Par Valery Kulikov – Le 16 novembre 2017 – Source New Eastern Outlook
Après la perte par le Parti conservateur britannique de sa majorité à la Chambre des Communes à la suite des dernières élections parlementaires – un fait qui peut être attribué en grande partie à une série d’échecs de la politique menée par le gouvernement conservateur – le Parti travailliste a demandé à Theresa May, Premier ministre en exercice, de démissionner. Depuis lors, la cheffe du gouvernement britannique a été en mode panique.
La plupart des médias britanniques, citant diverses sources au sein du Parlement, sont d’accord pour dire que la Premier ministre Teresa May sera obligée de quitter son poste au plus tard à l’été 2019. Pour tenter d’échapper à l’image déshonorante d’un Premier ministre « sur le point d’être révoqué », elle a annoncé, dans sa réponse à l’ancien président du Parti conservateur, Grant Shapps, qu’elle « n’avait pas l’intention de démissionner ».
Ce n’est pas la première fois que Theresa May esquive des critiques et des accusations, car elle a été capable de se sortir de coups politiques beaucoup plus sérieux au cours de sa carrière. Par exemple, tout récemment, May a été forcée d’esquiver une énorme foule venue assister à une procession à l’Hôtel de ville. Ce n’est pas la première fois qu’une bonne réaction a sauvé le Premier ministre britannique, puisqu’elle aurait aussi évité de la même façon le personnel du Black Rod, en juin dernier.
Aujourd’hui, la situation est claire pour Theresa May : son gouvernement s’effondre après avoir prouvé que c’est un naufrage depuis le premier jour, car les négociations sur le Brexit vont de mal en pis. Dans cette situation, May avait besoin d’une excuse pour réviser radicalement la politique menée par son gouvernement. Elle en a fourni une lors de la procession à l’Hôtel de ville mentionnée plus haut en soumettant les autorités russes aux critiques les plus virulentes de son mandat. May irait jusqu’à accuser Moscou de « déstabiliser les sociétés libres ». Elle a donc décidé que la russophobie serait sa position de repli puisque beaucoup d’autres personnalités occidentales ont réussi à s’en sortir de cette manière.
Cependant, si nous regardons de plus près l’histoire de la Grande-Bretagne, nous apprenons que May est tout sauf originale en utilisant ce truc politique. En effet, au cours de son histoire, Londres n’a souvent recouru qu’à deux méthodes pour sauver la face dans des situations désastreuses : se lancer dans une aventure militaire à l’étranger ou sauter dans le train du dénigrement de la Russie.
La Grande-Bretagne a toujours été assez convaincue qu’elle ne pouvait pas instaurer une hégémonie mondiale uniquement grâce aux ressources naturelles et humaines des îles britanniques, puisque, au début du XVIIe siècle, elles ne comptaient que 11 millions d’habitants, tandis que le royaume essayerait de contrôler plus de 750 millions de gens sur la planète. Pour créer un empire colonial, Londres adopterait la politique tentée et testée dans l’ancienne Rome, connue comme « diviser pour régner ». D’abord, elle créerait des conflits entre voisins sur le globe, puis opposerait les États les uns aux autres et, une fois que les conflits les auraient ravagés, l’Empire britannique les asservirait. Afin de provoquer des conflits internes, Londres refuserait d’occuper les territoires conquis. Différents territoires seraient plutôt cousus ensemble dans des États artificiels où les conflits ethniques seraient agencés de manière à consommer intentionnellement des vies humaines pendant des décennies.
Des exemples de cette politique ne sont pas difficiles à trouver si vous regardez de plus près l’histoire de diverses régions.
Voyez seulement l’Union birmane, connue plus tard comme le Myanmar, où plus de 500 000 personnes ont péri dans les flammes d’une guerre civile de 70 ans orchestrée par Londres. Ce conflit à lui seul a provoqué plus d’un million de réfugiés.
Il y a aussi les accords britanniques Sykes-Picot de 1916 qui ont eu pour résultat la fracture artificielle du Moyen-Orient. Le monde constate aujourd’hui les tristes conséquences de cet accord puisque la région est plongée dans un état de guerre permanent.
L’Eurasie a cependant exercé un attrait spécial sur les impérialistes britanniques, puisqu’elle disposait non seulement de plus grandes ressources que d’autres régions, mais avait également une population plus importante. Quant à son potentiel économique, l’Eurasie a toujours été loin devant le reste du monde, puisque sur les 15 économies les plus développées, pas moins de 12 sont situées en Eurasie. Tout en étant incapable de rivaliser en aucune manière avec les trois principaux adversaires politiques et économiques de cette région, à savoir la Russie, la Chine et l’Inde, Londres s’est activement attachée à créer des conflits le long des frontières des pays BRICS. Le plan était ancien et simple : aggraver les tensions existantes au sein de l’Eurasie et déclencher toute une série de guerres régionales uniquement pour y attirer la Russie, la Chine et l’Inde.
Concernant les manifestations russophobes en Grande-Bretagne, il convient de rappeler que Londres a non seulement utilisé la russophobie à maintes reprises dans ses politiques au cours des siècles passés mais a également mené des guerres contre la Russie.
Il suffit de rappeler la guerre de Sept Ans (1756-1763), bien qu’il n’y ait pas eu de guerre à large échelle entre les pays.
On croit que la conspiration contre le tsar russe Paul Ier, qui a débouché sur son assassinat en 1801, était commanditée par le gouvernement britannique en essayant d’éviter une guerre contre la Russie pour le contrôle de Malte. Selon le témoignage de sources russes et britanniques, l’ambassadeur de Grande-Bretagne Charles Whitworth était lourdement impliqué dans l’organisation d’une révolution de palais en Russie.
La Grande-Bretagne a combattu la Russie de 1807 à 1812 pendant la guerre russo-britannique et pendant la guerre de Crimée de 1853-1856. La Russie et la Grande-Bretagne étaient rivales à la fin du XIXe siècle, lors du Grand Jeu en Asie centrale.
Après la Révolution d’Octobre de 1917, la Grande-Bretagne a joué un rôle direct dans l’occupation de territoires russes.
De plus, comme on le sait, c’est la Grande-Bretagne qui était derrière la création du réseau terroriste Gladio, dont la tâche principale était d’organiser des attentats terroristes dans tout pays d’Europe occidentale menaçant de créer des liens plus étroits avec l’Union soviétique. C’est ce réseau qui a organisé de nombreux assassinats de militants et de politiciens de gauche qui prônaient la coopération avec l’URSS ou pourraient accéder au pouvoir grâce au soutien populaire.
Ainsi, même un bref coup d’œil sur les livres d’histoire montre que ce n’est pas la Russie, mais la Grande-Bretagne qui est coupable de « déstabiliser les sociétés libres », un fait que Teresa May tente de cacher sous la fièvre politique qu’elle s’est trouvée en train de promouvoir.
Il faut aussi se souvenir que c’est le gouvernement actuel qui essaie de jouer la carte de la russophobie pour détourner l’attention publique de son échec total en termes de politique sociale, désignant plutôt la « Russie » comme une menace de premier plan.
Mais vu la confusion totale dans laquelle Theresa May est plongée, il est peu vraisemblable que ses talents d’esquive l’aideront à supprimer les failles de son gouvernement, ni les boucs émissaires qu’elle utilise comme excuses.
Qu’est-ce qui aidera le gouvernement britannique à se libérer de son amnésie historique et de sa russophobie profondément enracinée ?
Valery Kulikov
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone