Le 11 août 2016 – Source Kathehon
La sortie de la Turquie de l’OTAN a été la question de cette semaine. Le fait que l’alliance a publié une déclaration d’urgence sur la question montre que Bruxelles perçoit l’évasion de la Turquie de l’alliance prédatrice comme une perspective très probable.
Le communiqué de presse officiel de l’OTAN a suivi la fin de la rencontre entre le président russe Vladimir Poutine et le président turc, Recep Tayyip Erdogan. La question de la Turquie se retirant de l’OTAN n’a pas été officiellement à l’ordre du jour, mais les atlantistes ont raison d’être alarmés. La visite de M. Erdogan en Russie et le renforcement de la coopération entre les deux pays sur des questions stratégiques majeures, comme la Syrie, témoignent de l’échec des plans pour pousser les deux puissances au conflit. Si l’on considère la réunion des deux présidents dans le contexte de la récente visite du Président du Kazakhstan Nursultan Nazarbayev à Ankara et du sommet qui a eu lieu entre les dirigeants de la Russie, de l’Azerbaïdjan et de l’Iran à Bakou, alors il est compréhensible que ce qui est en jeu soit non seulement le rétablissement des relations d’avant la crise, mais aussi un puissant pas en avant vers l’intégration de la Turquie dans le processus d’intégration eurasienne et de sa possible future adhésion à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).
L’appartenance simultanée à l’OCS et à l’OTAN est peu probable. Les deux organisations se perçoivent mutuellement comme ennemies. Le rapprochement avec la Russie, l’Iran et la Chine suggère une rupture avec les États-Unis. Ce sont des maximes géopolitiques. Cependant, la Turquie n’a pas encore déclaré qu’elle était prête à se retirer de l’OTAN. Comment cela peut-il s’expliquer ? L’OTAN est-elle un garant de la sécurité de la Turquie au moins dans une certaine mesure ?
Pour commencer, rappelons-nous que l’adhésion de la Turquie à l’OTAN en 1952 était due à des revendications territoriales posées par l’Union soviétique. De 1945 à 1953, l’Union soviétique a proposé la création d’une base dans la région du détroit de la mer Noire, ainsi que du retour de sa frontière caucasienne à celle de la Russie et de l’empire ottoman en 1878. Actuellement, la Russie ne revendique rien sur le Bosphore et les Dardanelles et il n’y a pas de frontière commune entre les deux pays – la Turquie et la Russie – dans le Caucase du Sud. De même, il n’y a plus d’Union soviétique, dont l’expansion de l’idéologie communiste était un point de friction et une autre justification pour l’adhésion de la République turque à l’OTAN. Ainsi, les facteurs qui ont causé cette adhésion ne sont plus pertinents. En outre, la nouvelle alliance entre la Russie et la Chine supprime de l’ordre du jour, en principe, le facteur d’une menace militaire russe.
Hypothétiquement, l’article 5 du Traité de Washington promet à la Turquie le soutien d’autres pays membres de l’OTAN dans le cas d’une agression extérieure. Dans la pratique, cependant, les mesures d’intervention dans le cadre des mécanismes d’exercice de l’article 5, sont laissées à la discrétion des États membres. Cela signifie qu’un État peut se limiter à une simple note diplomatique de soutien sans fournir aucune aide réelle. L’OTAN n’a jamais utilisé l’article 5 pour le cas d’un affrontement de la Turquie avec un autre État, malgré les tentatives de la partie turque de lancer le processus. Un exemple classique est la réponse de l’OTAN au conflit entre la Turquie et la Russie qui a éclaté en 2015 [avec l’attaque sur le Sukoi russe]. En 2010, au cours d’une période de conflit entre la Turquie et Israël, quand les Israéliens ont saisi le navire turc Mavi Marmara et assassiné des citoyens turcs, l’OTAN n’a rien fait pour protéger ou même soutenir la Turquie.
Soixante-dix bombes américaines nucléaires tactiques de type B61-12 sont stockées à la base aérienne d’Incirlik en Turquie située dans le sud du pays près de la frontière avec la Syrie. De 10 à 20 bombes sont destinées à être utilisées par la Force aérienne turque. Cela peut être considéré comme un facteur supplémentaire dans la sécurité du pays. Cependant, en raison de la présence de bombes américaines, la Turquie devient également une cible hypothétique pour des armes nucléaires russes. La Turquie n’a pas d’avions à longue portée et pourrait utiliser des bombes nucléaires uniquement avec le consentement de l’OTAN et à proximité de ses frontières. Il est difficile d’imaginer une situation dans laquelle la Turquie serait incapable de faire face aux menaces hypothétiques émanant du Moyen-Orient avec seulement des armes classiques.
Le différend territorial entre la Grèce et la Turquie en mer Égée et le soutien de la Turquie à la Chypre du Nord a toujours entaché les relations entre la Turquie et les pays européens de l’OTAN qui ne considèrent pas Ankara comme un allié bienvenu. Les pays de l’OTAN soutiennent les Kurdes en Syrie et ont même utilisé la base aérienne d’Incirlik mentionnée ci-dessus pour soutenir les unités du YPG kurdes. La Turquie considère le YPG comme une organisation terroriste. Une situation paradoxale se pose dans laquelle une base militaire turque est utilisée pour soutenir une organisation qui aide les séparatistes en Turquie.
De plus, les preuves de l’implication de l’OTAN dans le récent coup d’État se renforcent. La tentative de coup d’État du 15 juillet a montré les membres de la Force aérienne turque comme les participants les plus actifs. La force de l’air est considérée comme la structure la plus intégrée dans l’OTAN. La base d’Incirlik, déjà mentionnée, a été utilisé par les rebelles pour mener des frappes aériennes contre les autorités légales. Les trois régiments les plus importants de l’armée qui ont participé au coup d’État faisaient partie du Corps d’intervention turque de l’OTAN. Le général américain John F. Campbell, l’ancien commandant des forces de l’OTAN en Afghanistan, a été désigné par les médias pro-Erdogan comme l’un des principaux organisateurs du coup d’État. Des photos de l’ambassadeur américain en Turquie − John Bass avec un officier turc − prises juste avant le coup d’État manqué ont été publiées. Enfin, un employé turc de haut rang dans l’OTAN, le contre-amiral Mustafa Ugurlu, qui a travaillé aux États-Unis, a été accusé d’implication dans le complot et a demandé l’asile politique aux États-Unis.
Ainsi, l’OTAN a démontré qu’il y avait non seulement une menace externe, mais aussi une menace pour la sécurité intérieure en Turquie. L’appartenance du pays à l’OTAN signifie que l’infiltration des forces armées turques par des agents d’influence américaine continuera. Cela signifie que le risque de récidive du coup d’État subsiste également. Après tout, le coup d’État n’a pas seulement impliqué le réseau Gülen − il aurait été impossible sans le soutien de l’OTAN et la présence d’agents d’influence de l’OTAN dans les forces armées turques.
En fait, il n’y a pas de réels avantages pour les Turcs dans leur appartenance à l’OTAN. Quitter l’OTAN ne donnera pas lieu à des inconvénients graves. Mais rester dans l’OTAN va conduire à la perte du contrôle souverain de la Turquie sur ses propres forces armées, comme les événements récents l’ont montré. L’OTAN ne peut pas garantir la sécurité de la République turque et, au contraire, les membres de cette organisation et son dirigeant, les États-Unis, soutiennent les pires ennemis de la Turquie : les séparatistes kurdes. Il n’y a pas de raisons objectives pour la Turquie de rester dans l’OTAN. Seules les préoccupations subjectives demeurent.
L’une d’elles concerne apparemment le fait que la Russie, l’Iran et la Chine doivent offrir à la Turquie quelque chose en retour, une alliance institutionnalisée qui offre une sécurité collective réelle. Un autre problème est le puissant lobby pro-OTAN en République turque dans l’entourage de M.Erdogan et de son Parti de la justice et du développement, ainsi que, bien sûr, dans les forces armées turques. Il ne faut pas oublier que, malgré la démission de Ahmet Davutoglu, l’architecte de l’échec de la politique turque au Moyen-Orient et l’initiateur du conflit avec la Russie est bien apprécié dans l’Ouest, et il est encore proche d’Erdogan dans une certaine mesure. L’expérience historique d’autres dirigeants du Moyen-Orient montre que cette position politique en porte-à-faux des agents d’influence soutenus par l’Occident et restant dans l’entourage du premier cercle peuvent entraîner un nouveau coup d’État.
Katehon
Traduit et édité par jj, relu par Catherine pour le Saker Francophone
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