Par Andrew Korybko − Le 28 avril 2024 − Source korybko.substack.com
On ne sait pas pour quelles raisons elles sont parvenues à cette conclusion, ni pourquoi elles l’ont laissé fuiter, car ces agences sont en position de blanchir le mensonge selon lequel c’est Poutine qui a ordonné la mise à mort de Navalny, ce qui leur permettait de marquer facilement des points dans le jeu du soft power contre la Russie.
Le Wall Street Journal cite des sources anonymes, proches de l’affaire, qui indiquent que la CIA, le National Directorate of Intelligence et l’unité de renseignements du Département d’État, entre autres agences d’espionnage étasuniennes, ont conclu que le président Poutine n’avait pas ordonné la mort de Navalny en février 2024. Ces agences continuent d’affirmer que Poutine est coupable, l’opinion des États-Unis étant que Navalny était emprisonné à tort et n’était pas soigné correctement, mais cette révélation n’en bouleverse pas moins les opérations de guerre de l’information menées par l’Occident.
Les observateurs objectifs savaient déjà que « Poutine n’avait aucune raison de tuer Navalny, mais que l’Occident avait toutes les raisons de mentir sur ce point« . En effet, un Navalny derrière les barreaux ne constituait pas une menace envers Poutine ; mais l’Occident en revanche avait tout intérêt à salir ce dernier. L’Occident a également essayé par ce moyen de réduire la participation de l’électorat russe aux élections présidentielles tenues au mois de mars, et d’exercer des pressions sur le Congrès étasunien pour qu’il débloque les aides à l’Ukraine. À présent que ces enjeux sont passés, la vérité se fait jour.
En prononçant son discours de réélection, le président Poutine a révélé qu’il avait bien approuvé l’échange de Navalny contre un groupe de prisonniers russes détenus en Occident, avant que la disparition du dirigeant de l’opposition non-systémique, imputée à un caillot sanguin par Budanov, chef des renseignements militaires ukrainiens, ne vienne contrecarrer ce projet. Même ainsi, de nombreux activistes anti-russes occidentaux ont refusé de croire Budanov ou Poutine, en dépit du fait qu’ils avaient jusqu’alors pris tout ce que disait Budanov comme parole d’Évangile.
On ne sait pas pourquoi les agences d’espionnage étasuniennes ont ainsi conclu que le dirigeant russe n’a pas ordonné la mort de Navalny, alors qu’elles étaient en position d’autorité pour blanchir les mensonges à ce sujet dans le jeu du soft power mené contre la Russie. Une raison possible réside dans la confirmation faite publiquement par le président russe qu’il s’apprêtait à échanger Navalny contre des Russes détenus à l’étranger : il est difficile de penser qu’il aurait approuvé cet échange pour ensuite changer d’avis et faire assassiner Navalny.
En d’autres termes, ils ne pouvaient pas étayer le récit initial selon lequel Poutine était responsable du décès de Navalny s’ils voulaient conserver un semblant de crédibilité, car le risque était de voir Biden passer pour un abruti en affirmant que « Poutine est responsable de la mort de Navalny. » Chacun a interprété ces mots comme un ordre d’assassiner Navalny, mais la nouvelle réserve en vigueur semble vouloir que Poutine aura créé les conditions pour que Navalny décède faute de soins, ce qui aide un peu Biden à « sauver la face ».
Quoi qu’il en soit, de nombreux activistes anti-russes ne peuvent toujours pas accepter la conclusion de ces agences de renseignements, car elle contredit leur culte dogmatique, à savoir que le président Poutine serait personnellement responsable de tout événement funeste impactant tout membre de l’opposition non-systémique. C’est une foi religieuse pour eux que de raisonner ainsi, car revenir sur ce mode de fonctionnement remettrait en cause l’ensemble de leur mouvement. Ils insistent donc, en opposition à toute réalité, et affirment mieux connaître la vérité que la communauté étasunienne des renseignements.
Pour exemple, le Wall Street Journal cite l’agent étranger Leonid Volkov (un membre de l’opposition non-systémique russe) et Slawomir Debski, expert d’un think tank polonais, qui persistent tous deux à affirmer que Navalny a été tué par ordre du président Poutine, ou tout au moins après qu’il a tacitement approuvé l’opération. En s’éloignant de plus en plus de la réalité, ils discréditent encore plus les opérations occidentales de guerre de l’information, ce qui finalement contribue à l’aura de la Russie en matière de soft power.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Note du Saker Francophone
Dommage pour les Français que leurs médias aient unanimement propagé des théories du complot invoquant la responsabilité directe de Poutine, dans les heures, voire les minutes suivant la mort de Navalny. Fort heureusement, les Français ont la chance incroyable de disposer de fact checkers comme Conspiracy Watch… Nous laissons à l’exercice du lecteur le soin d’aller vérifier sur les sites français de fact checking l’admirable manière dont ces grands professionnels ont dénoncé (ou pas) le complotisme manifesté par l’ensemble de la sphère médiatique officielle de notre pays.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone