Par Nicolas Bonnal – Le 16 février 2017 – dedefensa.org
Le 21 décembre 1963, un mois après un inopiné accident de voiture, l’ex-président Truman, célèbre pour sa doctrine éponyme, sa Guerre Froide, sa bombe d’Hiroshima, sa guerre de Corée, sa bombe de Nagasaki, son Otan et autres merveilles rédige une maladroite lettre publiée le matin et censurée le soir-même.
Il s’interroge sur le destin de son enfant terrible, la CIA. Et sans le vouloir il nous révèle (confesse ?) plus de choses que dix imaginatifs articles conspirateurs. Cochin et Tocqueville nous le disaient déjà (lisez mon livre sur Littérature et conspiration) : pourquoi en effet avoir recours aux conspirations quand il s’agit le plus souvent de pratiquer la théorie de la constatation dans les textes officiels ? Le système est en effet sûr de lui : il ne cesse de confesser ses crimes et ses erreurs, préférant se fier à notre ineptie !
Truman regrette donc le détournement et la détérioration de la CIA (pour notre ami Ralph Raico, la CIA est dès le début « comiquement inepte », inspiratrice de coups pourris et des pires scénarios hollywoodiens – voyez et revoyez le génial film germano-américain Red avec Bruce Willis). Et cela donnait ceci : Truman rappelle que l’on avait besoin d’intelligence et d’informations pour mieux agir. Son efficacité, écrit-il avec pompe, dépend de la qualité de ses informations. Or cette information, toute cette intelligence s’entasse et devient encombrante. Il y a tant d’agences et de sous-branches qui en collectent… Truman précise alors qu’il en résulte des conclusions conflictuelles. Cela lui rappelle cet ordinateur qui pronostiquait la victoire au Vietnam pour 1965. On était en 1967. Le temps passe, surtout si on ne sait pas le remonter.
Conclusions conflictuelles, Monsieur le Président ? Les uns prônent le bombardement, les autres l’extermination ?
Enfin, une belle cerise sur le gâteau : l’ex-mandataire de la plus grande puissance du monde (et de tous les temps d’ailleurs) rappelle que l’on accumulerait des rapports orientés pour renforcer des décisions déjà prises (l’Irak et les ADM ; la Russie et ses invasions ; la Syrie et ses armements chimiques ; l’Iran et le terrorisme).
C’est à croire que les sévices secrets travaillent comme notre presse aux ordres. Comme les courtisans du roi nu d’Andersen ils s’aveuglent pour mieux servir les desiderata du nouveau pion élu ! Iran, prends garde.
De toute manière un président ça sert d’abord (comme la géographie de notre Yves Lacoste) à faire la guerre. Que lui importe l’intelligence alors ? À creuser un peu plus le déficit budgétaire alimenté par une dette immonde infinie. Mon vieux maître John Flynn se plaignait de la dette à 46 milliards, de la dette à 252 milliards, on a maintenant la dette à vingt mille milliards, demain à trois millions de milliards.
Les mécontents et les Iraniens iront se faire voir sous le futur tapis persan de bombes avec la bénédiction de nos rédactions.
On continue avec notre lyrique ex-président (un ex-président est souvent converti en clown, revoyez l’émouvant film Point Break). Il voulait une organisation spéciale pour synthétiser les rapports de toute source disponible. Truman voulait une information sûre et à l’état pur (natural raw) comme le pétrole texan.
Les années passent et le jouet coûteux et comiquement inepte s’enraye très vite : l’ex-président explique que la CIA a été détournée de ses objectifs premiers, que cela pose problème et accroît les difficultés dans des zones explosives ! Truman ajoute qu’il n’avait pas pensé qu’en temps de paix (les USA en temps de paix ?) la CIA serait projetée dans des opérations cape et poignard (cloak and dagger !) Revoyez les meilleurs Gary Cooper. Truman ajoute que cela ne fait pas une bonne publicité à la vieille maison. La CIA est alors considérée comme un « symbole d’intrigue étrangère sinistre et mystérieuse, et un sujet pour la propagande ennemie de la guerre froide. »
Comme on sait tout s’est bien terminé, une grande partie des anciens bureaucrates communistes ayant fait de leur pays une « plantation coloniale » (Eric Zuesse) pour les capitaux américains : Chine, Vietnam, la Russie sous Eltsine.
Truman se sent un peu plus en position de faiblesse : il rappelle que la propagande communiste et anti-coloniale insiste beaucoup sur la violence des opérations US. Donc il faudrait éviter que la CIA soit considérée comme opérant une influence subversive dans les affaires des autres peuples. À transmettre à Sarkozy et à Hollande.
Je serai bien d’accord avec la vieille propagande communiste et antiimpérialiste de l’époque : le capitalisme exploiteur, les fauteurs de guerre (war-monger), les monopoles, l’impérialisme yankee, tout cela ne me semble pas du tout un non-sens…
Après cette confession au Grand Architecte de cet Univers, le vœu pieux, toujours dans un anglais d’opérette : il faut restaurer la CIA dans ses objectifs originaux de bras de l’intelligence du président.
Tu parles comme ils t’ont écouté, Harry. Le soir-même l’article de l’ancien président était censuré partout. On le retrouve aujourd’hui, mais comme nous sommes peu à le lire, peu à lire !
Une autre cerise sur le gâteau : nous avons grandi comme une nation respectée pour ses institutions libres et notre capacité à maintenir une société libre et
ouverte (free and open society).
Open society, notre société ouverte ? On croyait que c’était Soros. Il faudra d’ailleurs qu’un jour j’explique ce que cela veut dire à la lumière de Bergson.
En tout cas on n’est pas sortis de leur auberge américaine !
Terminons. Sur la CIA et l’intelligence, on oublie le pauvre Jean et on rappellera ces fortes paroles de Job, 28 : « se retirer du mal, c’est l’intelligence. »
Nicolas Bonnal
Bibliographie
Bergson – Les deux sources de la morale et de la religion.
La Bible – Job, 28
Nicolas Bonnal – Littérature et conspiration ; les grands auteurs à l’âge des complots (Dualpha)
John T. Flynn – Forgotten lessons (Mises.org)
Ralph Raico – Great leaders, a libertarian rebuttal (Mises.org)
Nicolas Bonnal Né en 1961. Participe au Libre Journal, à fr.sputniknews.com et à de dedefensa.org. Etudie les liens entre occultisme et politique et la notion de « présent perpétuel » dans la modernité libérale.
Par Harry S Truman – Le 21 décembre 2017 – maebrussell.com
Limiter le rôle de la CIA au renseignement
INDEPENDENCE, 21 décembre 1963. – Je pense qu’il est devenu nécessaire de revoir l’objectif et les opérations de notre Agence centrale de renseignements (CIA). J’aimerais au moins soumettre ici la raison originale pour laquelle j’ai pensé qu’il était nécessaire d’organiser cette Agence pendant mon administration, ce que j’attendais d’elle et comment elle devait fonctionner comme un prolongement du Président.
Je pense qu’il est assez évident que, dans l’ensemble, le rendement du président est d’autant plus efficace qu’il possède l’information et qu’il obtient des renseignements. C’est-à-dire que si on pense que le Président lui-même possède une connaissance de notre histoire, une compréhension sensible de nos institutions et un aperçu des besoins et des aspirations du peuple, il doit avoir à sa disposition les informations les plus précises et les plus à jour sur ce qui se passe partout dans le monde, et en particulier des tendances et des développements dans tous les endroits dangereux dans la lutte entre l’Est et l’Ouest. C’est une tâche immense et cela nécessite un type particulier de source de renseignement.
Bien sûr, chaque président a à sa disposition toutes les informations recueillies par les nombreuses agences de renseignement déjà existantes. Les ministères de l’État, de la Défense, du Commerce, de l’Intérieur et d’autres sont constamment engagés dans une vaste collecte d’informations et ont fait un excellent travail.
Mais leurs informations collectées arrivaient trop souvent au Président avec des conclusions contradictoires. Parfois, les rapports sur ces renseignements tendaient à être présentés pour se conformer aux positions établies d’un département donné. Cela devient déroutant et, ce qui est pire, de tels renseignements sont bien peu utiles à un président pour prendre les bonnes décisions.
Par conséquent, j’ai décidé de créer une organisation spéciale chargée de recueillir tous les rapports de renseignement de toutes les sources disponibles et de faire en sorte que ces rapports me parviennent en tant que président sans « traitement » ni interprétation d’un quelconque département.
Je voulais et j’avais besoin d’une information dans son état « brut » et dans un volume assez complet pour qu’il soit pratique pour moi d’en faire pleinement usage. Mais la chose la plus importante dans cette initiative était de se prémunir contre la possibilité que ces renseignements soient utilisés pour influencer ou conduire le président à prendre des décisions imprudentes et je pensais qu’il était nécessaire que le président fasse sa propre réflexion et évaluation.
Puisque la responsabilité de la prise de décision était la sienne, il devait s’assurer qu’aucune information ne lui était cachée, quelle qu’en soit la raison, à la discrétion d’un ministère ou d’un organisme, ou que des faits désagréables lui soient cachés. Il y a toujours ceux qui veulent protéger un président contre les mauvaises nouvelles ou les erreurs de jugement pour lui épargner des « déconvenues ».
Depuis quelque temps, je suis troublé par la manière dont la CIA a été détournée de son affectation initiale. Elle est devenue un organe opérationnel et parfois une composante politique du gouvernement. Cela a causé des problèmes et cela peut avoir aggravé nos difficultés dans plusieurs zones explosives.
Je n’ai jamais pensé, lorsque j’ai créé la CIA, qu’elle serait impliquée dans des opérations secrètes en temps de paix. Certaines des complications et des embarras que nous avons vécus sont en partie attribuables au fait que cette force de renseignement douce du Président se soit tenue si éloignée de son rôle prévu, à tel point que cela est interprété comme un symbole d’intrigue sinistre et mystérieuse à l’étranger et un sujet pour la propagande ennemie dans la guerre froide.
Avec tout le non-sens de la propagande communiste sur « l’impérialisme yankee », le « capitalisme exploiteur », les « fauteurs de guerre », les « monopoles », dans leur assaut contre l’Occident, la dernière chose dont nous avions besoin, c’était que la CIA soit perçue comme quelque chose d’apparenté à une influence subversive dans les affaires des autres.
Je connaissais bien le premier directeur temporaire de la CIA, Amiral Souers, et les directeurs permanents postérieurs de la CIA, le général Hoyt Vandenberg et Allen Dulles. Ce sont des hommes avec les plus hauts niveaux de personnalité, de patriotisme et d’intégrité – et je suppose que c’est le cas de tous ceux qui continuent de la diriger.
Mais il y a maintenant quelques questions qui doivent trouver leurs réponses. J’aimerais donc que la CIA soit réintégrée dans sa mission initiale en tant que service du renseignement du Président avec tout ce qu’elle peut accomplir correctement dans ce domaine spécial – et que ses autres fonctions opérationnelles soient terminées ou déléguées à d’autres services.
Nous avons grandi en tant que nation, respectés pour nos institutions libres et pour notre capacité à maintenir une société libre et ouverte. Il y a quelque chose sur la façon dont la CIA a fonctionné qui jette une ombre sur notre position historique et je sens que nous devons corriger cela.
Harry S Truman
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone