Par M.K. Bhadrakumar − Le 11 août 2020 − Source Indian Punchline
La remarque du président américain Donald Trump, lundi, selon laquelle le sommet du G7 du mois de septembre n’est plus dans l’agenda, laisse de nombreuses questions sans réponse. Nous ne savons pas pourquoi Trump a estimé qu’il était « beaucoup plus enclin à l’organiser (le sommet du G7) un peu après les élections ». Une fois de plus, Trump s’est régalé à rester vague sur son agenda, ce qui est compréhensible puisque le sommet du G7 dépend maintenant entièrement du résultat des élections de novembre.
Trump n’a pas non plus expliqué pourquoi le sommet du G7 ne se tiendra pas en septembre, ce qui lui aurait pourtant donné un certain élan sur la scène mondiale – et donné un coup de fouet à sa campagne. C’est la deuxième fois que Trump n’est pas en mesure d’accueillir un sommet du G7. En juin, les alliés, en particulier l’Allemagne, ont refusé catégoriquement – apparemment en raison de préoccupations liées à la pandémie.
Si le report de celui de septembre est également dû à la tiédeur des alliés européens, cela tourne à la rebuffade personnelle pour Trump. Tout ce qu’il a dit est : « Nous n’avons pas envoyé d’invitations. Nous sommes en discussion ». Si Trump perd les élections de novembre, les alliés européens pourraient être encore moins enclins à envoyer des représentants à Washington avant que Joe Biden n’entre en fonction, en janvier. L’insistance de Trump à inviter le président russe Vladimir Poutine au sommet du G7, qu’il a répétée hier, n’a pas été bien accueillie dans les capitales européennes.
En résumé, l’incapacité de Trump à organiser un sommet du G7 souligne le désenchantement général de l’Europe à son égard. L’héritage de Trump en matière de politique étrangère au cours de son premier mandat s’achève sur une note sombre, l’attention étant portée sur les dommages qu’il a infligés au partenariat transatlantique.
Trump aurait peut-être une chance de racheter son bilan en matière de politique étrangère si seulement les négociations américano-russes sur le contrôle des armements progressaient. Les premiers pourparlers bilatéraux officiels entre les États-Unis et la Russie sur la sécurité spatiale, depuis 2013, ont eu lieu à Vienne ce 27 juillet, parallèlement au deuxième cycle de réunions du groupe de travail sur le contrôle des armes nucléaires. Le renouvellement du nouveau START, qui expire en février prochain, est un fruit à portée de main.
Les pourparlers de Vienne portent également sur l’ancien traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (traité FNI), qui préoccupe au plus haut point les pays européens. La Russie a appelé à la reprise des discussions sur l’extension du traité FNI et Washington a laissé ouverte la possibilité que les négociations de Vienne incluent une extension du traité FNI. Une façon de surmonter la résistance européenne à inviter Poutine au sommet du G7 aux États-Unis pourrait être de lier ce sommet à un événement lié au contrôle des armements, en particulier le traité FNI.
La Russie considère le contrôle des armements comme un outil utile pour gérer sa concurrence militaire avec les États-Unis en la rendant moins dangereuse et moins coûteuse. En ce qui concerne les pays européens, le traité FNI a été historiquement le seul instrument bilatéral opérationnel de contrôle des armes nucléaires avec la Russie, axé sur la sécurité et la stabilité de l’Europe. En outre, le traité FNI a été la pierre angulaire de la sécurité européenne et sa signature en 1987 par les États-Unis et l’ancienne Union soviétique a été un signe avant-coureur du « vent de changement » politique dans les relations Est-Ouest.
De même, Trump semble être sérieux dans la recherche de formes de coopération avec la Russie qui tiendraient compte des intérêts des deux pays. Le prix du pétrole et le terrorisme sont deux de ces questions ; le contrôle des armes pourrait en être une autre. En matière de contrôle des armements, il existe également un rare « consensus bipartite » aux États-Unis en ce qui concerne le renouvellement du nouveau START.
Cela dit, Trump est imprévisible et le début des négociations sur la maîtrise des armements ne peut à lui seul persuader Moscou de baisser sa garde. Ainsi, le 7 août, le ministère russe des affaires étrangères a réagi à l’annonce du Pentagone du 29 juillet concernant d’autres déploiements américains en Pologne. Une déclaration à Moscou a averti que « de telles actions aggraveraient les tensions en Europe. Nous avons souligné plus d’une fois que les tentatives de nous dissuader par la force et d’intimider notre pays recevront une réponse appropriée et opportune ».
Le 29 juillet, lors d’une conférence de presse au Pentagone, le secrétaire à la Défense Mark Esper a annoncé un « plan de rotation vers la Pologne de l’élément principal du quartier général du nouveau Vème Corps d’armée, une fois que Varsovie aura signé un accord de coopération en matière de défense et un accord de partage des dépenses, comme promis précédemment. Il existe ou pourrait exister d’autres opportunités pour déplacer des forces supplémentaires en Pologne et dans les pays baltes ». Il est intéressant de noter qu’une semaine plus tard, dans une interview accordée à Fox News, Esper ajoutait que le déploiement à l’est (Pologne et pays baltes) visait à servir de « dissuasion » plus efficace contre la Russie. Il a déclaré que le déplacement des troupes vers l’est est logique car « la frontière s’est déplacée au fur et à mesure que l’alliance s’est agrandie ».
Le 7 août, le journal militaire officiel Krasnaya Zvezda (Red Star) a réagi avec force en lançant un avertissement sévère aux États-Unis, selon lequel la Russie percevra tout missile balistique lancé sur son territoire comme une attaque nucléaire justifiant une riposte nucléaire. Ceci est conforme à la doctrine militaire russe révisée qui énonce la nouvelle politique de dissuasion nucléaire permettant le « premier emploi », qui envisage l’utilisation d’armes nucléaires en réponse à une attaque nucléaire ou à une agression impliquant des armes conventionnelles qui « menace l’existence même de l’État ».
Moscou a exclu la participation de Poutine à un sommet du G7 qui exclurait la Chine ou aurait une orientation antichinoise. Cela dit, Trump pourrait penser qu’étant donné la volonté du Kremlin de progresser en matière de contrôle des armements – notamment l’extension du nouveau START – Poutine pourrait être ouvert à une visite aux États-Unis pour officialiser tout accord, une fois que le tumulte des élections américaines de novembre sera passé. Les remarques de Trump, hier, laissent entrevoir une telle possibilité lorsqu’il a déclaré que Poutine est un « facteur important ». Moscou en a pris bonne note.
Le calcul de Trump vise à faire bouger le triangle États-Unis-Russie-Chine en vue d’isoler la Chine. Poutine, en revanche, protégera l’entente russo-chinoise de tout dommage collatéral éventuel. Le 9 août, le ministère russe des affaires étrangères a publié une déclaration inhabituelle exprimant sa solidarité avec la Chine « sur la situation autour de l’opération de l’application de médias sociaux Tiktok aux États-Unis ».
Pendant ce temps, Pékin réaffirme nonchalamment sa position selon laquelle « ce n’est pas encore le bon moment » pour la Chine de se joindre aux négociations sur le désarmement nucléaire à Vienne. Et, Poutine et le président chinois Xi Jinping ont été les premiers dirigeants mondiaux à féliciter Alexandre Loukachenko pour sa réélection à la présidence de la Biélorussie.
M.K. Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone