Tom Petty avait raison


Par James Howard Kunstler – Le 29 avril 2019 – Source kunstler.com

Comment expliquer que les Américains soient les personnes les plus anxieuses, les plus craintives et les plus stressées parmi les nations supposées avancées ? Ne vivons-nous pas dans la plus grande utopie démocratique du monde où les rêves deviennent réalité ?


Et si le rêve nous rendait fous ? Et si nous avions conçu une société dans laquelle la fantaisie a si grotesquement pris le pas sur la réalité qu’il est presque impossible de faire face à la vie quotidienne. Que se passerait-il si une existence médiée par des écrans pixel grands et petits présentait un monde virtuel plus fascinant que le monde réel et s’avérait être une sorte de comportement d’évitement contagieux – jusqu’à ce que la réalité soit tellement fugitive que nous pouvons à peine discerner ses couleurs et ses contours au-delà des écrans ?

Vous vous retrouvez dans un monde virtuel de publicité et d’agitation où la manipulation est le principal moteur de l’activité humaine. C’est-à-dire, un monde où l’idée de liberté personnelle (y compris tout acte de libre pensée) devient une plaisanterie philosophique, que vous croyiez ou non en la possibilité du libre arbitre. Vous obtenez un pays plein d’étudiants formés pour penser que la coercition des autres est l’utilisation la plus élevée et la meilleure de leur temps sur terre – et qu’elle représente l’« inclusion ». Vous obtenez une industrie de l’information qui crée sa propre réalité, produisant des récits (c.-à-d. des psychodrames construits) pour exciter les esprits engourdis. La politique se joue comme un dessin animé de Deputy Dawg. Vous obtenez une tyrannie corporative de racket dont les troupes ensorcellent les citoyens comme autant de moutons les entraînant dans des chutes pour tondre, non seulement leur argent, mais aussi leur autonomie, leur dignité, et finalement leur volonté de vivre.

Un peuple peut-il se remettre d’une telle excursion dans l’irréalité ? Le séjour des États-Unis dans un univers alternatif de l’esprit s’est fortement accéléré après que Wall Street a failli faire exploser le système financier mondial en 2008. Cette débâcle n’était qu’une manifestation d’une série de menaces qui s’accumulaient contre l’ordre postmoderne, y compris les fardeaux de l’empire ; la dette mondiale onéreuse ; le surpeuplement démographique ; le bélier mondialiste ; les inquiétudes au sujet de l’énergie  les technologies perturbatrices ; les ravages écologiques et le spectre du changement climatique – des choses auxquelles il faut penser.

Le sentiment d’accumulation de crise persiste. Elle est systémique et existentielle. Elle remet en question notre capacité à mener une vie « normale » beaucoup plus loin dans ce siècle, et toute l’anxiété qui l’accompagne est si difficile à traiter pour le public qu’un nombre inquiétant de citoyens optent pour le suicide. Il n’y a pas de consensus cohérent sur ce qui se passe et pas de propositions cohérentes pour y remédier. Les mauvaises idées s’épanouissent dans ce milieu nutritif de crise non résolue. Dernièrement, elles dominent la scène de tous les côtés.

Une espèce de vœu pieux qui ressemble à un culte primitif du cargo s’empare de la classe technocratique, attendant des remèdes magiques de sauvetage pour étendre le régime du Happy Motoring, du consumérisme et des banlieues qui constituent l’armature en ruines de la vie « normale » aux États-Unis. La droite politique cherche à refaire de l’Amérique une grande Amérique, comme si nous pouvions revenir à l’apogée de la production industrielle de masse en 1962 en le souhaitant assez fort. La gauche cherche l’équivalent d’une enfance prolongée pour tous, vécue dans un espace universel sûr, où tous les biens et services viennent magiquement d’un gouvernement aimable et paternaliste, et les jours ensoleillés sont passés à former des licornes pour trouver des arcs-en-ciel.

La « reprise » de la Grande crise financière de 2008, qui a duré dix ans, s’est soldée par dix années de « faux-semblant », avec la perspective de ne pas parvenir à quelque chose comme la solidité économique et culturelle. Sommes-nous allés trop loin maintenant ? Une sorte de thérapie de choc est sûrement à l’horizon, et probablement sous la forme d’un réajustement financier violent qui modifiera les conditions de gain et de dépense de façon si radicale qu’elle renversera la matrice de racket qui se fait passer pour le business du pays.

Ce choc financier a tellement cuit et recuit dans le fantasme que les banques en sont arrivées à un nouveau régime de taux d’intérêt zéro où des notions qui prétendent être de l’argent sont utilisées pour trouver de nouvelles façons de détruire la vie sur terre et le projet humain qui en découle. À un certain niveau cognitif, les gens de ce pays sentent ce qui s’en vient et l’attente les rend fous. Tom Petty avait raison : l’attente est la partie la plus difficile, et un moyen difficile d’apprendre qu’une vie virtuelle n’est pas un substitut adéquat à une vie authentique.

Too much magic : L'Amérique désenchantéeJames Howard Kunstler

Pour lui, les choses sont claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter les statistiques jusqu’au ciel.

Traduit par Hervé pour le Saker Francophone

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