Par The Saker – Le 21 juin 2019 – Source thesaker.is
La première chose à dire ici est que nous n’avons aucun moyen de savoir ce qui s’est réellement passé. À tout le moins, il y a deux hypothèses possibles qui pourraient expliquer l’événement :
1) Une provocation américaine : il est tout à fait possible que quelqu’un dans la chaîne de commandement américaine ait décidé de mettre l’Iran sous pression et que le passage d’un drone américain à proximité de la frontière internationale, voire même à l’intérieur, serait une façon de montrer à l’Iran que les États-Unis sont prêts à attaquer. Si tel est le cas, il s’agit là d’un semi-succès – les Iraniens doivent allumer leurs radars pour attaquer le drone, ce qui est très bon pour la collecte de renseignements par les américains – et d’un demi-échec – puisque les Iraniens n’ont clairement pas été impressionnés par le spectacle de la détermination américaine.
2) Une provocation iranienne : oui, c’est une possibilité théorique qui ne peut pas être rejetée à première vue. Dans ce scénario, ce seraient bien les Iraniens qui ont fait exploser les deux pétroliers la semaine dernière et ils ont également délibérément abattu le drone américain au-dessus des eaux internationales. Le but ? Simple : montrer que les Iraniens sont motivés et prêts à escalader et qu’ils sont convaincus qu’ils prévaudront.
Maintenant, dans le monde réel, il y a beaucoup plus d’options, y compris même des combinaisons de différentes options. Ce qui compte maintenant, ce n’est pas cela, c’est la réaction de Trump :
Maintenant, qu’il s’agisse d’une provocation américaine ou iranienne, la réaction de Trump était la seule bonne décision. Pourquoi ? Parce que les risques inhérents à toute frappe américaine «plus que symbolique» seraient si importants qu’ils annuleraient tout motif d’une telle frappe. Pensez-y : nous pouvons être très confiants que les installations militaires iraniennes le long du golfe Persique et de la frontière méridionale de l’Iran sont extrêmement redondantes et que, quel que soit le succès d’une frappe américaine de missile, les capacités militaires réelles de l’Iran ne seraient pas touchées. Le seul moyen pour les États-Unis de dégrader efficacement les capacités iraniennes serait de lancer une attaque de plusieurs jours contre toute la zone sud de l’Iran. En d’autres termes, une vraie guerre. Toute autre solution serait tout simplement dénuée de sens. Les conséquences d’une telle attaque seraient toutefois, selon les mots de Poutine, «catastrophiques» pour toute la région.
S’il s’agissait d’une provocation iranienne, elle visait à faire comprendre à l’empire que l’Iran était également très «déterminé, armé et prêt à basculer». Mais si tel était le cas, il n’y aurait aucune chance qu’une frappe limitée permette d’obtenir quelque chose. En fait, toute attaque symbolique de la part des États-Unis ne ferait que montrer aux Iraniens que ceux-là sont craintifs et que tout le remue-ménage guerrier qui se fait entendre aux États-Unis est totalement vain.
Je n’ai pas dit une chose pareille depuis plusieurs mois, mais dans ce cas, je ne peux qu’admettre que Trump a fait la bonne chose. Aucune attaque limitée n’a également de sens, même si nous supposons que l’Empire a pris la décision d’attaquer l’Iran et attend le moment idéal. Pourquoi ? Parce que plus longtemps les Iraniens pensent qu’une attaque est possible, plus ils ont besoin de temps, d’énergie et d’argent pour rester en alerte maximale.
La théorie de base de l’attaque et de la défense énonce clairement que l’attaquant peut avoir un avantage majeur s’il peut laisser l’autre partie dans l’ignorance de ses projets et si le coût d’être prêt pour une attaque surprise est inférieur au coût d’une alerte maximale permanente – les personnes intéressées par le rôle et l’importance de l’attaque surprise dans la théorie de la dissuasion peuvent lire l’excellent livre de Richard Betts intitulé « Surprise Attack : lessons for defense planning ».
Quelle est la véracité de cette histoire selon laquelle Trump aurait annulé une attaque américaine à la dernière minute ? Il est impossible de le savoir, mais il me semble qu’il est certain que les néocons autour de Trump voulaient la frappe. Mais il est également plausible – même si cela n’est pas certain – qu’au moins deux groupes auraient pu s’opposer à une telle frappe :
1) Les planificateurs du CENTCOM et / ou du Pentagone.
2) Les planificateurs de la campagne de réélection de Trump.
