Par Peter Teffer – Le 24 avril 2019 – Source EUobserver
La Commission européenne garde secrets les détails de discussions tenues entre le commissaire européen Pierre Moscovici, l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair et le milliardaire hongrois George Soros au sujet d’un second référendum concernant le Brexit.
En réponse à une demande d’accès aux documents, la Commission a déclaré à EUobserver que la nécessité de protéger le processus décisionnel de l’UE pesait plus lourd que tout intérêt public dans ce qui a été discuté en janvier dernier à Davos.
Bien que la Commission proclame qu’elle est à la source d’une « vague de transparence sans précédent », elle ressent toujours le besoin de censurer ses documents « pour protéger son processus décisionnel ». (Photo : EUobserver)
M. Moscovici, le responsable des affaires économiques et financières de l’UE, a rencontré plusieurs hommes politiques et chefs d’entreprise en marge du Forum économique mondial, la rencontre annuelle qui a lieu dans les Alpes suisses.
La Commission a publié un résumé par courrier électronique de ce qui a été discuté avec le commissaire européen français, dans ce que l’auteur du courriel décrit comme une « lecture rapide d’une journée et demie de speed-dating à Davos ».
Celui-ci révèle, par exemple, que le secteur financier considérait « l’Italie et Brexit » comme « les principaux risques pour l’Europe ».
Mais le courriel a été fortement expurgé à certains endroits.
Six lignes ont été censurées après la phrase « Soros et Blair : discussions avec les deux premiers partisans d’un ‘vote populaire’ ».
Blair, qui a été Premier ministre de centre-gauche du Royaume-Uni de 1997 à 2007, s’oppose au départ du Royaume-Uni de l’UE et s’est prononcé en faveur d’un deuxième référendum – appelé « vote du peuple » par ses partisans.
Soros, un philanthrope juif d’origine hongroise, est souvent au centre de théories du complot – certaines initiées par le premier ministre de la Hongrie, Viktor Orban.
Lors d’une des conférences de presse quotidiennes de la Commission européenne en janvier, un journaliste hongrois d’une chaîne de télévision pro-gouvernementale a posé des questions sur le contenu de la réunion.
Un porte-parole de la commission a répondu qu’il ne commenterait pas « sur les nombreux contacts qui ont lieu à Davos » mais a affirmé que la commission Juncker avait mené « une vague de transparence sans précédent », en divulguant constamment quand les commissaires rencontrent des lobbyistes.
« Tout est bien visible pour que tout le monde puisse voir et se forger une opinion », disait-il, à l’époque.
Mais en réalité, les rencontres entre Moscovici, Blair et Soros n’ont pas été affichées sur la page web du commissaire, trois mois après qu’elles se soient déroulées.
La liste des réunions de lobbying enregistrées sur le site web de Moscovici, avec l’entrée la plus récente datant de trois mois (Photo : Commission européenne)
Plusieurs parties des documents ont été expurgées, pour différentes raisons liées aux clauses d’exemption du règlement de l’UE sur l’accès aux documents.
Le courrier électronique expurgé a été publié le 25 mars et a été suivi d’une lettre explicative de la Commission européenne, publiée le 15 avril.
Dans cette lettre, la Commission explique à EUobserver qu’elle devait masquer certaines parties du document en raison des exemptions.
En particulier, il y avait un risque d’atteinte à la vie privée et d’atteinte au « processus décisionnel de l’institution ».
« Nous avons examiné le texte attentivement et n’avons pas estimé qu’il y aurait un intérêt public supérieur à ce que cette partie du document soit divulguée », a déclaré la commission.
EUobserver a fait appel de cette décision. La réponse est attendue jeudi (25 avril).
Timmermans-Blair
Entre-temps, la Commission a également répondu à une demande distincte d’accès aux documents concernant des réunions tenues par le vice-président adjoint de la Commission, Frans Timmermans.
Le politicien néerlandais – qui veut succéder à son patron, le président de la Commission Jean-Claude Juncker – a fait état d’une rencontre le 6 novembre 2018 avec l’Institut Tony Blair pour le changement global.
Toutefois, selon la commission, il n’existe pas de documents relatifs à cette réunion : pas de procès-verbaux ou de présentations, ni même d’e-mails envoyés à l’avance pour l’organisation de la réunion.
La Commission a écrit : « Nous avons le regret de vous informer que la Commission européenne ne détient aucun document qui correspondrait à la description donnée dans votre demande ».
Apple
La demande d’accès aux documents a également révélé qu’il n’existait aucun procès-verbal de la réunion entre Timmermans et Tim Cook, le PDG d’Apple.
Les seuls documents qui ont été publiés sont des courriels entre Apple et la commission.
En septembre 2018, l’entreprise technologique américaine a informé la commission de la visite de Cook en Europe et a demandé une réunion, qui était alors prévue pour le 25 octobre.
Plus tard dans le mois, Timmermans a également reçu une invitation de l’ambassadeur des États-Unis auprès de l’UE, pour assister à un dîner « en l’honneur » de Cook.
Cependant, son cabinet a décliné cette invitation à dîner – bien que Timmermans ait assisté à la réunion du 25 octobre avec Cook.
L’absence de procès-verbaux pour ces réunions de lobbying avec les commissaires européens a été révélée à plusieurs reprises par les demandes d’accès aux documents présentées sur ce site web.
Le mois dernier, Timmermans a refusé l’occasion de promettre une amélioration.
Un porte-parole de sa campagne a déclaré que « personne n’a fait plus que Frans Timmermans pour promouvoir la transparence » et qu’avant de vouloir parler des « prochaines étapes possibles », d’autres institutions européennes devaient améliorer leur transparence.
Peter Teffer
Note : sur le sujet de la transparence des institutions européennes et de l'intérêt général, on peut aussi relire cet article
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone