Par Wayne Madsen – Le 1er juin 2017 – Source Strategic Culture
Chaque président américain, depuis Franklin D. Roosevelt, est connu pour avoir eu une politique étrangère doctrinale. C’était le cas jusqu’à ce que Donald Trump devienne président. Contrairement à ses prédécesseurs, la doctrine de la politique étrangère de Trump est de ne pas maintenir une doctrine au-delà d’une liste de points énumérant des objectifs de haute volée et génériques.
La doctrine Truman impliquait principalement le soutien militaire et économique à toute nation se sentant menacée par le communisme ou l’Union soviétique. La doctrine Truman a favorisé la création de l’OTAN et a commencé à lier les États-Unis, par traité, à la sécurité d’autres pays. La doctrine Eisenhower a élargi la doctrine Truman. En vertu de celle-ci, toute nation supposée menacée par « le communisme international », et pas seulement l’Union soviétique, avait droit à l’aide militaire et économique des États-Unis. La doctrine Eisenhower a entraîné l’intervention des États-Unis dans la guerre d’Indochine. La doctrine Kennedy a continué sur le thème du confinement du communisme, en particulier en Amérique latine. La doctrine de Johnson s’est développée sur les trois doctrines précédentes en engageant les États-Unis à défaire les insurrections communistes avant que les gouvernements de gauche ne puissent prendre le pouvoir. La poursuite de l’intervention américaine en Indochine, ainsi qu’en République dominicaine, a été la caractéristique de la doctrine Johnson.
Il a fallu attendre la doctrine de Nixon pour que les États-Unis commencent à revenir sur l’idée de leur rôle de « gendarme du monde ». L’élément clé de la doctrine de Nixon était que les États-Unis aideraient leurs alliés à se défendre mais ne seraient pas responsables de la défense de toutes les nations dans le monde. Selon la doctrine Nixon, la politique de la guerre du Vietnam a insisté sur la « vietnamisation » du conflit, concept à partir duquel le Vietnam du Sud a été contraint de prendre en charge sa propre défense, avec le soutien des États-Unis. Le président Gerald Ford a maintenu la doctrine Nixon. La doctrine Carter stipulait que les États-Unis utiliseraient la force militaire pour défendre leurs intérêts dans le golfe Persique, mais a également souligné l’importance des droits de l’homme dans le monde entier. La doctrine Reagan a confirmé l’engagement de Carter dans le domaine des droits de l’homme et a étendu l’assistance militaire des États-Unis aux forces des guérillas anticommunistes. La doctrine Reagan a aussi aidé à ouvrir la voie à la création de groupes islamistes radicaux en Afghanistan. Ces groupes donneraient plus tard naissance à al-Qaïda, aux talibans et à État islamique. George H. W. Bush a continué la doctrine Reagan jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique.
La doctrine Clinton a ouvert la voie à une intervention américaine dans n’importe quel pays où les civils étaient considérés comme étant en danger. Cette doctrine a poussé au « nation building » (changement de régime) et a servi de base à l’intervention des États-Unis dans les Balkans, en Haïti et en Somalie. La doctrine George W. Bush a déclaré que les États-Unis, avec leurs partenaires dans une « coalition des volontaires », peuvent intervenir dans tout pays qui aurait pu abriter des terroristes internationaux. Cette doctrine était le fondement des invasions américaines de l’Afghanistan et de l’Irak. La doctrine Obama a reconnu qu’il y avait des limites à l’intervention des États-Unis dans les affaires des autres nations. Au lieu de cela, les interventions visant à apporter des changements politiques ont été externalisées à des acteurs non étatiques, y compris des organisations non gouvernementales financées par des individus comme George Soros.
