a besoin d’un laissez-passer pour retourner dans la ville rebelle de Shakhtarsk et obtenir des papiers médicaux qui lui permettront d’être soigné du coté ukrainien.

Il a fait sa demande de laissez passer le 30 janvier. Après que ses documents ont été perdus, il a dû remplir une nouvelle demande et finalement obtenu un laissez-passer lundi dernier.

« Je ne sais pas en quoi cela va améliorer la sécurité, mais cela a rendu les choses plus difficiles pour les gens», nous dit Alexander, qui a demandé à ce que son nom ne soit pas divulgué par peur de poursuite pour critiques du gouvernement. Cela me ferait une prise de tête supplémentaire.»

Beaucoup de zones rebelles avaient réussi à surmonter les problèmes de livraison alimentaire. Les magasins n’ayant pas fermé ont été suffisamment approvisionnés, même si ce n’était pas régulier.

Cela a commencé à changer à la mi-février, selon les fournisseurs et les vendeurs des deux côtés de la ligne de front. Plus tôt dans la semaine, environ 40 camions étaient stationnés sur le parking d’une station-service près du poste de contrôle gouvernemental à la périphérie de Kurkhove, le dernier obstacle avant d’arriver sur Donetsk.

Ihor Suleiman, un chauffeur originaire de Kharkiv, nous a dit qu’il attendait depuis cinq jours de pouvoir franchir ce poste de contrôle. «Nous, les chauffeurs, avons déjà tous les papiers en règle, mais ils nous refoulent quand même, dit il en faisant allusion aux troupes ukrainiennes. Mais que faire ? Ils ont des fusils et nous pas

Alors que les anecdotes à propos d’un blocus de plus en plus serré abondent, des chiffres exacts sur le niveau de restriction de l’approvisionnement à l’est sont difficiles à obtenir. Mais les commerçants de la zone rebelle le ressentent bien.

Même si quelques supermarchés de Donetsk semblent relativement bien approvisionnés, les marchés, les épiciers et les pharmaciens ont plus de peine.

Le deuxième étage d’une petite épicerie du centre ville a été fermé récemment. Il n’y avait tout simplement plus de marchandise à vendre, nous explique la patronne, Irina Baranova.

« Les fournisseurs nous ont dit que les camions étaient bloqués au poste de contrôle, sans droit de passage », ajoute-t-elle.

Le magasin de Baranova vend encore des produits laitiers, de l’alcool et des conserves, mais on n’y trouve plus ni jus de fruits ni eau minérale.

La pharmacienne d’un drugstore situé à quelques mètres de là nous a dit qu’aucun réapprovisionnement n’est arrivé depuis une semaine. Comme les prix des médicaments augmentent presque tous les jours, les clients ont fait toutes les réserves possibles, nous dit-elle.

Kachanovetsky, le fonctionnaire des douanes, a tout fait pour que la procédure pour franchir les postes de contrôle soit simple. Les fonctionnaires des impôts inspectent le chargement et vérifient les papiers du chauffeur avant de donner le feu vert à tous ceux qui sont en règle, soutient-il.

Mais les faits montrent que les choses ne sont pas si simples.

Sur l’immense marché de Donetsk, datant de l’ère soviétique, où les fermiers vendaient leurs produits et avaient l’habitude de joyeusement interpeller les clients potentiels, les allées sont maintenant vides et silencieuses.

Un des marchands restants, le boucher Vladimir Vasko, vend ses propres produits à coté de marchandises provenant du côté gouvernemental.

«Cela n’a jamais été ainsi avant, nous dit Vasko, qui ne pouvait nous offrir que le lard traditionnel ukrainien appelé salo. « Avant c’était dur mais encore gérable. Maintenant nous n’avons plus de marchandises, les entrepôts sont vides.»

Traduit par Wayan, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone

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