Par James Howard Kunstler – Le 2 avril 2018 – Source kunstler.com
« Paix avec honneur » était l’expression anodine du président Nixon pour avoir dissimulé la réalité aussi longtemps que possible au Vietnam, celle que l’armée américaine se faisait botter le cul par ce que nous pensions initialement être un poids léger du tiers-monde. C’était il y a un demi-siècle et je m’en souviens maintenant à l’âge de 106 ans grâce à mon régime de chou frisé et de bâtonnets de pepperoni. Sans être ironique, la longue lutte se termina finalement quelques années après que Nixon eut quitté la scène, les derniers évacués américains désemparés attendant désespérément des vols par hélicoptère sur le toit de l’ambassade américaine. Et maintenant, bien sûr, le Vietnam est un point chaud touristique.
Et donc, l’autre jour, le dernier POTUS a déclaré (à sa manière habituelle) que « nous sortirons de Syrie, disons, très bientôt. Laissons les autres s’occuper de ça maintenant. » Cette annonce a fait grimper au rideau les partisans néocons du gouvernement. Des cris d’indignation ont été entendus sur le National Mall. De quelles « autres personnes » parlait M. Trump ? Les syndicats de l’automobile ? Gandalf le Gris ? Les acteurs de la série Glee ?
Je doute que l’étudiant moyen de la faculté de Harvard puisse expliquer avec conviction ce qui se passe en Syrie. Le Vietnam était comme un simple jeu de loto comparé au puzzle mystérieux de la Syrie. Et puis, bien sûr, une fois que vous avez compris qui sont les joueurs, c’est une autre question de décrire quels sont les intérêts américains.
Un angle de l’histoire est de savoir s’il est dans l’intérêt de l’Amérique que la Syrie devienne un autre État failli dans une région ou il en existe déjà d’autres. Quoi que vous puissiez dire d’autre sur la politique américaine dans cette partie du monde, le résultat général dans des endroits comme l’Irak, la Libye et le Yémen a été l’anarchie et des conflits sans solutions entre factions. Dans le monde actuel des États-nations, un gouvernement central est nécessaire pour éviter ce destin, et le gouvernement au pouvoir en Syrie est le régime de Bachar al-Assad. Les États-Unis ont longtemps milité pour le renversement d’Assad, mais je vous mets également au défi (ainsi que la faculté de Harvard) de nommer n’importe quel parti ou personne crédible que nous aurions hypothétiquement proposé pour le remplacer.
Vous pourriez argumenter que l’âge glorieux des États-nations tire à sa fin, que le monde n’en a plus besoin, qu’ils sont la cause de trop de conflits et d’angoisses. Mais alors il faudrait rendre compte de toutes les querelles et angoisses qui occupaient le monde quand il était composé de petits royaumes, de principautés, de fiefs et de tribus. Et, bien sûr, selon cette logique, vous devrez également vous enquérir de la légitimité du gouvernement américain − ce que, d’ailleurs, la Californie est en passe de tester ces jours-ci.
On pourrait également proposer que le champ de bataille de la Syrie, avec son éventail d’armées maniaco-religieuses, soit juste un terrain de jeu par proxy pour les équipes sponsorisées par le tandem USA/Israël contre celles de la Russie et de l’Iran. Si c’est le cas, les États-Unis n’ont pas été très clairs ou honnêtes à ce sujet. Quoi qu’il en soit, il a été clairement démontré que la Russie est tout à fait à l’aise avec l’extension de l’influence de l’Iran jusqu’à la mer Méditerranée. J’avais considéré la présence de la Russie en Syrie comme une tentative de bloquer, ou du moins de modérer, l’influence iranienne là-bas − ce qui est l’un des arguments en faveur d’un partenariat américano-russe pour assainir le foutoir là-bas.
Ce possible résultat a été énormément compromis par l’hystérie anti-russe, orchestrée par les faucons néo-cons de la bureaucratie permanente américaine (soit l’État profond). Le dernier stratagème de ces joueurs est l’histoire recuite de Vladimir Poutine, coupable d’avoir empoisonné personnellement l’agent-double russo-britannique Skripal (et sa fille) à Salisbury, au Royaume-Uni. Étant donné la nature extrêmement mortelle du soi-disant poison, le Novitchok et la méthode supposément utilisée (en barbouiller la poignée de porte de Skripal), il est difficile de croire que les Skripal aient pu marcher jusqu’au banc du parc où ils se sont effondrés sans que personne, de la police aux médecins, ne soit entré en contact avec la substance et ne tombe aussi malade. Mais c’est le genre de mélodrame des familles qui nous est parvenu de notre côté du plateau de jeu.
L’autre partie de l’histoire mérite d’être considérée : la Syrie, comme les autres nations récentes du Moyen-Orient, a pu augmenter énormément sa population après l’avènement de la Seconde Guerre mondiale en raison de sa richesse pétrolière (maintenant presque disparue en Syrie) et d’autres aspects de la modernité comme les céréales bon marché pour nourrir tous les nouveaux venus. Le recul des revenus pétroliers et une grave sécheresse (sans doute induite par les changements climatiques) qui a provoqué des mauvaises récoltes ont commencé en 2006. La Syrie est devenue un atelier pour tester les effets d’un dépassement de population couplé à une pénurie de ressources. Ce sont des problèmes qui ne manqueront pas de se propager dans d’autres régions du monde dans les années à venir. La façon dont la nature corrige ces déséquilibres est très laide et facilement confondue avec des décisions politiques.
James Howard Kunstler
Pour lui, les choses sont claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter les statistiques jusqu’au ciel.
Note du Saker Francophone Il semble que des ressources énergétiques trouvées récemment en Syrie sur terre et en mer soient aussi la source de l'intensité des combats et de l'acharnement des acteurs.
Traduit par Hervé, relu par Cat pour le Saker Francophone