La doctrine de Trump est de n’avoir aucune doctrine déterminée, quelle qu’elle soit. Trump a salué différents hommes forts dans le monde, y compris Kim Jong-un de Corée du Nord, le roi Salman d’Arabie saoudite et le président des Philippines, Rodrigo Duterte. Pendant ce temps, l’ambassadrice des États-Unis aux Nations Unies, Nikki Haley, a promu les droits de l’homme et des programmes multinationaux d’assistance aux réfugiés. Cela a irrité les tenants du slogan « America First » (l’Amérique d’abord) au sein de la Maison Blanche, y compris le stratège et conseiller présidentiel de Trump, Steve Bannon, mettant en péril la poursuite de l’activité de Haley au siège des États-Unis aux Nations Unies.
La « non-doctrine » de politique étrangère de Trump a été mise en pleine lumière lors de son premier voyage à l’étranger. Le secrétaire de presse de la Maison Blanche, Sean Spicer, a réellement déclaré quelque chose de vrai lors de sa conférence de presse controversée du 30 mai 2017. Il a déclaré que le voyage de Donald Trump était « sans précédent ». Le problème pour Trump et Spicer est que le voyage était certes « sans précédent », mais pas au point d’être considéré comme l’inauguration d’une « doctrine » particulière.
Trump a proposé la création d’une « OTAN arabe » avec ses alliés au Moyen-Orient. À la suite de quoi, l’Arabie saoudite, suivie par les Émirats arabes unis, a mené une bataille diplomatique avec le Qatar au sujet de rapports selon lesquels le Qatar considérerait l’Iran, le pire ennemi des Saoudiens, comme un « géant régional ». Les Saoudiens et les Émiratis ont rappelé leurs ambassadeurs à Doha et bloqué l’accès Internet aux sites d’information qataris, y compris Al Jazeera. L’Égypte, un futur membre de l’OTAN arabe de Trump, a suivi les Saoudiens et les Émirats arabes unis en bloquant l’accès à Al Jazeera.
Pendant ce temps, le Koweït a irrité les Saoudiens et les Émiratis en essayant d’être un intermédiaire neutre entre le Qatar et l’Arabie saoudite / Émirats. Le Bahreïn, dont le régime réformiste wahhabite a été loué par Trump lors du sommet entre les États-Unis et les pays musulmans à Riyad, a affirmé son alliance avec les Saoudiens en bloquant également l’accès à Al Jazeera et en rappelant son ambassadeur au Qatar. Bahreïn a également lancé une autre attaque sanglante contre sa majorité chiite.
Le cheikh Tamim bin Hamad Al Thani, du Qatar, a irrité l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte en déclarant aux recrues du service national du Qatar que le pays soutenait le Hamas et le Hezbollah. Les Saoudiens et leurs alliés, y compris l’Égypte, ont depuis longtemps soutenu que le gouvernement du Qatar était dominé par des sympathisants des Frères musulmans. L’administration Trump, qui a pris parti pour les Saoudiens, aurait envisagé des sanctions contre le Qatar pour son soutien au Hamas et au Hezbollah. Mais l’inclinaison des États-Unis en faveur des Saoudiens a mis en péril l’utilisation permanente de l’immense base aérienne d’Al Udeid, au Qatar, comme siège des opérations du Commandement central des États-Unis dans la région. Le Qatar a accusé les Saoudiens d’utiliser leur influence sur l’administration Trump pour mener une campagne de propagande anti-Qatar à Washington.
Les rapports sur une réunion secrète à Bagdad entre le ministre des Affaires étrangères du Qatar, Cheikh Mohammad Bin Abdul Rahman Al Thani, et Qasim Sulaiman, un haut responsable militaire de la force Al Quds de la garde révolutionnaire iranienne, ont encore enflammé les relations entre les Qataris et d’autres membres du Conseil de coopération du Golfe. Oman a, comme le Koweït, refusé de prendre parti dans la querelle entre Riyad et Doha. Oman a des liens économiques étroits avec l’Iran.
La famille Al-Shaikh d’Arabie saoudite, qui prétend être descendante directe du fondateur du wahhabisme, Muhammad Ibn Abd al-Wahhab, a exigé que le Qatar modifie le nom de la plus grande mosquée du pays, la Mosquée Shaikh Muhammad ibn Abd al-Wahhab, baptisée du nom du fondateur du wahhabisme. La division entre l’Arabie saoudite et le Qatar, tous deux wahhabites, représente un schisme sans précédent au sein de la secte islamique radicale.
Le Pakistan apporte un soutien discret au Qatar. Les Saoudiens ont mis en colère le Premier ministre du Pakistan, Nawaz Sharif, qui s’est rendu au sommet de Riyad pour découvrir que le roi saoudien Salman n’avait pas prévu de réunion bilatérale Trump-Sharif à l’ordre du jour. Le roi Salman s’est ensuite excusé auprès de Sharif, mais il était trop tard. Les médias pakistanais ont reçu le feu vert pour décrire le sommet de Riyad avec Trump, comme un « théâtre de l’absurde ». Le Pakistan a également ordonné au général Rahul Sharif de quitter l’Arabie saoudite. Le général Sharif était le représentant du Pakistan à l’Alliance militaire islamique à Riyad, l’embryonnaire « OTAN » du Moyen-Orient envisagé par Trump.
Bien que les Saoudiens et les Émiratis semblent être au diapason au sujet du Qatar, ils n’y sont pas quand il s’agit de la guerre civile au Yémen. Abu Dhabi a rompu avec Riyad et soutient, dans cette guerre, des factions qui favorisent l’indépendance du Yémen du Sud, quelque chose que les Saoudiens refusent vigoureusement.
En définitive, l’idée de Trump d’une « OTAN arabe » est maintenant en lambeaux et ses futurs membres se prennent maintenant à la gorge. La situation de l’OTAN n’est guère meilleure à la suite de la participation de Trump au sommet de l’organisation à Bruxelles.
Au Monténégro, l’opposition qui était contre l’adhésion du pays à l’OTAN, fulmine contre la bousculade, par Trump, du Premier ministre pro-OTAN du Monténégro, Dusko Markovic. Lors d’une séance de photos, le 25 mai à Bruxelles, Trump a grossièrement écarté Markovic de manière à pouvoir se tenir devant les autres dirigeants de l’OTAN face aux caméras. Markovic a minimisé l’action de Trump, la déclarant « inoffensive », mais l’opposition monténégrine a pris cela comme une insulte au Monténégro. Le Front démocratique de l’opposition a éreinté Markovic pour avoir « justifié » le comportement agressif de Trump. L’agence de presse russe TASS au Monténégro a signalé qu’un certain nombre de Monténégrins exigeaient que des sanctions soient imposées aux États-Unis pour avoir « humilié » Markovic. Le Monténégro devrait officiellement devenir un membre de l’OTAN le 5 juin 2017.
La nouvelle « doctrine Trump », qui est essentiellement une collection vide de déclarations à la cantonade de politiques disjointes, fracture des alliances séculaires provoquant ainsi l’émergence de nouveaux blocs et alliances. À la suite de l’amère querelle entre Trump et la chancelière allemande Angela Merkel, une nouvelle alliance semble se former entre l’Allemagne et la France, qui pourrait voir Paris opérer conjointement une force de frappe nucléaire indépendante avec Berlin. D’autres membres de l’OTAN cherchent également à établir de nouvelles alliances qui ne soient pas fondées sur des principes transatlantiques traditionnels.
Pendant ce temps, le président du Comité des services armés au Sénat, le sénateur John McCain, voyage dans le monde et parle avec des gouvernements étrangers, en proposant sa propre politique étrangère mondialiste. Cela a conduit certains responsables de l’administration de Trump à envisager d’inculper McCain pour violation d’une loi des États-Unis. En effet, le paragraphe 953 de la loi Logan, interdit aux citoyens américains non autorisés de négocier de manière indépendante avec des gouvernements étrangers. La lutte contre le terrorisme au sein du gouvernement des États-Unis et entre les alliés américains a abouti à un résultat essentiel : le « Projet pour le nouveau siècle américain », néoconservateur et néolibéral est maintenant un cadavre mort et pourrissant.
Wayne Madsen
Traduit et édité par jj, relu par Catherine pour le Saker Francophone
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