Les premiers feraient pression contre une telle frappe simplement sur les bases militaires saines mentionnées ci-dessus. Quant au deuxième groupe, ils ont probablement décidé – correctement – que si Trump déclenche une guerre avec l’Iran pour laquelle personne n’a de «stratégie de sortie», cela pourrait entraîner un retour de flamme énorme pour toute la région et annihiler les chances de réélection de Trump.
Dans ce cas, que Trump ait écouté l’un ou l’autre groupe ou ait simplement suivi son instinct, il semble probable qu’il – ou peut-être un «Trump collectif» – a dit «Non, je n’autorise pas cela». Dans ce cas, il mérite nos louanges et notre sincère gratitude, quelles que soient ses actions et inactions passées.
En conclusion, je voudrais montrer le genre de propagande de guerre incroyablement stupide, incroyablement ignorante et criminellement irresponsable que les médias soi-disant « conservateurs » américains ont vomi. Découvrez celui-ci (vidéo en anglais) :
La logorrhée au drapeau agité de Hannity est exactement le genre de non-sens total qui provoquera tôt ou tard une catastrophe militaire majeure suivie par un effondrement de l’Empire lui-même – pour une description détaillée de ce qui est susceptible de se produire, veuillez lire le superbe ouvrage de John Michael Greer, «Twilight’s Last Gleaming» [La dernière lueur du crépuscule]. Le grand nombre de choses contre-factuelles et manifestement stupides que Hannity parvient à débiter en un peu moins de sept minutes est, en soi, un exploit remarquable.
Oui, c’est un jour triste où il faut se réjouir que le président des États-Unis soit un peu moins stupide et moins ignorant que l’un des plus grands bavards de la meute d’idiots US, mais nous vivons une période vraiment tragique et extrêmement dangereuse. Et dans ces moments-là, nous devons être reconnaissants de tout ce qui, même minime, retarde l’inévitable guerre au Moyen-Orient – ou même dans le monde.
Ceci étant dit, où allons-nous maintenant à partir de tout ça ?
Mon estimation personnelle, et ma spéculation presque sans fondement, sont que l’attaque sur les deux pétroliers était probablement une opération israélienne sous faux drapeau qui n’a pas réussi à obtenir les résultats escomptés. Notez que l’attaque elle-même n’a pas eu lieu à l’intérieur du détroit d’Ormuz, mais au sud de celui-ci, dans des eaux comparativement plus ouvertes, où un sous-marin israélien, ou un navire de surface spécialisé, avait moins de risques d’être détecté par les Iraniens et une bien meilleure chance de s’échapper. Par exemple, regardez la deuxième carte ci-dessous et voyez par vous-même comment le gradient de profondeur évolue rapidement dans le golfe d’Oman.
Lorsque cette attaque a échoué, les Israéliens et leurs agents néocons ont décidé de se livrer à une autre provocation, utilisant cette fois un drone américain. Je pense qu’en termes de localisation, le drone volait à l’intérieur de l’espace aérien iranien, mais probablement encore au-dessus de l’eau pour permettre à l’Empire de faire valoir son échappatoire habituelle – créée par la CIA – de «déni plausible» en cas de coup dur.
Lorsque les Iraniens ont abattu le drone américain, beaucoup de personnes aux États-Unis voulaient probablement savoir exactement où volait ce drone au moment de son interception, et puisque les Iraniens disposent certainement de nombreuses données radar et de guerre électronique pour prouver que le drone était dans l’espace aérien iranien, la seule ligne de conduite sûre aurait été d’exprimer toutes les formes de protestation mais pas de prendre des mesures unilatérales – et donc, illégales.
Il est également remarquable que les États-Unis aient demandé que le cas des deux pétroliers et la destruction du drone soient discutés au Conseil de sécurité des Nations Unies. Considérant que tant la Russie que la Chine opposeront leur veto à toute résolution condamnant l’Iran, cela semble également être une tentative de trouver un prétexte pour ne pas entrer en guerre.
Bien sûr, cela pourrait aussi être une opération psychologique (PSYOP) stratégique destinée à endormir les Iraniens dans un faux sentiment de sécurité. Si tel est le plan, il échouera : les Iraniens vivent avec une cible anglo-sioniste peinte sur le front depuis 1979 et ils sont habitués à vivre sous une menace constante de guerre.
En conclusion, je suis actuellement très légèrement optimiste (48-52%) sur le fait que les États-Unis n’attaqueront pas l’Iran à court terme.
À long terme, toutefois, j’estime qu’une attaque anglo-sioniste est une quasi-certitude.
The Saker
Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone