Un institut russophobe emporté par l’hystérie anti-russe qu’il a aidé à créer.
Par Paul Robinson – Le 28 novembre 2017 – Source Russia Insider
Le Daily Mail s’en prend à Boris Johnson, Michael Gove et au « Legatum Institute », qu’il prétend lié à la Russie, sans se rendre compte que c’est un nid de russophobes où l’on y croise Anne Applebaum, Michael Wise, Ed Lucas et Mikhaïl Khodorokovsky.
« Dans un revirement ironique du destin, ceux qui crient le plus fort au sujet des ‘fausses nouvelles’ russes et qui exigent que l’Occident prenne des mesures contre Russia Today et d’autres médias russes, se trouvent maintenant accusés d’être des agents russes. »
Il y a des moments où l’on se prend à penser que les médias anglophones ne peuvent pas tomber plus bas, qu’ils ont finalement touché le fond, que l’ignorance et l’hystérie sont devenues si fortes que cela ne plus continuer ainsi. Et puis on lit un article qui nous fait secouer la tête de désespoir, et on se demande : « Ces gars là ne vérifient-ils donc rien ? Sont-ils si ignorants ? Ou s’en fichent-ils complètement ? »
On nous dit d’être sans cesse sur nos gardes au sujet des « fausses nouvelles » et de la désinformation dont les usines de trolls à Saint-Pétersbourg et la rédaction de Russia Today inondent l’Internet, mais est-ce vraiment pire que le Daily Mail? Voici la une du Daily Mail de dimanche dernier :
Dans l’article principal du journal, Simon Walters et Glen Owen évoquent un lien présumé entre mes anciens congénères de l’Oxford Union, qui sont maintenant des ministres du gouvernement britannique, Boris Johnson et Michael Gove d’une part, et le président russe Vladimir Poutine d’autre part, nous racontant sans reprendre leur souffle que :
« Le Mail on Sunday a découvert un lien entre la Russie et Boris Johnson dans la tentative réussie, mené par Michael Gove, de persuader Theresa May d’adopter une position plus ferme sur le Brexit. »
Cela semble excitant : Boris et Michael comme agents involontaires du Kremlin ! L’article continue ainsi :
« Ce journal a établi qu’une lettre secrète envoyée par les ministres du Cabinet au Premier ministre a été co-rédigée par un haut responsable d’un groupe de réflexion sur le marché libre, fondé par un magnat qui a fait fortune en Russie à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique. »
Ça a l’air accablant, hein ? Alors, quel est le groupe de réflexion en question ? C’est l’Institut Legatum, qui, comme le souligne le Daily Mail, a été « créé en utilisant une partie de la fortune que le magnat, né en Nouvelle-Zélande, Christopher Chandler, un homme discret, a construite avec son frère Richard à partir d’une série d’investissements, dont certains ont été faits pendant la période de ‘capitalisme sauvage’ de l’économie post-soviétique ». Christopher Chandler, explique le journal, « a aussi aidé des associés de Vladimir Poutine à prendre le contrôle de Gazprom, le géant de l’énergie russe ».
Dans leur article, Walters et Owen révèlent que le directeur économique du Legatum Institute, Shanker Singham, a aidé Johnson et Gove à rédiger un ultimatum qu’ils ont envoyé au Premier ministre pour lui demander de « forcer le chancelier Philip Hammond à en faire plus pour planifier un ‘Brexit dur’ ». Donc voilà l’affaire. Le fondateur de l’Institut Legatum a fait son argent grâce à des transactions commerciales en Russie, y compris un accord avec Gazprom ; le directeur financier de l’Institut Legatum a aidé Johnson et Gove à rédiger leur lettre ; ergo, il y a un « lien entre Poutine et le Coup du Brexit de Boris et Gove ».
En conséquence, toujours selon le Mail On Sunday : « Aujourd’hui, un député reconnu a demandé que la commission du renseignement et de la sécurité du Parlement enquête sur l’Institut Legatum et son influence sur le gouvernement. »
Oh, le pied ! Quelle ironie ! Et pas qu’un peu drôle. L’Institut Legatum devenant agent subversif du Kremlin. Je me fends la poire sur ce coup-là.
Restons sérieux. Je ne suis pas du tout enclin à défendre l’Institut Legatum. Et je n’aurais jamais imaginé que le jour viendrait où je dirais que Michael Gove a été injustement accusé. Je serais le premier à défendre Boris, mais Michael ? Jusqu’à aujourd’hui, je pensais que c’était impossible. Mais voilà : cet article est un tas de bêtises. Ce n’est pas qu’il soit erroné au niveau factuel – ce n’est pas le cas ; c’est simplement l’histoire que cela implique – que Vladimir Poutine manipule le Brexit par l’intermédiaire du Legatum, de Johnson, de Gove. Cela n’a aucun sens.
Si le Mail on Sunday avait pris ne serait-ce qu’une seconde pour enquêter sur l’Institut Legatum, il aurait pu le savoir. Les membres du Legatum Institute sont des « amoureux bien connus » de Poutine tels qu’Anne Applebaum et Peter Pomerantsev. L’Institut a publié le rapport de Pomerantsev (co-écrit par Michael Weiss sur le site Web évidemment contrôlé par le Kremlin, The Interpreter), intitulé « The Menace of Unreality : How the Kremlin Weaponizes Information, Culture, and Money » (Une menace virtuelle : comment le Kremlin fait de l’information, de la culture et de l’argent une arme), que j’ai examiné ici.
Dans ce rapport, Pomerantsev et Weiss accusent Moscou d’une « campagne d’agression » contre l’Occident, afin de « porter la confusion, faire pression, démoraliser, subvertir et paralyser ».
Legatum entretient aussi des liens avec un autre « admirateur bien connu » de Poutine, Ed Lucas du Centre for European Policy Analysis, pour produire un rapport sur la lutte contre la « guerre de l’information » russe.
L’institut a aussi accueilli une conférence intitulée « La Russie : une dictature post-moderne ? » qui a coïncidé avec la publication d’un document de Pomerantsev portant le même titre.
Parmi les conférenciers figuraient deux autres Russes pro-Kremlin célèbres : Pavel Khodorkovksy (fils de l’oligarque emprisonné Mikhail) et Vladimir Kara-Murza, prétendument empoisonné à deux reprises pour sa politique anti-Poutine.
Pourtant, malgré ses vues éminemment politiquement correctes sur la Russie, l’Institut Legatum se trouve aujourd’hui accusé d’être une marionnette du Kremlin. Le Daily Express s’est penché sur l’histoire du Mail et a publié son propre article titré : « Un think tank financé par la Russie organise des coups en douce ». Le Legatum Institute a été contraint de publier une déclaration selon laquelle « il n’a aucun lien avec le Kremlin ni n’en subit l’influence ».
En un revirement ironique du destin, ceux qui crient le plus fort au sujet des « fausses nouvelles » russes et qui exigent que l’Occident prenne des mesures contre RT et d’autres médias russes, se trouvent maintenant accusés d’être des agents russes.
C’est, bien sûr, complètement absurde. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que ce qui part revient toujours et que Legatum et les autres n’ont à s’en prendre qu’à eux-mêmes pour leur situation difficile.
En créant l’hystérie de l’ingérence russe dans la politique occidentale, ils ont créé les conditions qui ont rendu possible l’assaut contre eux-mêmes. Si vous commencez une chasse aux sorcières, vous ne devriez pas être surpris qu’un jour la Grande sorcière elle-même vienne vous chercher.
Paul Robinson
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.
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